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Chapitre 2 : L’acquisition de la compétence sociolinguistique en L2

2.2. Facteurs d’acquisition de la compétence sociolinguistique

2.2.1. Facteurs identitaires

D’après certaines études portant sur l’acquisition de la compétence sociolinguistique, celle-ci peut être influencée par différents facteurs sociaux et individuels, tels que la motivation, l’identité sociale, ou encore le genre. L’étude de Mougeon, Nadasdi et Rehner (2010) et celle de Regan, Howard et Lemée (2009) ont notamment permis d’attester de l’existence de ces facteurs extralinguistiques qui favorisent l’acquisition de la compétence sociolinguistique ou qui interviennent, au contraire, comme obstacles au cours de cette acquisition. Martyn et Diskin (2016) soulignent par ailleurs que le courant de recherche en SLA s’intéresse aujourd’hui davantage au rôle de l’identité, du genre, de la classe sociale, de l’appartenance à une communauté, ou encore du statut de migrant dans l’acquisition d’une langue étrangère. Cette section présente différents facteurs liés aux diverses identités qui définissent un individu-apprenant et qui sont souvent influencées par la sphère sociale. Le choix des facteurs présentés ici vient des différentes lectures effectuées dans le cadre du présent travail, et notamment des ouvrages d’Ellis (1994) et de Regan, Howard et Lemée (2009).

Ellis (1994 : 199) indique que les apprenants d’une langue manifestent différentes attitudes à l’égard de la langue cible, de la communauté de locuteur de la langue cible, de la ou les culture(s) associée(s) à la langue cible, de la valeur sociale qu’implique l’apprentissage de cette langue cible, des usages particuliers dans la langue cible et d’eux-mêmes en tant que

30 membres de leur propre culture qui n’est pas celle de la langue cible. Il ajoute que ces différentes attitudes ont un impact sur l’apprentissage et le niveau de maitrise de cette langue et qu’elles peuvent prédisposer les apprenants à s’investir ou non dans l’apprentissage et à acquérir certains traits relevant, par exemple, de ce qui correspond d’après lui au « bon » ou au « mauvais » usage. Norton Peirce (1995) indique quant à elle que les attitudes langagières d’un individu peuvent être liées à l’identité ou aux identités qu’il construit pour lui-même dans sa relation à la L2 et avec la communauté de locuteurs de la L2. Son étude longitudinale de 1995 met en évidence que la volonté de préserver une certaine identité, la peur du rejet et des aprioris de la communauté de la L2, ou encore le désir de montrer son appartenance à un groupe, peuvent influencer l’attitude du locuteur L2 à l’égard de la langue cible et à l’utilisation qu’il fait de cette langue cible et de certaines particularités de celle-ci. L’étude de Norton Peirce (1995) examine les attitudes et l’identité sociale de plusieurs femmes immigrées au Canada et fait le constat que l’identité sociale d’un individu est dynamique et tend à changer dans le temps et l’espace. Une des femmes de l’étude est une immigrée polonaise qui, initialement, ne se considérait pas comme une locutrice légitime de l’anglais et qui limitait les échanges dans le pays d’accueil, en particulier avec la communauté de la L2. Or, avec le temps, elle s’est perçue finalement comme une citoyenne multiculturelle et s’est sentie légitime de s’exprimer en anglais. Il ressort de cette étude que l’identité sociale est un lieu de luttes et que les attitudes langagières d’un individu affectent l’usage de la langue.

Ellis (1994) indique que la motivation, c’est-à-dire l’engagement de l’apprenant dans son apprentissage ou son acquisition d’une L2, est un facteur extralinguistique déterminant dans l’acquisition d’une langue étrangère. L’auteur ajoute que ce facteur est envisagé comme influençant également plus spécifiquement l’acquisition de la compétence sociolinguistique.

Ellis (1994) souligne encore que la motivation est hautement variable durant le processus d’apprentissage, car elle est susceptible de changer avec le temps, ainsi que selon le contexte et les raisons d’apprentissage. Regan, Howard et Lemée (2009) indiquent eux aussi que la motivation est un facteur très important dans l’apprentissage d’une L2 et que « students who seek out active interactive situations may be more highly motivated than learners who do not »14 (2009 : 43). Dans l’apprentissage d’une L2, la motivation est liée aux attitudes langagières, car, comme le souligne Ellis (1994), les représentations positives ou négatives que les apprenants ont sur eux-mêmes vis-à-vis de la langue cible et sur les locuteurs de celle-ci déterminent la

14 « les apprenants qui cherchent à se retrouver dans des situations d’interaction active peuvent être considérés comme étant très motivés comparés aux apprenants qui ne cherchent pas ces situations d’interaction » [traduction personnelle].

31 façon dont ils s’impliquent dans leur apprentissage. Ellis (1994) indique de plus que la motivation influence le comportement de l’apprenant dans son apprentissage de la L2. Selon lui, l’apprenant aura notamment tendance à participer davantage en classe, à prendre part à un conversation et à employer la langue de manière générale.

L’identité sociale d’un individu, nous l’avons vu, est un facteur qui peut affecter considérablement l’acquisition d’une langue étrangère, puisqu’un locuteur-apprenant peut, par exemple, se sentir légitime ou non dans une communauté et s’identifier ou non comme locuteur de cette L2. Selon Regan, Howard et Lemée (2009), l’identité qui est conférée à un individu dans une communauté ou une sphère sociale peut affecter son statut de locuteur d’une langue.

En effet, comme le soulignent Norton Peirce et Toohey (2011 : 414), « power in the social world affects learners’ access to the target language community, and thus to opportunities to practice listening, speaking, reading, and writing, widely acknowledged as central to the SLA process »15. Ces auteures ajoutent (2011 : 417) que c’est à travers le langage que l’apprenant d’une L2 est évalué par la communauté de locuteurs et que, par le biais de sa pratique de la L2, l’apprenant peut soit se voir donner l’accès à un réseau social étendu – qui lui permet de parler et de pratiquer la langue – soit, au contraire, se voir refuser l’accès à ce réseau. Regan, Howard et Lemée (2009 : 3) soulignent que la recherche récente s’est intéressée à la manière dont le locuteur d’une L2 acquiert et utilise la langue de façon à lui permettre de négocier son identité et sa place au sein de différentes communautés (celles de sa L1, L2, ou encore celle du cercle professionnel, etc.). Ils ajoutent qu’un individu est amené à modifier et changer d’identité sociale au cours de son existence, à travers les différents groupes et communautés auxquels il s’identifie. Young (1999 : 115) indique par ailleurs que le concept d’identité sociale d’un individu a été invoqué par plusieurs chercheurs comme manière de concevoir et d’expliquer les particularités du langage dans son usage ainsi que les attitudes langagières qui accompagnent cet usage.

Les études de Regan, Howard et Lemée (2009) et d’Adamson et Regan (1991) ont montré que le genre d’un individu peut également se montrer déterminant dans l’acquisition d’une L2 et dans celle de la compétence sociolinguistique en particulier. Ellis (1994) indique que le facteur porte bien sur la notion de genre, en tant que catégorisation sociale, et non pas de sexe, qui se réfère à une catégorisation biologique. Dans son étude de 1990, Labov emploie

15 « le pouvoir exercé par la sphère sociale affecte les possibilités d’accès de l’apprenant à la communauté de locuteurs de la langue cible et aux opportunités de pratiquer la compréhension et la production orales ainsi que la compréhension et la production écrites, qui sont considérées comme centrales dans le processus d’apprentissage d’une langue étrangère » [traduction personnelle].

32 le terme « sex » par souci, entre autres, de conformité avec les précédentes études, mais il prend bien pour point de départ les rôles culturels distincts des hommes et des femmes en tant que membres de la société. Labov (1990) fait état de l’existence de deux phénomènes, qui forment le « paradoxe du genre » et qui mettent en exergue l’importance du genre dans les pratiques langagières. Premièrement, Labov (1990) montre que, dans le cas de l’existence d’une norme langagière prescrite, les femmes ont tendance à préférer les formes standards plutôt que leurs équivalents non-standards dans leurs pratiques langagières et que, inversement, les hommes utilisent davantage les formes non-standards. Deuxièmement, il constate qu’au cours de changements linguistiques majeurs, les femmes utilisent davantage les nouvelles formes que les hommes. Autrement dit, Labov (1990 : 206) indique que, dans le cas où il existe une norme prescrite pour un phénomène particulier, les femmes semblent être plus conservatrices que les hommes et favorisent l’emploi des variantes perçues comme socialement plus prestigieuses, mais que dans le cas où il s’agit d’une évolution de la langue et des pratiques langagières, les femmes se montrent plus enclines à utiliser les nouvelles formes. D’après l’étude de Labov (1990 : 207), les raisons à cela semblent relever des rapports de pouvoir et de domination qui existent et persistent entre les hommes et les femmes sur la base des différences dans les rôles économiques et institutionnels qui leur sont attribués. Labov (1990 : 214) ajoute que les femmes se montrent tantôt plus conservatrices, tantôt plus innovantes en fonction des attentes établies au sein de la société, car, comparé aux hommes, les femmes s’appuient davantage sur le capital symbolique et culturel, dont la langue fait partie, puisqu’elles ont moins de possibilité de posséder de pouvoir matériel.

Concernant l’acquisition d’une langue étrangère, Regan, Howard et Lemée (2009 : 117) indiquent que le genre est considéré comme l’un des facteurs les plus importants dans le contexte d’un séjour en immersion dans un pays étranger. L’étude de Mougeon, Nadasdi et Rehner (2010) montre que les femmes en immersion dans un pays francophone font usage d’« hyper-formal and formal variants more often than do male students »16 (2010 : 131). Les auteurs font l’hypothèse que les raisons à cela peuvent être liées au modèle véhiculé par les locuteurs L1 avec qui les étudiants en immersion sont en contact. Ils supposent en effet que si les locutrices L1 du français font par exemple usage de variantes plus standards et formelles que les hommes, les locutrices L2 les prendront pour références et feront à leur tour usage des formes plus standards de la langue. Mougeon, Nadasdi et Rehner (2010 : 133) font par ailleurs l’hypothèse que les enseignants et les auteurs de matériel didactique utilisent le plus souvent

16 « de variantes hyper-formelles et formelles plus souvent que ne le font les étudiants masculins » [traduction personnelle].

33 des variantes formelles et normatives, ce qui amènent les étudiantes en particulier à se représenter ces variantes comme relevant du bon usage et à préférer les variantes utilisées en classe dans leur propre usage, pour les mêmes raisons que le font les locutrices L1 plus conservatrices mentionnées par Labov (1990). Regan, Howard et Lemée (2009) indiquent que le genre soulève également des questions liées à l’identité ou aux « identities, which women feel they should adopt or which on the contrary they refuse to adopt »17 (2009 : 117).

L’âge d’un individu est également un facteur qui peut être considéré comme déterminant dans l’acquisition et la pratique d’une langue. Ellis (1994) souligne que l’effet de l’âge dans l’acquisition d’une L2 est un sujet particulièrement controversé dans la recherche en SLA et qu’elle suscite de nombreux débats. Comme l’ajoute l’auteur, la « critical period hypothesis » (1994 : 484) fait référence à l’idée qu’il existe une période durant laquelle l’apprentissage d’une langue peut se faire de manière naturelle et sans effort et qu’après celle-ci, il n’est plus possible de l’acquérir de manière aussi complète. Ellis (1994) précise que les partisans de cette théorie situent cette période optimale d’apprentissage dans les dix premières années de vie, lorsque le cerveau possède encore une certaine plasticité. Il mentionne que de nombreuses études ont été menées pour tenter d’appuyer ou, au contraire, d’infirmer cette théorie et d’après lui, cette théorie est particulièrement mobilisée lorsqu’il s’agit d’expliquer les différences inter-apprenants.

Flege (2008), qui n’est pas partisan de la « critical period hypothesis », parle de « early learners » et de « late learners »18 pour décrire la relation des apprenants avec la L2. Comme il sera mentionné dans la section suivante (2.2.2.), l’auteur s’appuie davantage sur l’aspect d’input et de socialisation en L2 pour expliquer la différence inter-apprenants. En ce qui concerne l’étude présentée au chapitre quatre, les participants de l’étude sont des late learners, selon la définition de Flege (2008), car, comme le précise la description de leur profil (cf. section 4.2.1.), aucun des participants n’a eu de contact récurrent et notable avec le français durant l’enfance.

L’âge peut être également envisagé comme un facteur social influençant certains aspects de l’acquisition d’une L2. Concernant l’acquisition de la compétence sociolinguistique en particulier, l’étude de Chambers et Trudgill (1980), citée dans Ellis (1994), examine l’utilisation de la variante /ŋ/ par différentes générations de locuteurs en Angleterre. Chambers et Trudgill proposent d’expliquer les résultats obtenus dans le cadre de leur étude par le biais de l’âge, qui

17 « identités, que les femmes pensent devoir adopter ou, au contraire, qu’elles refusent d’adopter » [traduction personnelle].

18 Les late learners tels que définis par Flege (2008) désignent les apprenants qui n’ont pas eu de contact régulier avec la L2 durant l’enfance. Les early learners désignent, quant à eux, les apprenants qui ont débuté leur apprentissage de la L2 durant leur enfance (Flege, 2008).

34 conditionne l’étendue des réseaux et la proximité des individus à travers leurs liens sociaux. En effet, Chambers et Trudgill (1980) indiquent que les adolescents et les jeunes adultes ont souvent un réseau social important et une cohésion au sein de leur communauté que l’on retrouve très rarement à un âge plus avancé. Ils ajoutent que, dans la pratique d’une langue, la pression et l’influence exercées par les communautés de ces jeunes locuteurs peuvent être déterminantes et sont, dans la plupart des cas, nettement plus marquées que dans la tranche d’âge supérieur. Partant de cette observation et étant donné le statut de jeunes adultes des participants de notre étude, il semble pertinent d’envisager l’utilisation d’une langue et de ses spécificités à travers le prisme de l’âge et de l’effet de groupe d’individus de même âge.