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Stimuler les travaux juridiques, favoriser la formulation de propositions pouvant recevoir l'assentiment de nombreux États ne constitue en effet qu'une partie des tâches dévolues aux membres de l'Institut. Il faut ensuite diffuser ces propositions, et de la façon la plus large, ce qu'expriment, en des termes qui ne changent pas tout au long de la période, les statuts de

l'organisation qui est invitée à concourir :

« (...) par des publications, par l'enseignement public et par tous les autres moyens, au triomphe des principes de justice et d'humanité qui doivent régir les relations des peuples entre eux ».

De fait, la diffusion du produit des travaux de l'Institut est, pour ses dirigeants, et en particulier ses secrétaires-généraux successifs, un souci constant. Il est rare que le rapport d'activité dressé en début de session ne recense pas les traces de son influence, ou ne mette pas en valeur les actions destinées à assurer la plus large diffusion à ses débats. M. Gabba, qui préside en 1908 la session de Venise, se félicite ainsi en son discours inaugural que l'Institut ait acquis « une autorité reconnue en

même temps par les savants et par les hommes d'État 280», ce qui a permis, dit-il, que plusieurs de

ses résolutions servent de base à des conventions internationales, ou de modèle à des accords entre États. Son intervention nous montre que les dirigeants successifs n'ont jamais renoncé à l'ambition des fondateurs. Si l'organisation de l'Institut a quelque chose de la société savante et du parlement, c'est parce qu'il entend demeurer, jusqu'à la Première Guerre mondiale au moins, une association de savants hommes d'action désirant que leurs efforts soient suivis d'effet, ce qui explique à la fois l'importance pour les membres de l'Institut de la diffusion de leurs réflexions et en détermine les destinataires, dont deux sont désignés dans ce court texte : le monde savant et les politiques européens. Les fondateurs en ajoutaient généralement un troisième, aux contours plus vagues il est vrai : l'opinion publique européenne. C''est de son soutien, autant que de la bonne volonté des gouvernements qu'Émile de Laveleye, commentant les statuts de 1873, attendait les progrès du droit international, terminant son adresse par un appel « (...) au public de tous les pays [...] espérant ne pas nous tromper en comptant sur cet appui, car les idées justes trouvent toujours un écho dans les

cœurs honnêtes 281».

Les fondateurs de l'Institut s'inscrivent par là dans une généalogie passant par Locke et Grotius et une matrice libérale qui pose que l'anarchie et la guerre endémique qui frappent les sociétés

humaines sont « le produit des préférences des sociétés civiles composées d’individus, qui sont les

unités fondamentales de la société internationale282 ». Celles-ci peuvent contraindre les États à s'ajuster à leurs demandes. « En conséquence, la parole comme moyen de persuasion joue un rôle capital dans une telle société de face-à-face » et la pédagogie de l'opinion publique apparaît comme la « clef d’une pacification de la société internationale », que seule une élite éclairée peut conduire car, ainsi que l'écrira quelques décennies plus tard Louis Érasme Le Fur, digne successeur de ses aînés au sein de l'Institut de Droit International, qu'il rejoint en 1921 :

« Tout droit est trouvé, je ne dis pas créé, inventé, mais découvert par une élite, doctrine et jurisprudence, qui le tire de la réalité même, de la nature des choses disent les anciens auteurs; puis il descend de l'élite dans la masse — en réalité, le droit descend et ne monte pas, comme on l'a cru parfois; (...) et lorsque l'opinion publique est conquise, les gouvernements, même hostiles, doivent suivre, de plus ou moins bon gré283 ».

La génération de 1873 comptait pour ce faire sur les envois directs aux gouvernements et aux politiques influents et sur les revues. Aux premiers sont envoyés les textes des résolutions, et l'on se félicite à l'occasion des réponses polies faites à ces adresses. L'auteur du rapport d'activité qui ouvre l'annuaire de 1879 note ainsi que les observations et vœux émis à l'occasion du conflit russo-turc

ont été « envoyés aux ministres des divers États d'Europe284 » et se réjouit de ce que les réponses

280 Annuaire I.D.I., vol. 22, p. 205. 281 Annuaire I.D.I., vol 1, p. 26.

282 Kevonian Dzovinar, « L’enquête, le délit, la preuve : les « atrocités » balkaniques de 1912-1913 à l’épreuve du droit de la guerre », Le Mouvement Social, numéro 222, 2008/1, pp. 13-40, ici p. 14.

283 Le Fur Louis-Érasme, « La théorie du droit naturel depuis le XVIIe siècle et la doctrine moderne », Recueil des cours de l'académie de droit international de La Haye, pp. 263-442, ici p. 266.

reçues « témoignent de la considération qui s'attache aux travaux de l'Institut285 », ainsi que du bon accueil fait par la presse à ce document que « beaucoup de journaux et de revues [ont] reproduit 286».

Un public plus large est le destinataire de textes publiés par diverses revues et des propres publications de l'I.D.I.. Celui-ci rend ainsi compte de la vie et des travaux de l'organisation au moyen d'un annuaire dont la publication, en théorie annuelle quoiqu'elle connaisse quelques irrégularités, est confiée aux bons soins des secrétaires-généraux successifs. L'organisation cherche également à ce que des revues en rendent compte, qui sont, aux premiers temps de l'Institut, pour certaines, encore proches de revues politiques et littéraires, dont nous pouvons supposer que le lectorat déborde le seul cercle des juristes. C'est le cas par excellence de la revue amie, et bientôt revue officielle de l'Institution, La Revue de droit international et de législation comparée, qui fait une large place à une chronique des relations internationales et à des commentaires de l'actualité, souvent signés de son directeur. Cette collaboration n'est pas exclusive. L'Institut, durant ses premières décennies d'existence, compte toujours en son sein plusieurs publicistes et directeurs de revue, un Édouard Clunet par exemple, présent dès 1877 et rédacteur-en-chef du Journal de droit

international privé, dont la cooptation est fort probablement liée à sa capacité à diffuser ses thèses,

ou un Gustave Kœnig membre directeur de la Zeitschrift des Bernischen Juristenvereins, et associé à l'Institut en 1876. Celui-ci se dotera également, un peu plus tard, d'une bibliothèque, ou, plus exactement, confiera à la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne la garde de ses

publications et des volumes envoyés à l'I.D.I., constituant ainsi un fond accessible au public287. Les

membres de l'Institut ont d'autres projets encore, destinés à favoriser les progrès du droit international et la diffusion des thèses élaborées en son sein, mais ceux-ci ne se concrétiseront que durant la guerre ou à l'issue de celle-ci, par le biais d'abord d'une entente avec la fondation

Carnegie288 pour la paix, dont les dirigeants, considérant que l'Institut est le « leader of modern

thought in the study of international law from the philosophical and historical point of view289 » et

constitue de fait un foyer de droit du fait de la présence en son sein des plus éminents auteurs et d'une notable partie des jurisconsultes attachés au service des États. Le déroulement des conférences internationales de La Haye en fait preuve, celles-ci ayant pris pour base ses recommandations « much as a legislative body bases its discussion and action upon the reports of

its own committees290 ». Cela conduit la Fondation, peu de temps après son apparition, à décider

« that the Institute of International Law be invited to act (…) as adviser to the division of

285 Idem 286 Idem.

287 Annuaire I.D.I., vol 18, p. 21.

288 Fondée en 1910, disposant d'une division européenne à partir de 1912, la dotation Carnegie pour la paix est dotée d'un agenda qui épouse de manière frappante celui de l'I.D.I.. Ses statuts précisent qu'elle doit « hâter l'abolition des guerres internationales, (...) aider l'humanité dans sa marche vers le mieux (...) encourager et faire progresser le règlement des conflits internationaux par des voies pacifiques. ». Cela conduit à la mise sur pied d'une section de droit international ayant vocation à favoriser le développement, la connaissance et le respect du droit international que préside en 1914 James Brown Scott, par ailleurs membre de l'I.D.I.. Pour une présentation de l'Institution et la citation ci-dessus,voir Quereux Delphine, « La dotation pour la Paix internationale et la bibliothèque municipale de Reims », in Cochet François, Genet-Delacoix Marie-Claude, Trocmé Hélène (dir.), Les Américains et la France (1917-1947) : Engagement et représentations, Actes du colloque international de Reims, 22-23 mai 1997, Paris, Maisonneuve et Larose, Paris, 1999, pp. 96-108, ici p. 98 et suivantes. Sur les liens entre mouvements pacifistes européens et pacifistes américains (et en particulier la fondation Carnegie), voir Alexandre Philippe, « Messianisme et Américanisation du monde. Les États-Unis et les organisations pacifistes de Franc et d'Allemagne à la veille de la Première Guerre mondiale (1911-1914), in Metzger Chantal, Kaelble Hartmut (éds), Deutschland-Frankreich-Nordaerika: Transfers, Imaginationen, Beziehungen, Franz Steiner Verlag, Munich, 2006, pp. 66-81.

289 Rapport du comité exécutif du Carnegie Endowment for International Peace, 14 décembre 1911, cité in « The Carnegie Endowment for international Peace and its Projects », American Journal of International Law, volume 6, numéro 1, janvier 1912, pp. 203-208, ici p. 206.

International Law of the Endowment regarding the course and development of its work291 ». Les liens noués durant l'immédiat avant-guerre permettent en 1916, le recueil en un volume en anglais

des résolutions de l'Institut touchant à l'arbitrage international292, puis, dans le courant des années

vingt, une réédition, sous forme abrégée, des premiers volumes de l'annuaire de l'Institut, pour certains épuisés depuis longtemps à cette date.

Surtout, les hommes de l'Institut, Tobias Asser en particulier, sont directement à l'origine de la création de l'Académie de droit international de La Haye, elle aussi pour une notable partie financée par la dotation Carnegie pour la paix ; originale institution internationale d'enseignement dont les premiers dirigeants et la plupart des premiers enseignants font partie des chevilles ouvrières de l'Institut. Son président et son vice-président sont ainsi, lorsque se donnent les premiers cours en 1923, Charles Lyon-Caen et Nicolas Politis, membres influents et actifs de l'I.D.I. et le baron

Albéric Rolin293, son secrétaire-général.

Les conséquences de cet effort sont bien sûr difficiles à déterminer, et il faudrait, pour pouvoir décrire avec précision la réception des travaux de l'Institut, raisonner probablement période par période et question par question, voire texte par texte.

Il est frappant ainsi de constater que les auteurs postérieurs varient grandement dans leur appréciation de l'œuvre de l'Institut et de son influence. Certains la jugent quasi nulle et ses

productions médiocres294, d'autres en font le précurseur de la modernité juridique, considérant qu'il

est possible, au début du XXe siècle, de présenter, solides arguments à l'appui, l'I.D.I. comme le

laboratoire où se forge une notable partie du droit international, retrouvant les conclusions de Léon Bourgeois, qui à la session de Paris de l'Institut en 1910, évoquant les conférences de la paix déclare :

« (...) c'est à chaque page de nos conventions que vous trouverez vos formules reprises et adoptées, vos textes devenus les nôtres. (...) C'est du projet de Tribunal International des Prises maritimes, délibéré par l'Institut en 1877, c'est du règlement établi dans les sessions de Turin (1882), Munich (1883) et Heidelberg (1887), c'est enfin, de la réglementation de la contrebande de guerre maritime à Venise, en 1896, que sont nées et notre convention réglant les droits et les devoirs des neutres dans la guerre maritime, et cette cour des Prises, dont la conférence de La Haye a décidé l'existence et l'organisation et dont la conférence de Londres vient d'établir le code en 1909295. »