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Chapitre I Éducation : universités, studia et yeshivot 53

1.   Universités et studia 54

1.1.   L’université de Paris (1215) 54

1.1.2.   Faculté des arts, faculté de théologie 57

1.1.2.1.   Cursus, examens et diplômes 57

Dès le début de l’université, afin de donner plus de régularité à l’enseignement, des mesures sont mises en place pour garantir le niveau et l’orthodoxie de l’enseignement : séparation des disciplines, instauration d’un cursus, d’un calendrier d’études, d’examens et de diplômes officiels. Exceptés les religieux qui étudient dans les écoles de leur ordre, les étudiants

13 CUP, I, …, no 79, pp. 136-137.

14 RASHDALL Hastings, The Universities of Europe in the Middle Ages, Oxford, Clarendon Press, vol. I, 1936,

s’inscrivent d’abord à la faculté des arts. C’est ce qu’informe, en août 1215, le cardinal-légat Robert de Courçon dans sa lettre destinée aux étudiants et aux maîtres de l’université de Paris : « Nullus legat Parisius des artibus citra vicesimum primum etatis sue annum, et quod sex annis

audierit de artibus ad minus, antequam ad legendum accedat […] » 15. Elle donne un enseignement complet et les prépare à l’enseignement supérieur. L’étudiant commence donc son cursus au baccalauréat, étape qui dure au moins six ans et qui consiste à « écouter » (audierit

de artibus), à la suite de quoi, il passe la licence. Après les examens de la licence, le candidat

poursuit à la maîtrise ès arts et commence la « lecture »16. Il peut, après cela, choisir entre devenir maître et d’enseigner à la faculté des arts ou passer aux études supérieures à la faculté de médecine, de droit ou de théologie.

À la faculté de théologie, l’étudiant arrive avec un bagage solide en philosophie, mais il a encore de nombreuses années d’études devant lui qu’il est possible de diviser en trois étapes. À la première étape, l’étudiant est considéré comme étant un audiens, c’est-à-dire qu’il agit en tant que spectateur lors des disputes, lit les textes demandés et se contente d’assister aux cours. Au bout de sept ou huit ans et ayant au moins vingt-cinq ans, il passe l’examen pour devenir bachelier. Là commence la deuxième étape. En tant que bachelier, l’étudiant doit passer par trois phases : comme baccalarii biblici, il doit lire et commenter la Bible pour les étudiants débutants ; à la deuxième phase, en tant que sententiarii, il commente les Sentences de Pierre Lombard ; puis pour la dernière phase, comme baccalarii formati, il assiste le maître dans son enseignement et dans les disputes et peut donner des sermons universitaires. Il participe ainsi aux disputes en tant que opponens, puis en tant que respondens et apprend et commence à enseigner les cours extraordinaires (lectio cursoria)17. Le baccalauréat nécessite au moins cinq

15 CUP, I, …, no 20, p. 78. 16 CUP, I, …, no 20, p. 78.

17 VERGER Jacques, « L’exégèse, parente pauvre de la théologie scolastique ? », dans HAMESSE Jacqueline (éd.)

Manuels, programmes de cours et techniques d’enseignement dans les universités médiévales, Louvain, Institut

d’Études Médiévales de l’Université Catholique de Louvin, 1994, p. 39 ; COURTENAY William J., « Programs of Study and Genres of Scholastic Theological Production in the Fourteenth Century », dans HAMESSE Jacqueline (éd.) Manuels, programmes de cours et techniques d’enseignement dans les universités médiévales, Louvain, Institut d’Études Médiévales de l’Université Catholique de Louvin, 1994, p. 330 ; WEIJERS Olga, « Le cursus des études et le cadre institutionnel et intellectuel chrétien », dans SIRAT Colette, KLEIN-BRASLAVY Sara,

années d’études pour arriver à la maîtrise. En tant que magister, l’étudiant fait partie du corps enseignant (regens) et donne des lectures « ordinaires » tout en dirigeant des disputes. Néanmoins, selon la lettre du régent Robert de Courçon, il faut avoir au moins trente-cinq ans (« tricesimum quintum »18) avant de devenir maître à la faculté de théologie et pouvoir enseigner dans cette faculté.

La longueur des études en arts et en théologie peut surprendre, toutefois, comme le mentionne Courtenay, en 1215, il n’est peut-être pas obligatoire pour les théologiens de suivre tout le parcours de la faculté des arts19. Mentionnons que les mendiants passent un an de moins à la faculté de théologie : « studentes in theologia, si sint seculares, habent ibi audire per septem

annos antequam admittantur ad lecturam Biblie, sed regulares admittuntur in sexto anno »20. Enfin, au cours des XIIIe et XIVe siècles, les années d’études sont réduites à la faculté des arts, alors qu’à la faculté de théologie les années semblent s’allonger.

La particularité de la faculté des arts est la répartition des étudiants par nations : nation picarde, normande, anglaise et française. La nation française regroupe tous les étudiants restants, dont ceux de Provence, d’Italie et d’Espagne21. Cette faculté reste toutefois faculté de transition comme le souligne cet ancien dicton « on ne doit pas vieillir à la faculté des arts » (non est

senescendum in artibus)22. Ce statut ne fera qu’engendrer une tension constante entre les artiens et les théologiens d’autant plus que, lieu de passage obligé pour tous les étudiants, la faculté des arts est la plus fréquentée, mais les maîtres y sont les moins bien payés.

WIJERS Olga, Les méthodes de travail de Gersonide et le maniement du savoir chez les scolastiques, Paris, Libr. philosophique J. Vrin, 2003, p. 30.

18 Nous lisons trente-cinq ans et non trente-quatre ans comme le propose J. Verger dans « L’exégèse, parente pauvre

de la théologie scolastique ? », …, p.35.

19 COURTENAY William J., « Programs of Study and Genres of Scholastic Theological Production in the

Fourteenth Century », …, p. 330.

20 CUP, II, …, p. 692, no 1188.

21 GLORIEUX Palémon, La faculté des arts et ses maîtres au XIIIe siècle, …, p. 54.

22 Sur le dicton relatif aux études à la faculté des arts, voir VAN STEENBERGHEN Fernand, « Réponse à une

À l’université de Paris, l’horaire est assez chargé. Le premier cycle de cours (le « grand ordinaire ») commence du 1er octobre et finit à Pâques. Les examens ont lieu normalement pendant le Carême. Suit un second cycle, plus court, appelé « petit ordinaire » jusqu’en juillet, mais qui peut s’étirer jusqu’en août si les bacheliers n’ont pas terminé leurs lectures. En règle générale, les journées sont divisées en trois : le matin, les élèves assistent aux cours ordinaires qui sont des leçons approfondies et personnelles des maîtres ; en après-midi, les élèves se dirigent vers les cours cursifs (lectio cursoria), appelés aussi extraordinaires, donnés souvent par les bacheliers ; puis les étudiants, possiblement dans leurs hospices, répètent ensemble la matière apprise durant la journée23.

Les statuts officiels réunis dans le Chartularium Universitatis Parisiensis donnent de précieuses informations relatives aux examens et aux grades. Nous pouvons constater en effet qu’au début des universités, seule l’obtention d’un grade permet d’accéder à licence d’enseigner (licentia

docendi), mais très vite, les examens prennent une place centrale pour l’accréditation du grade.

Au début du parcours scolaire, le futur étudiant à la faculté des arts n’a pas besoin de passer un examen d’entrée. Toutefois, chaque étudiant doit avoir son propre maître, auprès duquel il s’inscrit et qui sera, tout au long de ses études, responsable de lui. En ce qui concerne les examinateurs, les statuts de la nation anglaise de 1252 prouvent qu’ils sont choisis avec soin : « […] qui tactis sacrosanctis jurent quod eligent tres magistros sine odio vel amore alicujus

persone aut partis alicujus sue nascionis, quos rigidiores et utiliores ad examinandum fideliter esse cognoverint […] »24.

Pour ce qui est des épreuves, le premier examen semble être celui du baccalauréat, mais avant de le passer, l’étudiant doit assister aux disputes solennelles pendant deux ans, « répondre aux

23 WEIJERS Olga, Le maniement du savoir. Pratiques intellectuelles à l’époque des premières universités (XIIIe -

XIVe siècles), Belgique, Brepols, 1996, p. 51.

sophismes »25 pendant deux ans et « répondre à la question »26 pendant un an27. De plus, pour être éligible aux examens du baccalauréat, le candidat doit impérativement avoir au moins vingt ans (viginti annorum), avoir fini sa cinquième année d’étude à la faculté des arts et jurer d’avoir étudié l’ensemble des livres obligatoires (in forma)28. Cet examen comprend deux parties : la première, examinatio in communibus, se passe devant une commission de cinq membres, constituée du chancelier et d’un maître de chaque nation. Le maître responsable du candidat présente son étudiant à la commission des examinateurs en leur assurant de ses aptitudes. Si la commission accepte le candidat, ce dernier prononce plusieurs serments et reçoit la licence de « déterminer » et peut poursuivre avec le second examen. Lors de cette dernière épreuve, appelée l’examinatio in propriis ou in cameris, l’étudiant doit participer aux disputes pendant la période du Carême. Là, les chercheurs ne sont pas du même avis. Certains, tel J. A. Weisheipl, pensent que le candidat passe plusieurs épreuves avant l’examen qui consiste à diriger une dispute, puis à donner sa solution. D’autres, tels Rashdall et Tanaka, estiment plutôt qu’il doit d’abord répondre aux questions qui touchent les livres étudiés29.

Quoi qu’il en soit, avant de se présenter à la cérémonie, le candidat doit impérativement obtenir la licentia incipiendi. La cérémonie elle-même est composée de deux parties : Les vesperie qui consistent en une dispute dans laquelle le candidat joue, pour la dernière fois, le rôle de l’étudiant en tant que respondens ; et le lendemain, il participe à la cérémonie de l’inceptio, dans laquelle il prend le rôle de maître dans une cérémonie officielle. Par la suite, il reçoit la barrette professorale, un anneau et un livre, signes de sa dignité, et s’assoit sur la chaise magistrale nommée cathedra, un geste symbolique qui signifie que l’étudiant fait désormais partie du corps des maîtres30. Après avoir passé cette cérémonie, le nouveau maître a pour obligation de tenir des disputes pendant quarante jours et est obligé par serment de donner des cours dans son

25 L’expression Respondere de sophismatibus désigne les exercices scolaires, sous formes de discussion, de

grammaire et de logique. Voir WEIJERS Olga, La ‘disputatio’ dans les Facultés des arts au moyen âge, Turnhout, Brepols, 2002, p. 59.

26 Il s’agit des commentaires sous formes de questiones. Voir WEIJERS Olga, La ‘disputatio’ dans les Facultés

des arts au moyen âge, …, p. 25.

27 CUP, I, no 201, p. 228. 28 CUP, I, no 201, p. 228.

29 WEIJERS Olga, Le maniement du savoir…, pp. 117-118. 30 WEIJERS Olga, Le maniement du savoir…, p. 120.

université pendant deux ans31. Un étudiant qui obtient la licence, mais sans réussir l’inceptio ne peut avoir le titre de magister et est appelé licentiatus.

En ce qui concerne les examens à la faculté de théologie, nous n’avons pas, comme pour la faculté des arts, des mentions explicites des différents types d’examens pour passer un grade. Celui de la licence nous est toutefois connu. L’étudiant doit participer et diriger plusieurs disputes sur des questions qu’il a préalablement choisies32. L’obligation de passer par des épreuves à chaque grade et la description de chacune d’elles dans les statuts témoignent donc de l’importance accordée aux études. Dans la même veine, les statuts d’août 1215 et de mars 125533 instaurent des programmes de plus en plus diversifiés et la prescription d’œuvres obligatoires.