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236. Principe de proximité publicisé. – La méthode in concreto consacrée dans le

Restatement Second semble constituer une variante publiciste du principe de

proximité. Cette publicisation découle de la prise en compte des intérêts étatiques dans la recherche de la loi qui présente les liens les plus étroits et devient alors la loi applicable. Ce caractère s’accorde sans doute avec l’approche colombienne

615 P. E. NYGH, « The reasonable expectations… », op. cit., p. 348.

616 « Article 9. Lorsque les parties n’ont pas désigné la loi applicable ou lorsque ce choix s’avère inefficace, le contrat est

régi par la loi de l’Etat avec lequel il présente les liens les plus étroits.

Le tribunal tient compte de tous les facteurs objectifs et subjectifs identifiés dans le contrat en vue de déterminer la loi de l’Etat avec lequel il a les liens les plus étroits. Il tient également compte des principes généraux du droit commercial international reconnus par les organisations internationales.

Néanmoins, lorsqu’une des clauses du contrat peut être séparée du reste du contrat et qu’elle est étroitement liée à un autre Etat, la loi de cet Etat pourra, à titre exceptionnel, être appliquée à cette partie du contrat ».

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traditionnelle du droit international privé617, mais la méthode, et spécialement son

caractère publiciste, crée des inconvénients dont la jurisprudence colombienne rend compte.

237. Le Restatement Second et la jurisprudence colombienne. – La solution

proposée par le Restatement Second semble avoir inspiré la Cour constitutionnelle colombienne. Ainsi, dans un arrêt T-1157/00, elle a déterminé la loi applicable sur deux fondements qui rappellent la démarche consacrée dans le Restatement Second. En premier lieu, plusieurs points de contact rattachaient le contrat litigieux, un contrat de crédit hypothécaire, à la Colombie. Ainsi, la Cour a relevé que les lieux de conclusion et d’exécution du contrat ainsi que de situation de l’immeuble hypothéqué étaient en Colombie, que les parties avaient fait référence au Code colombien de procédure civile et que le débiteur était colombien.

En second lieu, selon la Cour, la loi colombienne devait également être appliquée en l’espèce car la règle invoquée par le demandeur répondait à une politique législative impérative. Effectivement, suite à une crise dans le secteur immobilier ayant rendu extrêmement onéreux les crédits hypothécaires, le Gouvernement colombien avait adopté le décret législatif 2331 de 1998 qui imposait aux banques d’accepter la dation de l’immeuble hypothéqué en paiement total des dettes contractées pour l’acquisition de logement618. Pour obliger la banque défenderesse, de nationalité

panaméenne – seul élément d’extranéité en l’espèce –, à accepter la dation en paiement, la Cour a donc affirmé que le décret avait été édicté « dans le but de réduire les retards de paiement des débiteurs desdits crédits et de favoriser leur situation économique et sociale » et que ses « règles cherchent à protéger les débiteurs des crédits de logement garantis avec une hypothèque, indépendamment du type ou du système de crédit utilisé ».

Cet arrêt a été le seul à s’approcher de la solution consacrée dans le Restatement

Second et il serait souhaitable qu’il reste l’unique exemple, car cette solution rend la

détermination de la loi applicable fâcheusement imprévisible pour plusieurs raisons.

617 V. supra le chapitre premier du titre premier de cette partie.

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238. Les facteurs du Restatement Second et les intérêts du droit international privé. – En premier lieu, les facteurs du § 6.2 sont essentiellement ce

qu’une partie de la doctrine française appelle les intérêts du droit international privé, c’est-à-dire les intérêts à prendre en compte pour l’élaboration des règles de conflit619. Les sept facteurs déclineraient ainsi l’un ou l’autre des intérêts que doit

satisfaire le règlement des conflits de lois. Les facteurs tenant aux politiques législatives de l’État du for, aux considérations fondamentales prévalant dans la branche du droit considérée, à la simplicité dans la détermination et l’application de la loi compétente, et aux politiques législatives et aux intérêts des États étrangers dont les lois sont potentiellement en conflit (facteurs b, e, g et c respectivement), ne sont en réalité que des manifestations de l’intérêt de l’État dans une approche européenne. L’intérêt des particuliers rassemble à son tour les facteurs tenant à la protection des attentes raisonnables (facteur d), la certitude, la prévisibilité et l’uniformité des solutions (facteur f). Enfin, l’intérêt de la société internationale incorpore les besoins des systèmes interétatique et international (facteur a).

239. De l’analyse des facteurs à l’analyse des intérêts étatiques. – Même s’il

n’y a rien d’extraordinaire dans les facteurs du § 6.2, leur utilisation présente de sérieux inconvénients. D’abord, prendre en compte ces facteurs à chaque fois qu’un conflit de lois se pose est de nature à compliquer inutilement l’office du juge, spécialement lorsque ce dernier, comme le juge colombien, n’a pas l’habitude de créer une règle pour chaque litige ; un aspect typiquement étatsunien. Ensuite, l’approche fonctionnelle que le rapporteur a consacrée, et qui repose principalement sur l’intervention des différents facteurs, encourage le contentieux sans que l’issue du litige soit prévisible620. Il semble effectivement que la loi applicable au contrat ne

pourrait pas être déterminée d’une manière efficace en dehors du cadre judiciaire et que le juge possède une marge de discrétion très large qui lui permet de justifier n’importe quelle solution à l’aide du principe qui lui convient le mieux. Enfin, certains facteurs se révèlent plus influents que d’autres et le juge pourrait être tenté

619 H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., p. 229 ; H. BATIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit

international privé, op. cit., n° 266 ; B. AUDIT, L. D’AVOUT, Droit International Privé, op. cit., n° 160.

620 AUDIT Bernard, « Flux et reflux… », op. cit., p. 64 ; O. LANDO, « The conflict of laws of contracts. General principles »,

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de limiter son analyse à ces seuls critères621. M. Bernard Hanotiau avance, en ce

sens, que « les tribunaux qui appliquent le § 188 centrent fréquemment leur analyse sur les intérêts des États »622, et ce en dépit des nombreuses références aux attentes

légitimes des parties dans le commentaire à ce paragraphe.

240. Les difficultés de l’analyse des intérêts étatiques. – En deuxième lieu, le

facteur relatif aux intérêts étatiques soulève des difficultés particulières. Bien qu’une partie seulement de la théorie des intérêts gouvernementaux de Brainerd Currie soit consacrée dans le Restatement Second, le recours aux politiques législatives des États pour résoudre le conflit de lois pose aux tribunaux des problèmes similaires623.

D’abord, l’identification des politiques législatives n’est pas aisée. Si, pour certains auteurs, il serait difficile d’identifier dans chaque règle de droit privé une politique législative sous-jacente624 ; pour d’autres, l’intérêt étatique serait même un mythe en

matière de droit privé625.

L’appréciation des politiques législatives rend ensuite le labeur du juge plus ardu car il devra faire des efforts importants pour déterminer la loi applicable626, notamment

parce qu’il sera obligé d’identifier et de confronter les politiques législatives qui sous-tendent chaque règle substantielle en conflit. Enfin, l’application de la loi du for peut devenir systématique. La doctrine souligne en effet que l’argument des intérêts étatiques se prête à des manipulations627, spécialement en faveur de l’application de

la lex fori628 ; Currie lui-même privilégiait cette dernière. À cet égard, Wengler

affirme que « c’est une illusion de croire que pour toute règle de droit privé la politique législative recommande de manière péremptoire l’application de la règle à

621 P. HAY, « Flexibility versus predictability… », op. cit., p. 374. 622 B. HANOTIAU, Le droit international privé américain, op. cit., p. 261.

623 Sur la doctrine de B. Currie, et mises à part la bibliographie citée dans ce paragraphe, v. également G. KEGEL, « The

crisis of conflict of laws », RCADI 1964, t. 112, p. 91 ; L. BRILMAYER, « The role of substantive and choice of law policies in the formation and application of choice of law rules », RCADI 1995, t. 252, p. 9. D. BUREAU, H. MUIR WATT, Droit

international privé, op. cit., n° 358.

624 P. MAYER, « Le phénomène de la coordination… », op. cit., p. 158 ; LANDO, « The conflict of laws of contracts. General

principles », op. cit., p. 368 ; G. KEGEL, « The crisis of conflict of laws », op. cit., p. 114.

625 D. BUREAU, H. MUIR WATT, Droit international privé, op. cit., n° 358.

626 P. MAYER, « Le phénomène de la coordination… », op. cit., p. 158 ; W. L. M. Reese, « Choice of law : rules or approach »,

op. cit., p. 317.

627 P. MAYER, « Le phénomène de la coordination… », op. cit., p. 158 ; D. BUREAU, H. MUIR WATT, Droit international privé,

op. cit., n° 358.

628 H. EEK, « Peremptory norms and private international law », op. cit., p. 67 ; P. HAY, « Flexibility versus

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toutes les relations à contact multiple connectées avec l’État qui l’a édictée par un ou autre point de contact »629.

La Cour constitutionnelle pourrait tomber dans ces travers. Tout d’abord, bien que le décret invoqué par le demandeur dans l’arrêt T-1157/00 réponde à des politiques législatives précises, il est important de remarquer que l’intérêt étatique très évident dans ce cas masque la difficulté qu’entraîne normalement l’identification des politiques législatives. L’application de la loi colombienne était ensuite, dans cet arrêt, à la fois logique et souhaitable, mais le risque de lexforisme, voire de nationalisme, n’a pas tardé à faire son apparition dans le raisonnement de la Cour630.

Ainsi, elle a affirmé : « Nous nous retrouvons, par conséquent, devant la situation d’un colombien qui peut perdre tout ou une partie importante de son patrimoine à la suite d’un prêt onéreux, et qui demande la protection de son droit à l’égalité, violé par la position intransigeante d’une entité financière étrangère ». Cette affirmation de la Cour pourrait inciter les commerçants étrangers à éviter les tribunaux colombiens, à imposer des conditions plus sévères à leurs partenaires colombiens, ou même à les dissuader de contracter avec ces derniers. Enfin, il existe d’autres moyens peut-être même plus efficaces pour prendre en compte les intérêts étatiques, même plus efficaces, tels que le recours à la méthode de lois de police ; de fait, le décret 2331 pourrait être considéré comme un clair exemple de cette méthode, ainsi qu’il a été suggéré précédemment631.

241. Énumération anodine des points de contact. – En troisième lieu, la liste de

points de contact ne constitue pas un vrai guide pour le juge. M. Aubrey L. Diamond remarque ainsi que citer tous les points de contact et n’en citer aucun a le même effet632. De surcroît, la liste ne prend pas en compte d’ailleurs certains points de

contact importants dans les esprits de certains auteurs européens, notamment la clause l’élection de for, la clause compromissoire et la monnaie. Le commentaire du § 188 n’y fait aucune référence non plus.

629 W. WENGLER, « The general principles of private international law », RCADI 1961, t. 104, p. 273, spéc. 358 s. 630 P. MAYER, « Le phénomène de la coordination… », op. cit., p. 158.

631 V. supra n° 128 s.

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À propos des points de contact, M. Russell Jay Weintraub relève que même si le

Restatement Second ne peut pas être accusé de pousser à une simple addition des

points de contact, les décisions où les tribunaux avaient procédé ainsi fondaient leur raisonnement sur le Restatement Second633. Cet auteur signale également que la liste

rend difficile la compréhension des questions devant le tribunal et encourage tant l’invention de points de contact que le débat sur leur appréciation634.

L’arrêt T-1157/00 est aussi un exemple de ces risques. En effet, il est difficile de nier que la Cour s’est contentée de compter simplement les points de contact reliant le litige à la Colombie, ignorant au passage que le siège de la défenderesse, et débitrice de la prestation caractéristique, se situait au Panamá.

242. Le morcellement du contrat (renvoi). – En dernier lieu, le morcellement de

la catégorie auquel le système du Restatement Second aboutit constitue également un

inconvénient pour les raisons signalées précédemment635. À cet égard, certains

affirment que le morcellement n’a pas lieu d’être car les paragraphes du Restatement

Second qui concernent les questions particulières renvoient aux §§ 187 et 188, c’est-

à-dire à la loi du contrat636. Il semble néanmoins que le risque de morcellement est

bien présent parce que, d’une part, il n’y a pas de véritable loi du contrat et, d’autre part, le renvoi impose au juge de recommencer à chaque fois le raisonnement en n’ayant à l’esprit qu’une seule question de droit. Ainsi, lorsque tous les points de contact se situent dans des pays différents, rien n’empêche les tribunaux, en absence d’un choix de la loi applicable, d’apprécier la forme du contrat selon la loi du lieu de conclusion, la validité au fond selon la loi du lieu du domicile de l’une des parties et l’exécution selon celle du lieu où le contrat doit être exécuté. Il est important de rappeler que le morcellement n’est pas rejeté par le droit colombien637. Cependant, le

contrat international est morcelé encore davantage dans le système du Restatement

Second. L’arrêt T-1157/00 ne permet pas de tirer des conclusions sur ce point car il

633 R. J. WEINTRAUB, « Functional developments in choice of law for contracts », RCADI 1984, t. 187, p. 275. 634 Ibid.

635 V. supra n° 177 s.

636 B. AUDIT, « Le second "Restatement"… », op. cit., p. 39. 637 V. supra n° 139 s.

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n’y avait que deux éléments d’extranéité en l’espèce : la nationalité et le siège étrangers de l’un des contractants.

243. Application d’une seule loi dans le Restatement Second. – Dans certaines

hypothèses le Restatement Second préconise toutefois l’application d’une seule loi. Ainsi, en dehors du cas d’un choix efficace où logiquement le contrat est entièrement soumis à la loi choisie par les parties, le commentaire sous le § 188 suggère l’application de la loi du lieu d’exécution du contrat « même aux questions qui ne se rattachent pas strictement à celle-ci » lorsque les deux parties doivent exécuter leurs

prestations dans le même pays638. C’est le cas également lorsque les lieux de

négociation et d’exécution se trouvent dans le même État639.

244. Nécessité d’une règle de conflit pour l’ensemble des questions. – Cette

dernière hypothèse montre par ailleurs que l’élaboration d’une règle de conflit en matière contractuelle est souhaitable, voire inévitable. C’est probablement pour cela que le Restatement Second en prévoit une à l’alinéa 3 du § 188. Le commentaire indique sur ce point que l’État où la négociation et l’exécution ont lieu est « habituellement celui qui a le plus grand intérêt à la résolution des questions concernant le contrat »640.

La méthode proposée par le Restatement Second met le juge au centre du système, mais la marge de discrétion qu’elle lui octroie est trop large et trop difficile à gérer pour prétendre à une quelconque prévisibilité. En plus, la prise en compte des intérêts étatiques, bien que conforme à l’approche publiciste du droit international privé colombien, ne fait qu’augmenter la difficulté de la mise en œuvre de la méthode

in concreto, qui n’est pas au demeurant le seul moyen de tenir compte de ces intérêts.

Avec cette méthode, la résolution du conflit de lois gagne en flexibilité ce qu’elle perd en prévisibilité. Pourtant, la matière contractuelle a davantage besoin de cette dernière ; il faut espérer que la Cour constitutionnelle ne s’engagera plus dans cette voie, d’autant qu’une autre méthode in concreto a été proposée par un auteur français

638 Commentaire e au §188.2 du Restatement Second. 639 Commentaire f au §188.2 du Restatement Second. 640 Commentaire f au §188.2 du Restatement Second.

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et semble pouvoir mieux encadrer l’analyse par le juge de l’ensemble de points de contact.