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Chapitre I Éducation : universités, studia et yeshivot 53

1.   Universités et studia 54

1.1.   L’université de Paris (1215) 54

1.1.1.   Vers une autonomie 55

C’est entre 1200 et 1215 que nait progressivement l’université de Paris, à la fois par la volonté des maîtres d’une plus grande indépendance, pour profiter d’une organisation institutionnelle, et par les intentions personnelles de Philippe Auguste et du pape. En effet, le roi de France et le pontife voyaient en cette institution naissante une source de prestige pour le royaume en matière de justice et d’administration. C’est ainsi qu’en 1200, à la suite d’un incident sanglant entre des élèves et des sergents du roi, Philippe Auguste accorde un privilège solennel aux étudiants et aux maîtres, les plaçant sous sa sauvegarde. Les écoles de Paris reçoivent de ce fait leurs premiers privilèges, celui de ne relever que de la justice ecclésiastique4. Pour ce qui est des papes de la première moitié du XIIIe siècle5, ils favorisent grandement la consolidation des universités en encourageant notamment leur autonomie notamment en leur octroyant bénéfices et revenus ecclésiastiques6. Pour ces derniers, ces universitates étaient un lieu pour bien former clercs et prédicateurs (l’instruction des techniques argumentatives, par exemple), pour instruire aussi leurs administrateurs, lutter contre les hérésies et ainsi, peut-être, avoir un contrôle sur l’ensemble de la chrétienté.

Entre 1200 et 1215, la communauté de maîtres et étudiants parisiens commence à établir des règles pour l’enseignement, le cursus, les statuts particuliers et les examens. Cette mutation fait germer de nombreuses contestations chez l’évêque et le chancelier du chapitre de Notre-Dame qui perdent leur autorité sur les écoles. La volonté d’Innocent III de contrôler certaines écoles, pour répondre aux besoins de l’Église, rencontre le désir des maîtres et des étudiants parisiens qui veulent sortir de l’emprise des autorités ecclésiastiques locales7. Durant la préparation du IVe concile du Latran (1215) la décision du pape, concernant les écoles et l’enseignement, vient donc jouer en faveur des maîtres. Innocent III réalise que le système des écoles ecclésiastiques

4 BALDWIN W. John, « Le contexte politique et institutionnel », dans VERGER Jacques et WEIJERS Olga (éds.)

Les Débuts de l’enseignement universitaire à Paris, Turnhout, Brepols, 2013, pp. 20-21.

5 Innocent III (1198-1216), Honorius III (1216-1227), Grégoire IX (1227-1241) et Innocent IV (1243-1254). 6 VERGER Jacques, « Que sait-on des institutions universitaires parisiennes avant 1245 ? », …, p. 40. 7 VERGER Jacques, L’essor des universités au XIIIe siècle, …, pp. 52-53.

doit être renouvelé en le réformant et en l’améliorant. C’est ainsi que les maîtres, avec l’aide du pape et du cardinal-légat Robert de Courson (m. en 1218), mettent en place une réforme appelée

reformatio in melius. La lettre fixe solennellement la structure institutionnelle nouvelle qui est

désormais celle d’une université8. Les disciplines sont séparées et les programmes sont définis, avec un cursus obligatoire et des examens finaux. La position et les revenus des maîtres sont également garantis. La lettre se tourne ensuite vers les règlements vestimentaires, l’assistance aux obsèques des maîtres ou des étudiants décédés et à certaines interdictions, comme l’interdiction des banquets lors des examens9. Un interdit est également rappelé par le légat, celui d’enseigner les livres d’Aristote sur la métaphysique et les doctrines de certains maîtres : « Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia, nec summe de eisdem,

aut de doctrina magistri David de Dinant, aut Amalrici heretici, aut Mauricii hyspani »10. Cette lettre est d’une importance considérable puisque, désormais, la communauté de maîtres et étudiants est présentée comme autonome, une véritable corporation (universitas magistrorum et

scolarium Parisiensium11).

Elle n’acquiert toutefois pas, à ce moment-là, son statut d’autorité intellectuelle. Les écoles primaires existent toujours et plusieurs centres d’enseignement supérieur perdurent (école de Saint-Victor, école de Sainte-Geneviève, ou encore école des chartes)12. Il faut attendre après la grève universitaire de 1229, déclenchée à la suite d’un affrontement sanglant dans une taverne entre étudiants et sergents du roi, pour que l’université demande justice, puisque le privilège de protection, accordé en 1200 par Philippe-Auguste, a été transgressé. Mais elle ne l’obtient ni de l’évêque de Paris ni de la régente Blanche de Castille et décide de se mettre en grève. Les étudiants et les maîtres de l’université se dispersent alors volontairement en dehors de Paris (vers Orléans, Angers et Oxford) jusqu’en 1231. Cette année-là, en date du 13 avril, Grégoire IX

8 VERGER Jacques, « Que sait-on des institutions universitaires parisiennes avant 1245 ? », …, p. 34.

9 Chartularium universitatis parisiensis [désormais CUP], éd. H. DENIFLE et E. CHATELAIN, Bruxelles, 1889,

vol. 1, no 20, p. 79.

10 CUP, I, …, no 20, pp. 78-79. 11 CUP, I, …, no 20, p. 79.

réussit à reprendre en main les négociations et fait revenir officiellement les étudiants et les maîtres à l’université par la bulle papale Parens scientiarum.

Cette bulle, qui devient également la « grande charte » de l’université, donne à cette dernière un caractère de prestige et de respect : « […] Parens scientiarum Parisius velut altera Cariath

Sepher, civitas litterarum, cara claret, magna quidem sed de se majora facit optari docentibus et discentibus gratiosa […] »13. Grégoire IX reconnaît que l’université de Paris est une autorité intellectuelle respectée et centrale dans toute la chrétienté. Par conséquent, à partir de 1231, l’université devient une institution à maturité, jouissant d’une forte indépendance et d’une autorité doctrinale sans conteste, en union étroite avec le pape.

Au début du XIIIe siècle, l’université de Paris regroupe trois facultés, celles des arts, de théologie et de droit. L’école de médecine ne fait pas encore partie d’une faculté indépendante, mais en 1213, les maîtres en médecine sont reconnus et ont des centres d’étude connexes à l’université. Il faut attendre au moins jusqu’en 1270 pour qu’elle acquière un seau corporatif14. Les facultés de médecine et de droit ne sont toutefois pas à la hauteur de leurs concurrentes à Montpellier ou à Bologne. C’est surtout celles des arts et de théologie qui vont rayonner à Paris.