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6.   Cohabitation judéo-chrétienne au XIII e siècle 25

6.4.   Les communautés juives en France 34

6.4.4.   Unité chez les juifs ? 41

6.4.4.3.   Ashkénazes et sépharades 43

Les juifs du Moyen Âge occidental se divisent principalement en deux grandes catégories : ashkénaze, pour tout ce qui touche les pays rhénans, et sépharade pour la Péninsule ibérique. La différence entre eux se voit dans la culture, l’observance religieuse, les coutumes et le langage153. Cette catégorisation est cependant générale, puisqu’au sein même de cette division se forment d’autres groupes.

La thèse qui stipule qu’il n’existe aucun lien culturel entre les ashkénazes et les sépharades est de plus en plus contestée, puisque de nombreuses sources témoignent d’un échange entre eux154.

151 SCHWARZFUCHS Simon, « L’opposition Tsarfat-Provence : La formation du judaïsme du nord de la France »,

dans NAHON Gérard, TOUATI Charles (éd.), Hommage à Georges Vajda, Études d’histoire et de pensée juives, Louvain, 1980, p. 141; TWERSKY Isadore, Rabad of Posquières, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1962, p. 233.

152 SHATZMILLER Joseph, Recherches sur la communauté juive de Manosque au Moyen Âge, 1241-1329, Paris-

La Haye, 1973, p. 12.

153 ROTH Norman, Daily life of the Jews in the Middle Ages, …, p. 4.

154 SARFATY Michel, « Autour d’Abraham Ibn Ezra : Contacts entre la France du nord et l’Espagne », dans

NAHON Gérard, NICOLAS Elie (éd.), Rashi et la culture juive en France du Nord au moyen âge, Paris-Louvain, E. Peeters, 1997, p. 34.

Nous pouvons penser, par exemple, aux déplacements constants des étudiants qui cherchent à s’instruire auprès des meilleurs maîtres à travers les pays d’Ashkénaz, de Tsarfat, de Provenz et d’Espagne. Il semblerait toutefois que, lorsque de grandes écoles (yeshiva, yeshivot au plr.) ont ouvert leurs portes à Worms ou à Mayence, les ashkénazes ont pris leur distance de leurs homologues sépharades155.

Néanmoins, Zimmels suggère une chronologie qui s’étend du Xe siècle à l’expulsion des juifs d’Espagne, en 1492, pour montrer cette influence mutuelle. Selon lui, du Xe siècle à la mort de Maïmonide en 1204, les sépharades influencent les juifs ashkénazes. Puis, de la mort de Maïmonide à l’arrivée de R. Asher b. Yehiel en Espagne, en 1304, on retrouve une mouvance réciproque. Du temps de ce dernier jusqu’en 1391, Zimmels constate un changement : les ashkénazes dominent la scène intellectuelle. Enfin, de 1391 à l’expulsion 1492, les contacts deviennent très rares du fait des nombreuses persécutions et des expulsions156. Cette chronologie est assez schématique et simplifiée et nous pouvons nous demander quelles raisons ont motivé l’historien sur les choix des dates. L’intérêt toutefois est de voir la mouvance des influences entre ces deux cultures et les liens qui existaient entre eux.

Enfin, l’existence de synodes réunissant les plus éminents savants d’Occident montre bien qu’il n’existe pas de coupure entre les mondes ashkénaze et sépharade157. Ces synodes sont des réunions dans lesquels le représentant de chaque communauté, ashkénaze et sépharade, discute d’affaires d’intérêt général. Selon la liste, entre 1150 et 1643, dix-sept synodes ont lieu, les plus fréquents se situant entre 1150 et 1270. Les réunions se font surtout à Troyes et dans les villes en Ashkénaz, à l’exception de Barcelone choisie en 1354.

Au fil des siècles, les rites, les coutumes et les mentalités éloignent peu à peu les ashkénazes des sépharades, ou si l’on veut, les juifs de Tsarfat (Royaume de France) de ceux de Provenz et

155 GRABOÏS Aryeh, « L’expansion de l’influence séfarade dans les pays transpyrénéens aux XIe-XIIIe siècles »,

dans Espacio, Tiempo y Forma, Serie III, H. Médiéval, vol. 6, 1993, p. 35.

156 ZIMMELS Hirsch Jakob, Ashkenazim and Sephardim: their relations, differences, and problems as reflected in

the Rabbinical responsa, Londres, Oxford University Press, 1958, p. 11.

d’Espagne158. Il existe des communautés autonomes au nord des Pyrénées, par exemple, avec leurs propres coutumes et méthodes d’enseignement de telle sorte qu’aux XIIe et XIIIe siècles, ces dernières ont déjà leur propre identité et leur spécificité159.

De nombreuses divisions dans la culture et le mode de vie au sein des communautés juives de

Tsarfat et de Provenz se font sentir au Moyen Âge central160. Un bon exemple nous vient du manuscrit Heb. Add. 507.1, aux folios 69a-79b : Lorsque les tossafistes ont décrété que tous les juifs devront lire la Bible avec uniquement les commentaires de Rashi, Asher ben Gershom, habitant au sud de la France, s’est exclamé : « Si vous voulez l’imposer, à vous et aux vôtres, vous en avez parfaitement le droit, mais qui vous autorise à en faire autant pour nous sans notre accord ? »161.

Un autre exemple montre cette incompréhension de l’Autre et le « choc de culture » lorsqu’ils se rencontrent : les juifs du nord des Pyrénées ont suivi la coutume chrétienne qui interdit la polygamie, alors que dans la Péninsule ibérique, il est possible de prendre une deuxième épouse. Ainsi, lorsque Moïse de Coucy quitte le nord de la France vers l’Espagne en 1236, il compare cette pratique aux cultes des idoles162. Dans le même courant d’idée, le tossafiste et petit-fils de Rashi, R. Jacob Tam (1100-1171), semble avoir peur des influences juives étrangères et s’indigne lorsque l’ancien membre du tribunal rabbinique de Narbonne, Meshullam de Melun, refuse de suivre certaines coutumes et méthodes des maîtres du nord de la France163.

158 LEROY Béatrice, L’Aventure séfarade : de la péninsule Ibérique à la diaspora, Paris, Albin Michel, 1986, p.

106.

159 GRABOÏS Aryeh, « L’expansion de l’influence séfarade …, p. 54.

160 ZIMMELS Hirsch Jakob, Ashkenazim and Sephardim …, p. 1; ROTH Norman, Daily life of the Jews in the

Middle Ages, …, p. 4.

161 SHATZMILLER Joseph, « Les tossafistes et la première controverse maïmonidienne », dans NAHON Gérard,

NICOLAS Elie (éd.), Rashi et la culture juive en France du Nord au moyen âge, Paris-Louvain, E. Peeters, 1997, p. 61. Voir Asher ben Gershom, manuscrit Heb. Add. 507.1, fol. 69a-79b, University of Cambridge Library,

Angleterre.

162 GAMPEL Benjamin R., « Lettre à un maître indocile : Les mutations de la culture séfarade en Ibérie

chrétienne », dans BIALE David (éd.), Les cultures des juifs: une nouvelle histoire, Paris, Éditions de l’Éclat, 2005, pp. 375-376.

Enfin, la différence entre certaines communautés juives se voit également dans l’enseignement. Alors que les juifs d’Espagne et de Provenz se concentrent principalement dans la poésie, la philosophie, le mysticisme, les décisions juridiques et les codes de loi juridique, les juifs de

Tsarfat étudient plutôt les gloses talmudiques de Rashi, le Talmud (et donc la halakhah et le midrash), ainsi que le Tanakh (l’Ancien Testament)164.