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Exposé de la doctrine de Batiffol

§1.

249. Fondements et particularités. – Pour comprendre la solution avancée par

Batiffol, il faut d’abord tenir compte de ses idées fondamentales en matière de droit international privé des contrats (A). Il faudrait ensuite identifier ce qui distingue la localisation des solutions étudiées précédemment (B).

La localisation du contrat A.

250. Localisation objective et droit international privé. – Selon Batiffol, les

tribunaux, lorsqu’ils tranchaient un litige portant sur une relation privée internationale, avaient une tendance quasi instinctive649 à localiser celle-ci d’une

manière objective650, en donnant compétence à la loi en vigueur sur le territoire où

se situaient les éléments principaux de la relation en cause651. Les tribunaux se

référaient donc à l’objet matériel, à la source ou aux personnes impliquées dans le rapport de droit pour identifier l’élément qui conduirait à la loi applicable à la situation652.

La localisation constitue donc « une directive générale propre à concilier les différents intérêts que doit satisfaire le droit international privé »653 et « fournit la

base la plus juste d’une répartition des compétences des États »654. Mais plus qu’un

lien avec un territoire, la localisation signifie un lien avec un système juridique, lien qui n’est pas nécessairement spatial655.

251. Localisation du contrat. – En matière contractuelle, la localisation peut

s’avérer plus compliquée car le contrat est « une abstraction »656, « un événement

immatériel »657. Par conséquent, « aucun des éléments de rattachement concevables

[…] n’a de valeur générale »658, aucun « ne s’impose de manière absolue »659. Il

649 H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., n° 103. 650 Ibid.

651 Ibid.

652 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 267. 653 Ibid., n° 266, parle de l’intérêt des parties, de l’État et de l’ordre international. 654 Ibid., n° 268.

655 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 265, 573. 656 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 42.

657 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 572. 658 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 11. 659 Ibid., n° 42.

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propose donc de déterminer la loi applicable en identifiant parmi les éléments matériellement localisés de l’opération celui qui « avait une importance prépondérante

dans l’économie de celle-ci »660. Ceci implique une approche in concreto : la loi applicable

doit être déterminée en fonction des caractères propres de chaque contrat661.

252. Intervention de la volonté des parties. Justification. – Pour Batiffol, la

volonté des parties a alors un rôle à jouer, spécialement en ce qu’elle illustre la conception que les contractants ont de leur affaire662. La localisation du contrat en

« dépend nécessairement » ; elle doit « se fonder sur l’intention des parties quant à l’organisation de leur accord »663. Cette démarche se justifie parce qu’en « droit des

contrats, l’objectif premier du législateur est d’assurer le respect de la volonté des parties »664. Le juge devait donc déterminer la loi applicable en tenant compte des

indications des parties quant à la localisation de leur contrat665.

En outre, le recours à la volonté des parties viendrait remédier à une conséquence indésirable de la localisation objective. Tout en admettant que la localisation entraîne une certaine imprévisibilité des solutions, Batiffol affirme que l’intervention

des parties ferait disparaître toute incertitude quant à la loi applicable666 :

« L’autonomie de la volonté constitue ainsi un outil que le législateur peut remettre entre les mains des particuliers, là où les intérêts de ceux-ci sont prédominants, pour remédier à l’imperfection de la règle de conflit ou à l’indétermination du principe de proximité »667.

253. Une solution unitaire. – La théorie de la localisation aurait un avantage

important, qui trouve son origine dans le fait que le système déduit du droit positif par la doctrine française comportait une solution différente selon que les parties avaient ou non exprimé leur volonté. Bien qu’il ne condamne pas totalement ce système, Batiffol considérait qu’il avait pour inconvénient « de méconnaître la

660 Ibid., n° 44, les italiques sont utilisés par l’auteur.

661 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit

international privé, op. cit., n° 572.

662 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 76. 663 Ibid., n° 44.

664 Ibid., n° 11. 665 Ibid., n° 46.

666 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 269. 667 Ibid., n° 269.

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fréquence des contrats dépourvus de choix exprès, mais dont la localisation de fait n’est pas douteuse »668.

À ce système dualiste, il devait être préféré une solution unitaire669 et Batiffol

soutenait que celle-ci, opérée par la localisation, était non seulement possible, mais qu’elle existait en droit positif français. C’était une manière de voir « plus conforme à la réalité »670, distincte de l’analyse inexacte retenue par la doctrine de l’époque.

L’avantage de la localisation du contrat reposerait donc sur ce que la tâche du juge est toujours la même : soupeser les différents éléments de la situation pour déterminer le système juridique dans lequel les parties, selon leur conception du contrat, ont localisé celui-ci, que cela ait été fait consciemment ou non671.

C’est justement sur l’appréciation des éléments de la situation que la théorie de la localisation se distingue de la solution du Restatement Second.

B. Les indices de la localisation du contrat

254. Localisation et proximité. – La théorie de la localisation de Batiffol se

distingue des autres méthodes in concreto essentiellement sur deux points. D’une part, la théorie est applicable même en présence d’un choix de loi (1), et d’autre part, elle établit une hiérarchie entre les différents points de contact (2).

1. Le rôle de la volonté des parties

255. Localisation et clause d’electio iuris. – Dans la théorie de la localisation, la

volonté des parties joue un rôle important dans la détermination de la loi applicable au contrat. Le juge doit procéder à cette opération en fonction des indications plus ou moins explicites des parties quant à la localisation de leur contrat. La volonté clairement exprimée des parties a cependant une signification particulière.

Il arrive que les parties insèrent une clause dans laquelle elles désignent expressément la loi applicable à leur contrat ; cette clause est connue comme la clause d’electio iuris. La plupart des auteurs considèrent cette clause comme un choix

668 Ibid., n° 573-1.

669 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 20. 670 Ibid., n° 46.

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de la loi applicable. Batiffol affirme, en revanche, que « les parties ne choisissent pas formellement la loi applicable, elles localisent leur contrat »672. La clause d’electio iuris

n’étant « qu’une forme de localisation »673, le choix des parties n’est ainsi pour cet

auteur qu’un « simple facteur »674 de la localisation du contrat.

C’était le cas, selon lui, même dans l’arrêt American Trading, la décision qui est pourtant traditionnellement considérée comme ayant consacré la liberté de choix en droit français675. Dans cette affaire, la Cour de cassation avait appliqué la loi

française pour valider une clause du contrat que la loi expressément choisie par les parties interdisait. Pour Batiffol, la décision peut s’expliquer s’il est admis, comme l’a peut-être fait la Cour, que la volonté des parties était, malgré la clause d’electio iuris, celle de localiser le contrat en France, lieu d’exécution du contrat.

256. L’interprétation judiciaire de la volonté des parties. – S’agissant d’une

méthode in concreto, le juge occupe une place fondamentale dans le système de Batiffol. Puisque la localisation est une question de fait676, il appartient au juge de

décider quelle est la loi applicable au contrat. Or, le choix exprès étant uniquement considéré comme un élément de cette localisation, il n’est pas obligatoire pour le juge dans ce système. Celui-ci doit interpréter l’intention des parties, même en présence d’un choix des parties et malgré les termes qu’elles ont utilisés dans leur clause d’electio iuris677. Les tribunaux peuvent en effet estimer que le choix

« n’exprime pas la localisation véritable du contrat »678 et n’auront pas, en ce cas, « à

s’incliner purement et simplement » devant la désignation faite par les parties679.

La localisation du contrat dépendra alors de l’interprétation « de l’ensemble de ses dispositions »680. Effectivement, Batiffol considère que la volonté des parties se

672 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 45. 673 Ibid.

674 Ibid.

675 Arrêt préc. Ibid. et du même auteur, « Sur la signification de la loi désignée par les contractants », in Choix d’articles

rassemblés par ses amis, 1976, p. 271, spéc. 273.

676 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 573-1. 677 Ibid.

678 Ibid.

679 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 45 ; Grands arrêts, n° 22, p. 299, spéc. 300. 680 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, loc. cit.

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manifeste dans les éléments du contrat681 et affirme que les tribunaux s’y sont

référés pour déterminer le système juridique où les parties ont voulu le localiser682.

La recherche systématique de la volonté des parties se justifie aussi car « entre la volonté expresse et la volonté présumée (hypothétique, assurent certains) il y a des volontés tacites auxquelles ne convient pas la solution impérative rigide »683 ; cette

recherche est tout aussi utile lorsque le choix manque que lorsqu’il est seulement implicite ou abusif684.

Les différents éléments du contrat deviennent ainsi des indices de la volonté des parties, mais ils n’ont pas tous la même valeur localisatrice.

2. La hiérarchisation des indices

257. Nécessité d’une hiérarchie. – Tant le Restatement Second que la localisation

objective imposent l’analyse de l’ensemble des points de contact que le contrat a avec les différents ordres juridiques. Cette analyse présente toutefois un degré d’incertitude élevé685 car elle repose entièrement sur l’appréciation que les juges font

des points de contact au cas par cas. La loi applicable sera donc difficilement prévisible.

À cet égard, Batiffol a affirmé qu’il existait « dans la jurisprudence, [des] présomptions attachant à telles circonstances de fait l’application de telle loi » et qu’il serait possible d’établir une hiérarchie parmi ses présomptions pour éviter ou réduire l’incertitude686. Ainsi, le juge ne serait plus « abandonné à ses propres

lumières »687 pour déterminer la loi applicable au contrat puisqu’il aurait « des

directives et des solutions pour cas-types »688.

La théorie de la localisation se distingue sur ce point du Restatement Second. En effet, si pour la majorité des auteurs la liberté d’appréciation du juge était la seule solution

681 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 48 et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit

international privé, op. cit., n° 579, 582.

682 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 104. 683 Ibid., n° 46.

684 Ibid., n° 76.

685 Ibid., n° 50, 80 et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, loc. cit.

686 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 80 et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit

international privé, loc. cit.

687 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 76. 688 Ibid., n° 47.

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compatible « avec la complexité et la variété des cas concrets » en matière de contrats, Batiffol croyait qu’un « minimum de classement s’impose parce que certaines des présomptions se présentent avec une généralité telle qu’il est désirable de prévoir leurs conflits »689.

258. Typologie des indices de localisation. – Pour établir son classement, il

propose de manière préalable de rassembler les indices dans plusieurs catégories selon leur valeur localisatrice. L’auteur distingue d’abord les éléments du contrat selon qu’ils se retrouvent dans tous les contrats – indices généraux – ou non –

indices éventuels (ou particuliers)690. Seuls le lieu de conclusion et le lieu

d’exécution font partie de la première catégorie691.

Dans la deuxième catégorie, il existe deux sous-catégories. D’une part, il y a des indices extrinsèques692 de la localisation, c’est-à-dire des circonstances qui sont

extrinsèques au contrat, telles que la teneur des lois en conflit, l’attitude des parties postérieurement au contrat et la référence à une loi ou à un usage dans le contrat, ce qui inclut l’hypothèse des contrats-types et des contrats d’adhésion693. D’autre part,

il y a des indices intrinsèques694 qui sont « ceux qui tiennent aux éléments du

contrat »695. Dans cette sous-catégorie, Batiffol rassemble la nationalité et le

domicile des parties (qu’ils soient communs ou non), la participation d’un État au contrat, la situation de la chose faisant l’objet du contrat, le lien avec un autre contrat, l’intervention d’un officier public, la langue employée et les clauses compromissoires et d’élection de for.

259. Classement des indices. – La position des indices dans la hiérarchie dépend

de leur aptitude à dévoiler la volonté des parties. Ainsi, la désignation expresse constitue un élément capital, mais qui peut être écarté lorsqu’elle ne correspond pas

689 Ibid., n° 174.

690 Ibid., n° 80, 104 et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 579, 582. Dans son traité, les

indices éventuels sont appelés particuliers, mais le critère est le même.

691 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 80 et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit

international privé, op. cit., n° 580.

692 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, loc. cit. et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international

privé, loc. cit.

693 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 593.

694 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, loc. cit. et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international

privé, op. cit., n° 583 s.

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à la véritable localisation du contrat696. Celle-ci dépendra donc des autres indices

dont le classement est le suivant.

En premier lieu, les indices extrinsèques priment tous les autres indices. En effet, Batiffol considère que ces indices participent du choix exprès697 ; ils constituent des

choix implicites698 « se rapprochant d’une clause expresse de désignation »699. Le

contrat-type est l’indice le plus important, suivi par les références aux textes, puis par l’attitude des parties postérieurement au contrat. Une loi validant le contrat constitue, pour Batiffol, l’indice extrinsèque le plus faible.

En deuxième lieu, les clauses compromissoires et attributives de juridiction sont l’indice intrinsèque le plus important car elles pourraient traduire un choix exprès700. Le lien du contrat avec d’autres contrats et la situation du bien ne sont

considérés que dans un second temps.

Enfin, lorsqu’aucun indice éventuel n’est caractérisé701, les tribunaux doivent s’en

remettre aux indices généraux. La prépondérance est donnée au lieu d’exécution du contrat. En cas d’indétermination de ce lieu, le juge devra considérer que le contrat se localise dans le lieu où il a été conclu.

260. Détermination du lieu d’exécution et renversement du classement. –

Finalement, deux idées viennent parachever la théorie de la localisation. La première concerne le lieu d’exécution. En effet, dans cette théorie, la notion de ce point de contact se veut plus précise : le lieu d’exécution à retenir est le lieu d’exécution principal, c’est-à-dire le lieu où l’obligation principale est exécutée702. L’idée d’une

obligation principale avait été avancée par le baron Nolde en 1927 lors de la session à Lausanne de l’Institut de droit international et Batiffol s’y est rallié entièrement703.

696 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 573-1.

697 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 175 et H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit

international privé, op. cit., n° 594.

698 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 176. 699 H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, op. cit., n° 582. 700 Ibid., n° 594.

701 Ibid.

702 H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de contrats, op. cit., n° 91. 703 Ibid., n° 92.

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Il déclare ainsi que, dans les contrats, il y a le plus souvent un acte « essentiel qui [caractérise] l’opération »704. Dans les contrats synallagmatiques, par exemple, il

s’agit souvent de la prestation en échange de laquelle l’une des parties verse à l’autre une somme d’argent ; « cette prestation […] sera normalement caractéristique du contrat, quant à sa localisation »705. Le lieu où cette obligation principale706 est

exécutée sera donc le lieu d’exécution principal du contrat707.

Par ailleurs, le lieu d’exécution ainsi entendu, qui a pour Batiffol une valeur de solution générale708, « paraît en principe devoir être [le] même pour des contrats du

même type et différer au contraire d’un type à l’autre »709. Il en découle la nécessité

d’envisager la question par type de contrat et dès lors de formuler une présomption pour chaque catégorie de contrat710.

La seconde idée consiste à reconnaître au juge la possibilité d’écarter la hiérarchie d’indices proposée. Étant donné que ne sont en cause que des présomptions, le « classement peut […] être infirmé dans un cas donné par un groupement d’indices qui renverse la présomption »711. Pour Batiffol, la pondération de tous les indices par

le juge est inévitable712.

La voie moyenne proposée par cet auteur présente néanmoins des inconvénients qu’il faut à présent étudier.

Analyse de la théorie de la localisation