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Chapitre I Éducation : universités, studia et yeshivot 53

1.   Universités et studia 54

1.4.   L’université de Montpellier (1220) 80

1.4.2.   Faculté de médecine 81

1.4.2.1.   Cursus, examens et stages

Vers 1230-1240, la faculté de médecine de Montpellier jouit déjà d’une grande notoriété. En principe, pour être accepté, il faut avoir préalablement fini son cursus et passé tous les examens de la faculté des arts. Au cours des premières années en médecine, les étudiants apprennent l’Articella, un recueil de sept courts ouvrages de tradition gréco-arabe qui avait été traduit en latin. Ces ouvrages varient entre des textes de pratique (tel que les Aphorismes d’Hippocrate) et de théorie (tel que le Technè de Galien)81.

Durant ces années, les étudiants assistent à plusieurs cours en tant qu’auditeurs, c’est-à-dire qu’ils ne font qu’écouter les maîtres lire et expliquer les livres de médecine à haute voix. Les statuts complémentaires de l’université de médecine de Montpellier des 14 et 21 janvier 1240 stipulent que, par la suite, si le maître considère que son étudiant est compétent et qu’il a bien suivi pendant deux ans et demi ou trois ans et demi les cours de médecine à Montpellier82, il peut commencer à « lire » (cursorie legerit in scolis) dans les écoles.

L’étudiant doit avoir également fait un stage pratique de six mois en dehors de l’université de Montpellier pour pouvoir postuler à la licence et prendre part aux disputes. À partir de 1250, les candidats doivent passer un examen formel avant d’obtenir la licentia practicandi. Pour ce faire, un comité formé de médecins doit décider d’accepter le candidat, de le refuser ou de lui donner une licence sous restrictions83. Après avoir obtenu son diplôme, le candidat doit jurer de « lire » pendant deux ans à la faculté de Montpellier, d’observer les statuts de l’université et de ne pas révéler les secrets de l’université84.

81McVAUGH Michael, « When Universities First Encountered Surgery », Journal of The History of Medicine and

Allied Sciences, 2017, vol. 72, no1, p. 7.

82 Le temps est réduit à deux ans et demi pour les étudiants avec une licence de maître ès arts de Paris ou d’une

université reconnue. Voir, Cartulaire, no5, p. 187.

83 SHATZMILLER Joseph, « Apprenticeship or Academic Education: The Making of Jewish Doctors », dans

SPEER Andreas et JESCHKE Thomas (éds.) Schüler und Meister, Berlin, De Gruyter, 2016, p. 506.

En 1309, Clément V réforme les statuts de cette école en précisant les œuvres que les étudiants doivent obligatoirement lire. Pour pouvoir accéder à la maîtrise, les étudiants doivent de ce fait préalablement avoir lu plusieurs textes de Galien dont Des complexions, De la malice des

complexions diverses, De la médecine simple, De la maladie et de l’accident et De la méthode thérapeutique85. Également, il doit connaître certains auteurs arabes ou juifs tels qu’Avicenne et Isaac Israeli, avoir appris un texte original et deux textes accompagnés d’un commentaire et, enfin, lors d’une lecture publique, le candidat doit répondre à l’une des questions de l’examinateur en donnant les bons arguments et en résolvant les problèmes.

À partir de 1340, le cursus de la faculté se précise. L’étudiant obtient le baccalauréat après trois ans d’études et la maîtrise après six ans ou cinq ans pour les maîtres ès arts. C’est seulement après avoir eu le grade de maîtrise que le candidat peut pratiquer la médecine à Montpellier ou dans ses faubourgs86. Par ailleurs, fait nouveau, à chaque deux ans au moins, le chancelier avec l’aide d’un maître, à l’obligation d’organiser une dissection anatomique parce que, comme l’explique le statut de 1340, « l’expérience est ce qui nous enseigne le mieux les choses […] »87. Il faut connaître l’anatomie du corps humain pour tenter de mieux comprendre les maux internes du corps, les remèdes prescrits qui fonctionnent et ceux qui ne fonctionnent pas.

Qu’en est-il de l’éducation chirurgicale au XIIIe et XIVe siècle ? Comment se fait-il qu’aucun statut de l’université de Montpellier ne fasse mention des chirurgiens ou de la pratique de la chirurgie alors que les maîtres de la faculté de médecine ont acquis plusieurs compétences dans ce domaine ?

85 DUMAS Geneviève, Santé et société à Montpellier à la fin du Moyen Âge, Leiden, Brill, 2014, p. 56. 86 Cartulaire, no68, XXXVIII, p. 352.

87 Cartulaire, no68, XIII, p. 344. Traduit en français par G. Dumas dans Santé et société à Montpellier à la fin du

1.4.2.1.1.   La place des chirurgiens

Au XIIIe siècle, la chirurgie ne fait pas partie des cours de médecine, ce domaine est enseigné au privé. Souvent, c’est un métier qui s’apprend de père en fils, mais certains maîtres offrent des cours sur le sujet. Guillaume de Congenis (v. 1175-1225), chirurgien de profession, dit d’ailleurs à ses élèves que la chirurgie et la médecine sont deux choses différentes : la médecine se concentre avant tout sur les membres internes du corps, alors que la chirurgie traite des affections externes, comme les blessures, les fractures, les abcès, ou encore les ulcères.

Grand chirurgien, Guillaume pratique à l’hôpital Saint-Esprit et est médecin de Simon IV de Montfort 1160-1218). Des notes de cours prises vers 1220 par un de ses étudiants nous laissent quelques indices sur la vie et les méthodes de chirurgie de son maître. Il est dit que Guillaume est marié, possède un grand savoir, est admiré par les maîtres régents de la faculté de médecine et donne des cours privés à Montpellier88. Toujours selon l’auteur, sa renommée attire des étudiants de partout, principalement de la faculté de médecine, qui viennent apprendre la chirurgie pendant leurs vacances scolaires à Noël et à Pâques. Par ailleurs, fait intéressant, le disciple de Guillaume relève que ce dernier n’enseigne pas de la même manière que les maîtres à la faculté de médecine. Au lieu de faire une simple lecture de texte, Guillaume ajoute ses propres commentaires, ses opinions personnelles, en contredisant certaines méthodes d’auteurs notoires comme Ruggiero Frugardi, chirurgien de l’école de Salerne.

Les chirurgiens, n’étant pas reconnus à la faculté de médecine et ne pouvant enseigner la chirurgie, se contentent de donner des cours d’anatomie. Un exemple nous vient du chirurgien de profession, Henri de Mondeville, au tout début du XIVe siècle. Selon l’incipit d’un cours d’anatomie en 1304, il enseigne cette matière à la faculté de Montpellier :

« In nomine domini Amen, incipit anathomie quae spectat ad cyrurgicum instrumentum,

ordinata in monte pessulano a magistro hinrico de monda villa, illustrissimi regis

francorum cyrurgico, ad instantiam quorundam venerabilium scolarium medicinae, secundum quod ostensa fuit et prosecuta sensibiliter et publice coram ipsis anno MCCCIV »89.

Les chirurgiens ont donc une place limitée à l’université, mais leurs œuvres, toutefois, sont lues et étudiées. En effet, en 1340, la faculté de médecine publie un nouveau programme dans lequel sont inclus des textes chirurgicaux. La chirurgie fait désormais partie des matières vues, mais les chirurgiens n’ont toujours pas leur place puisque cette matière peut être enseignée par les maîtres de médecine sans avoir à créer une chaire spéciale de chirurgie90. Bernard de Gordon, par exemple, maître à Montpellier au XIVe siècle, fait souvent référence aux œuvres chirurgicales dans son œuvre Lilium medicine, très populaire parmi les médecins et étudiants. Néanmoins, ces lectures (telles que des parties du Canon d’Avicenne et le De ingenio sanitatis) sont avant tout des lectures complémentaires, données souvent par des bacheliers et ne se retrouvent pas aux examens91.

Nous pouvons ainsi nous demander pour quelles raisons Montpellier interdit aux maîtres chirurgiens d’enseigner leur profession, alors que les universités en Italie (Bologne, Padoue, Ferrare, etc.), mais aussi au nord-est de l’Espagne comme à Lérida donnent des cours sur la chirurgie. Ces cours, comme à Bologne par exemple, ont toutefois une chaire séparée de la médecine et les cours d’anatomie continuent à faire partie des cours de médecine. D’autre part, le grade de chirurgien reste d’un rang inférieur : si un étudiant réussit les examens en médecine, il est reconnu comme étant compétent en chirurgie, mais celui qui réussit en chirurgie, à l’inverse, ne peut offrir des traitements médicaux92.

Le métier de chirurgien est, par conséquent, à la fois apprécié et mal considéré. Apprécié, car l’anatomie chez les chirurgiens aide les médecins à comprendre la physiologie. Mal considéré, car, comme l’explique Guillaume de Congenis, « les chirurgiens […] avant de maîtriser la

89 DUMAS Geneviève, Santé et société à Montpellier à la fin du Moyen Âge, …, p. 95. 90 Cette hypothèse est ressortie d’une discussion avec M. McVaugh que je remercie. 91 DUMAS Geneviève, Santé et société à Montpellier à la fin du Moyen Âge, …, p. 92.

technique [chirurgicale] tuent beaucoup de personnes »93. Le IVe concile du Latran avait d’ailleurs interdit cette pratique en 1215 aux clercs : « Que le sous-diacre, le diacre, le prêtre s’abstiennent d’exercer l’art du chirurgien qui pratique brûlure et saignée […] »94. Ce métier engendrait en effet un risque mortel si la chirurgie était trop complexe ou se passait mal. Pourtant, ce n’est pas que les chirurgies sont compliquées ou trop invasives. En effet, les praticiens hésitent toujours lorsqu’il s’agit de faire des procédures invasives. Ils ne font que les plus petites chirurgies, celles qui sont les moins dangereuses, comme soigner une hernie ou procéder à une opération de la cataracte95. Enfin, elle impliquait également d’étudier la dissection, pratique controversée si elle se faisait sur un corps humain.

Certaines autorisations, toutefois, au XIVe siècle, seront accordées de façon exceptionnelle. Par exemple, Guy de Chauliac, chirurgien connu et auteur de La grande chirurgie, un traité publié en 1363, réalise publiquement des autopsies de pestiférés, pratique autorisée par le Clément VI afin d’enrayer l’épidémie. Il reste que les chirurgiens de renom ont étudié la médecine avant de se diriger vers ce métier, puisque comme le conseillait Guy de Chauliac (m. 1368), le chirurgien idéal devrait avoir étudié la médecine et les arts et pas seulement la chirurgie96. Une autre raison qui pousserait Montpellier (et Paris) à exclure une chaire en chirurgie est peut-être due à une mentalité conservatrice : l’art de la chirurgie reste aux XIIIe-XIVe siècles un métier faisant partie des arts mécaniques, opposés aux arts libéraux.

Ainsi, aux XIIIe et XIVe siècles, l’université de Paris a un statut éminent par ses facultés des arts et de théologie qui suivent un programme long et bien précis et où les candidats doivent passer par des examens difficiles pour réussir les grades. Les studia parisiens ont une place particulière également par leurs correctoires et leurs études théologiques qui montrent l’importance de l’enseignement et de l’étude des textes originaux grecs et hébreux. Pour ce qui est de Montpellier – et nous pourrions même dire la faculté de médecine – elle tient une place importante dans l’histoire de la médecine au Moyen Âge. Le cursus des études dans ce domaine

93 McVAUGH Michael R., « When Universities First Encountered Surgery », …, p. 20.

94 FOREVILLE Raymonde, Latran I, II, III et Latran IV, Paris, Éditions de l’Orante, 1965, no18, p. 358. 95 McVAUGH Michael R., « When Universities First Encountered Surgery », …, p. 16.

est moins long que celui de théologie et plus libre, mais elle implique un stage en milieu professionnel. Ce qui rapproche significativement les universités de Paris et de Montpellier, outre leur prestige, est la présence non moins négligeable dans ces mêmes villes de centre d’études juives prédominantes. Comme pour leurs analogues du côté chrétien, elles vont se spécialiser en études exégétiques et bibliques à Paris et en médecine et en astronomie à Montpellier et dans ses environs.