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Ils proposent de plus nombre de principes ou de distinctions similaires, souvent déjà présents dans le texte de Rolin-Jaequemyns. Les trois auteurs considèrent ainsi que seul l'intérêt public peut justifier une expulsion et non l'intérêt privé de personnes ou de groupes, ce qui fait refuser par Féraud-Giraud et von Bar, de manière tout à fait explicite, l'expulsion ou le refus d'admission d'un étranger en raison de sa qualité d'agent économique pouvant entrer en concurrence avec les nationaux. Féraud-Giraud écrit ainsi que « l'expulsion ne doit jamais être prononcée dans un intérêt

privé, pour empêcher une légitime concurrence783 » ; von Bar que « (...) la protection du travail

national seul ne doit pas être regardée comme un motif suffisant de la non-admission784 ».

782 Annuaire I.D.I., volume 11, 1891, p. 319. 783 Idem, p. 277.

Le refus de toute forme de protectionnisme, l'exigence d'une libre circulation de tous les facteurs de production, ne sont pas alors choses neuves. Le fait cependant que nos deux auteurs refusent explicitement les diverses formes de protection du travail national, ce que ne faisait pas Rolin-Jaequemyns, peut s'interpréter comme une réaction à des débats en cours qui, en divers pays, amènent des forces politiques à réclamer la protection du travail national et pour ce faire, soit le contingentement des entrées des étrangers, soit la mise en place de fortes taxes pesant sur les travailleurs étrangers. L'exemple le plus connu en sont les débats français des années 1880-1890, dont l'expression la plus frappante est la brochure distribuée par Barrès, aux électeurs de l'arrondissement de Nancy à l'occasion des élections de 1893 ; brochure dans laquelle, après avoir affirmé que : « le nationalisme implique la protection des ouvriers français », il réclame une loi qui

« intervienne et entrave ces dures nécessités de la concurrence785 ».

De tels appel à des mesures restrictives, destinées à protéger les travailleurs nationaux d'une concurrence déloyale, s'entendent ailleurs qu'en France et ne restent pas toujours sans effets. Klaus Bade mentionne l'existence, dès les années 1880, de débats parlementaires en Angleterre au cours

desquels est réclamée la protection des intérêts des citoyens britanniques786 menacés par ceux des

migrants étrangers. Aux États-Unis, de tels appels sont en partie à l'origine des mesures restrictives adoptées durant les années 1880. « L'acte d'exclusion des Chinois en 1882 et la loi abolissant le régime des contrats en 1885 furent votés au Congrès à la demande expresse et quasi-exclusive des

organisations ouvrières787 », dont la préoccupation première est de protéger leurs mandants d'une

concurrence déloyale menaçant non seulement le niveau de vie des travailleurs locaux, mais aussi, par l'importation d'une main d'œuvre quasi-servile, les droits que les luttes collectives ont récemment permis de faire reconnaître - position explicitement défendue dès les années 1880 par

certaines sections du monde ouvrier, par exemple en Australie788. « Schütz der nationalen Arbeit »,

le slogan bismarckien de la fin des années 1870789, est devenu, dès les années 1880, un mot d'ordre

entendu dans tous les États d'Occident, dont certains tirent tôt la conséquence qu'il convient de protéger les travailleurs nationaux de la concurrence des migrants étrangers, même au prix d'une fermeture partielle des frontières ou d'un renvoi de partie des étrangers présents, et ils sont déjà

parfois suivis par le législateur ou les administrations nationales790.

D'accord sur la condamnation de cette évolution, les juristes de l'I.D.I. le sont aussi sur la catégorisation des formes d'expulsion. Ils distinguent ainsi, sous des termes parfois différents, l'expulsion en masse, visant une catégorie d'étrangers, ou une ou des nationalités - la plus choquante aux yeux de Rolin-Jaequemyns - et l'expulsion ordinaire ou individuelle. Tous distinguent de même expulsions de temps de paix et expulsions de temps de guerre, qu'il n'est pas possible d'entourer d'autant de garanties. Ils se séparent l'un comme l'autre de Rolin-Jaequemyns en ce qu'ils tentent de

785 Ce texte fut publié d'abord sous la forme de trois articles donnés au Figaro en mai juin et juillet 1893, qui furent ensuite réunis en brochure à l'occasion des élections de 1893. Nous citons ici d'après les extraits de ces textes repris in Barrès Maurice, Scènes et doctrines du nationalisme, Félix Juven, Paris, 1902, pp. 457-477, cité ici p. 462. 786 Bade Klaus, Migration in European History, Blackwell publishing, Oxford, 2003, p. 154.

787 Collomp Catherine, Entre classe et nation. Mouvement ouvrier et immigration aux États-Unis, Belin, Paris, 1998, p. 263

788 Alomes Stephen, A Nation at Last? The Changing character of Australian Nationalism 1880-1988, Angus and Roberston, North Ryde (NSW)/Londres, 1988, pp. 25-35.

789 Il s'agit à l'époque de justifier des mesures protectionnistes, demandées par les grands propriétaires et une partie des industriels allemands, non de promouvoir une politique d'immigration restrictive. Nous utilisons ici l'expression parce qu'il s'agit à notre connaissance de la première affirmation publique par un homme d'État conservateur de ce que la protection du travail national est une finalité de l'État. Sur le contexte voir Ullmann Hans Peter, Politik im deutschen Kaiserreich 1871-1918, Enzyklopâdie deutscher Geschichte, Band 52, Oldenburg, Munich, 2005, pp. 14-16.

790 Sur cette « grande transformation » de la fin du XIXe siècle et en particulier sur la mise en place, et ses déterminants, de la protection des travailleurs locaux par les États-nations on pourra voir Silver Berverley J., Forces of labor: workers' movements and globalization since 1870, Cambridge University Press, Cambridge, 2003, en particulier ici les pp. 135-138.

dresser la liste des motifs légitimes d'expulsion ; tâche vaine, écrivait Rolin-Jaequemyns, puisque tous les motifs d'expulsion se ramènent à l'intérêt public, de nature changeante et dont l'État souverain est seul juge.

L'inventaire auquel se livrent de Bar et Féraud-Giraud n'est cependant pas sans intérêt pour nous. Il nous permet de déterminer les motifs alors légitimes d'expulsion ou de refus d'admission d'un étranger aux yeux de juristes occidentaux. Le tableau ci-dessous permet de visualiser les positions prises sur ce point par ces deux auteurs, ainsi que les solutions finalement retenues dans le texte de la résolution de 1892, qui définit lui-aussi les motifs d'expulsion légitimes. Les écarts entre les trois textes sont assez modestes. Tous s'accordent à reconnaître légitimes, qu'il s'agisse d'expulsion ou de non-admission, un même ensemble de critères. Il est reconnu le droit à tout État souverain de refuser d'admettre ou d'expulser les étrangers qui présentent une menace pour l'intérêt public, soit d'abord les indigents, les malades et les criminels, ce qui correspond alors, sinon toujours aux textes, du moins aux pratiques de nombre d'États occidentaux ; à celles en particulier des États continentaux qui, note Frank Caestecker, au cours du dernier quart du XIXe siècle et plus fréquemment qu'auparavant, expulsent régulièrement et en nombre tous ceux qui présentent une menace pour l'ordre public : les criminels, les agitateurs politiques et, en nombre croissant, les mendiants et les pauvres dont la présence est considérée menacer l'équilibre des systèmes de protection sociale nationaux791 qui prennent alors le relai des formes locales d'assistance aux pauvres.

Encore convient-il de préciser le sens que donnent ces textes à la notion d'expulsion légitime. Elle est d'abord celle qui ne peut être considérée comme offensante par l'État dont l'expulsé est ressortissant et donc, selon les termes du projet de de Bar, place le gouvernement qui expulse « à

791 Caestecker Frank, « The changing modalities of Regulation in International Migration within Continental Europe, 1870-1940 », in Böcker Anita et alli (eds), Regulation of migration : international experiences, Het Spinhuis Publishers, Amsterdam, 1998, pp. 72-98, ici, pp. 74-75.

Illustration 14: Conditions légitimes de non-admission et d'expulsion des étrangers selon l'I.D.I.

Date Auteur Thème Fonction IDI constat propose légifère Fonction des jurisconsultes L'IDI

1891 Bry public Prof. Aix x

1894 Despagnet public Prof. Bordeaux associé x x au premier rang l'idi 73)

1909 Despagnet privé Prof. Bordeaux associé x x x

1908 Foignet public Docteur en droit x x constater proposer amélioration nous citerons d'abord l' IDI (9)

1905 Pillet privé Prof. Paris pas de définition des sources

1904 Surville/Arthuys privé Prof. Poitiers/Prof. Poitiers pas de sources mentionnées

1909 Weiss privé Prof. Paris membre

1893 Leseur public Prof. Lyon

1914 Bonfils/Fauchille public Prof. Toulouse/dir. RGDIP _/membre x x x

1884 Vaquette privé Docteur en droit Pas d'exposé des sources IDI pas mentionner « témoins des sentiments et des

usages des nations civilisées »

attribué à wheaton p 8 commente fréquemment les décisions observe ce qui existe, dégage le

principe, propose « les meilleurs conséquences du point de vue des États » (P.47)

« les solutions (…) de la doctrine générale, quand elles sont appuyées par l'adhésion des jurisconsultes avec une notable majorité (…) finissent par s'imposer aux gourvernements eux mêmes » doit déterminer la vraie nature des rapports juridiques il est « ainsi véritablement législateur » 86

commente plusieurs fois décisions idi

commente systématiquement les décisions de l'idi

sommes redevables des progrès aux

grands auteurs (p. xxv) aux premiers rangs la RDLC et l'IDI p. 31 les opinions des jurisconsultes sont

des opinions privées

constatent l'existence des coutumes internationales (p.30). « Les gands jurisconsultes (…) ont vu leurs idée, expression du développement jruidique de leur époque, pénétrer dans les traités, dans les usages, dans la pratique internationale » (p. 31)

signalons au premier rang RDLC et idi

l'abri de toute réclamation politique792 ». L'effectivité des droits de la personne expulsée, ou dont l'entrée a été refusée, dépend ici de sa qualité de protégé d'un souverain qui peut, à raison des menaces planant sur sa dignité, intervenir en sa faveur.

Les deux auteurs mentionnent également de concert deux autres critères, celui de la dangerosité politique et de l'accumulation d'étrangers auxquels ils donnent cependant un contenu et/ou un statut différent. En temps de paix, écrit de Bar, ceux qui se livrent à des attaques contre un État ou un souverain étranger ne sont expulsables que pourvu « que ces actions soient punissables d'après la loi de l'État expulsant, si commises à l'étranger par des indigènes elles étaient dirigées contre cet

État »793. C'est là une façon d'offrir aux opposants politiques en exil une protection, pourvu que leurs

répertoire d'action soit considéré légitime par l'État qu'ils ont rejoint, ce qui est conforme aux pratiques anglaises de l'époque, dont les autorités n'admettent la possibilité de l'expulsion d'un étranger qu'en cas de menace contre leur sécurité intérieure mais qui, selon Lord Palmerston, ne se sont jamais « proposé de pourvoir à la sécurité intérieure d'autres pays. Il suffit que [le

gouvernement britannique] ait le pouvoir de veiller à sa propre sécurité794 ». De même ne sont pas

expulsables les étrangers qui « pendant leur séjour dans le territoire de l'État, se rendent coupables d'attaques ou d'outrages publiés par la presse étrangère contre l'État ou le souverain, pourvu que ces

attaques ou outrages soient punissables, si le coupable était sujet de l'État795 », ce qui revient cette

fois-ci à reconnaître une certaine liberté d'expression aux étrangers présents sur le territoire de l'État et prenant position dans les débats le concernant.

À l'inverse, Féraud-Giraud affirme le droit pour tout État d'attirer l'attention d'un gouvernement étranger sur des actes se produisant sur son territoire, lorsqu'ils sont attentatoires à sa sûreté et de provoquer alors « (...) dans des conditions assurant toujours le respect du droit de souveraineté

territoriale des États, l'éloignement et l'expulsion de ses ressortissants796 ». Le corollaire logique de

cette affirmation est la possibilité pour un État d'expulser les étrangers qui « par des procédés illégaux, compromettent [sa] sûreté à l'intérieur ou à l'extérieur, exposent l'État à des réclamations et protestations pouvant porter atteinte au maintien des relations amicales existant avec une autre

puissance797 ». De même, il permet l'expulsion d'étrangers qui « groupés et en réunion par leur

nombre et leur conduite irrégulière, amènent des collisions graves de nature à troubler la paix publique et la sécurité privée798 », formule assez vague qui légitime l'expulsion aussi bien de groupes d'étrangers en cas de conflits ouverts entre autochtones et étrangers, tels ceux que connaît

le sud de la France à la fin du XIXe siècle799, que de communautés étrangères organisées dont la

présence en certains points du territoire peut être vue comme une menace pour la souveraineté de l'État, ce qui pourrait s'appliquer aux Polonais de Prusse Orientale. Bien que le projet que présente Féraud-Giraud soit formulé sur ces points de manière prudente, il n'en apparaît pas moins que ce qu'il veut ériger en principe est la nécessaire abstention en matière politique de l'étranger, tant en ce qui concerne la situation intérieure de l'État sur le territoire duquel il se trouve, que les affaires de l'État dont il est le ressortissant, ce qu'exprime plus clairement encore le rapport qu'il a rédigé à cette occasion. Après avoir rappelé que plusieurs États interdisent expressément aux étrangers de se mêler des affaires intérieures de celui-ci, par des textes « souvent préparés par de savants jurisconsultes », il écrit que :

« On a dit avec raison que les étrangers cèdent trop souvent à la tentation de se mêler des affaires de 792 Idem, p. 290.

793 Idem, p. 289.

794 Hansards, Parlementary Debates, troisième série, volume 124, p. 80, premier mars 1853, cité in Féraud Giraud Louis Joseph Delphin, Droit d'expulsion ..., op. cit., p. 45.

795 Idem, p. 289. 796 Idem, p. 282. 797 Idem. 798 Idem, p. 277.

799 Voir : Dornel Laurent, La France hostile. Histoire sociale de la xénophobie, 1870-1918, Hachette, Paris, 2004, Noiriel Gérard, Le massacre des Italiens. Aigues-morte, 17 août 1893, Fayard, Paris, 2010.

l'État qui les reçoit, plus qu'il ne convient à leur situation, et je me plains de cela, quel que soit le parti qu'ils agréent800 ».

Il convient également selon lui que la conduite des étrangers ne suscite « pas des réclamations qui (...) peuvent donner lieu à des communications dont le caractère agressif et menaçant rompt les

relations de bon voisinage en froissant les sentiments nationaux les plus respectables801 ».

De façon plus générale, quoique les deux textes soient proches, et s'inscrivent dans un même cadre conceptuel, ils apparaissent d'une tonalité différente. Quand Féraud-Giraud se préoccupe avant tout des rapports entre les États et entend que l'exercice du droit d'expulsion et de non-admission ne soit pas à l'origine de conflits diplomatiques, von Bar entend préserver autant que faire se peut les droits des individus, ce qui se traduit d'abord par la signification donnée par l'un et l'autre à la liste des motifs légitimes d'expulsion. Elle est pour von Bar, lorsqu'il est question d'expulsion ordinaire que ne justifient pas les urgences d'une guerre ou d'une crise politique grave, implicitement limitative, afin de tenter d'éliminer, écrit-il « l'expulsion individuelle arbitraire motivée seulement par la

conduite prétendue dangereuse de l'expulsé802 », l'existence d'une telle pratique signifiant pour lui

l'infériorité juridique permanente des étrangers, qu'il refuse, puisque en ce cas :

« ce ne sont pas les lois seules qui règlent leur conduite, mais aussi l'opinion souvent changeante du gouvernement qu'il faut observer, parfois même deviner. C'est donc une restriction arbitraire de droits garantis non, seulement aux citoyens, mais à chaque individu séjournant dans le pays803 ».

À l'inverse, Féraud-Giraud précise que les cas d'expulsion légitime qu'il distingue n'ont que valeur d'exemple, considérant que l'État peut expulser tout étranger dont il estime que la présence met en danger sa sécurité intérieure ou extérieure.

Cette hiérarchisation différente des deux principes fondant selon Rolin-Jaequemyns l'intervention de l'Institut en cette matière se double d'une différence de méthode. Quand Féraud-Giraud recense, à l'appui de chacun des points de ses propositions, les législations existantes et déclare admissible en droit international toute restriction à la liberté de circulation des étrangers et toute pratique en matière d'expulsions autorisée par la législation de l'un des États dont il a examiné la réglementation. Von Bar a lui tendance à retenir des législations existantes les dispositions qui lui semblent les plus souhaitables et en l'espèce, celles qui lui apparaissent garantir le mieux les droits des individus. Cet écart n'est nulle part plus sensible que quand nous examinons la liste des garanties et des droits consentis par l'un et par l'autre aux individus menacés d'expulsion (cf. tableau ci-dessous).

Von Bar ne craint pas de faire découler certaines de ses propositions d'une exigence de justice. Justifiant le fait qu'aux termes de son projet les étrangers « domiciliés avec autorisation expresse du gouvernement » ne peuvent être expulsés lorsqu'ils tombent dans l'indigence ou sont malades, ou bien encore ont été condamnés dans leurs pays d'origine, il écrit :

« Il n'est donc pas juste de les expulser à raison de ce qui s'est passé auparavant, mais seulement à 800 Féraud-Giraud, De l'expulsion, op. cit., p. 47

801 Idem., p. 48.

802 Annuaire I.D.I., volume 11, p. 305. 803 Annuaire I.D.I., volume 11, p. 304.

Illustration 15: Droits consentis aux étrangers expulsés selon les juristes de l'I.D.I.

de Bar Féraud-Giraud Déclaration 1892

Déserteurs contrôlés expulsables contrôle sous réserve traités Domiciliés ds certains cas pas d'exemption dans certains cas

Recours de l'expulsé de l'État dont ressortit l'étranger de l'expulsé

raison de leur conduite après le décret d'autorisation de domicile804 ».

De même, lorsqu'il se prononce sur l'admission temporaire d'étrangers exige-t-il que la défense d'établir la résidence soit signifiée « à chacun [des] individus personnellement, et pour ne pas faire tomber en oubli cette mesure, il faudra la renouveler périodiquement (...) » car il ne faut pas que l'État « se donne les allures d'une politique internationale libérale et fasse croire que les étrangers peuvent en pleine sécurité établir leur résidence, mettre leur argent dans les établissement du pays,

pour les détromper ensuite par la mesure, presque cruelle dans ce cas, de l'expulsion805 ». Les prises

de position de de Bar, évoquant l'iniquité de certaines décisions, sonnent comme une condamnation de la politique prussienne d'admission conditionnelle de Polonais de l'Est mise en place par le

gouvernement de Caprivi dès 1890, qui en fait des Gastarbeiters avant l'heure806, mais d'abord des

expulsions massives des années 1880. Il apparaît en l'occasion comme un représentant des cercles libéraux allemands qui se sont joints aux socialistes et aux députés polonais pour obtenir le vote par le Reichstag, en janvier 1886, d'un texte condamnant les expulsions massives, au motif qu'elles

n'apparaissaient ni justifiées ni compatibles avec les intérêts des habitants de l'Empire807.

Le fait est significatif et de plusieurs manières. Il confirme d'abord que les débats et résolutions de l'I.D.I. sont en ces matières porteurs d'enjeux de politique intérieure pour certains de ses membres. La condamnation d'une pratique d'État par le droit international procure aux libéraux regroupés dans l'Institut des arguments mobilisables dans les débats nationaux - sans que nous puissions préjuger de leur efficacité - ce que confirme d'ailleurs le discours lors des mêmes débats du député polonais Ludwig von Jazdewski, qui dénonce les pratiques prussiennes comme contraires aux principes du

droit international808. Plus généralement, il appert de cela que, particulièrement dans les matières

que nous étudions, qui ressortent pour partie de la législation interne des États, les internationalistes de la fin du XIXe, qui sont tous d'abord des juristes profondément engagés dans des espaces universitaires et politico-juridiques nationaux, tendent à penser l'organisation internationale à partir d'une expérience et de catégories qui prennent d'abord sens dans un espace national, ce qui peut expliquer pour partie les écarts que nous notons entre les conceptions qu'ils défendent. Von Bar marque ainsi beaucoup plus clairement que Féraud-Giraud la différence entre les règles régissant