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7. Mélancolie du corps, dépression de l’âme ?

7.2. Les exigences d’un Idéal

contre-investissement de l’affect agressif se traduit par une forme de dépression (dépression a priori ?) qui elle-même fait le lit d’une désorganisation somatique qui à son tour engendre la

douleur et d’autre part, la douleur elle-même engendre un état d’épuisement du Moi qui

aboutit . . . à la dépression. Dans ce contexte, nous discordons de certains auteurs qui envisagent la douleur comme une sorte de procédé autocalmant233. Ces approches s’inspirent

des théorisations de Gérard Szweg et de Claude Smadja : « Le trauma de ce fait inélaborable,

non inscrit psychiquement, est répété par le procédé autocalmant alors qu’un évitement est tenté par la négation du besoin d’aide d’un objet vécu comme désertique. Cet objet intériorisé

comme un objet niant le sujet n’a pas fourni à celui-ci les moyens de penser son absence, ni

permis que s’instaure une triangulation structurante234».

Dans la douleur chronique, il pourrait bien s’agir d’une tentative de lier l’excitation, de maîtriser la dépression liée à l'absence et/ou aux difficultés de représentation de l'objet, mais nous sommes ici dans l’excès et non dans le calme. La douleur n’annule pas les effets de la relation à l’objet source d’excitations et, en ce sens, elle n’aurait donc pas de vertus autocalmantes. Nous sommes dans une tentative qui, de plus, s’avère ratée. En effet, le masochisme qui semble être en jeu, certes, paraît investir la douleur comme solution antidépressive mais cette « solution » aboutit au final à une dépression sous une autre forme tout en épuisant le Moi au passage. Ce serait finalement une solution d’allure mélancolique qui semble être trouvée, une solution qui attaque le Moi. Mais, qu’est-ce qu’une solution mélancolique ? L’introjection de l’objet perdu est une façon de continuer à exercer sa

toute-puissance sur lui, mais cette toute-puissance exercée par l’Idéal du Moi ne se limite pas à la « part » du Moi résultant de l’introjection, il s’attaque au Moi tout entier et l’affaiblit.

7.2. Les exigences d’un Idéal

Chez les fibromyalgiques du forum, la douleur chronique combinée à la fatigue, revêt nous semble-t-il, deux aspects. D’une part, elle « persécute » le sujet : « Je souhaiterais vraiment reprendre une activité , bien sûr avec un poste adapté et pas à plein temps, pas possible pour moi, avec la fatigue , je passe la plupart de mes après-midi sur le canapé à faire la sieste, pour récupérer un peu. Je suis constamment fatiguée, je me relève plusieurs fois par nuit pour aller aux toilettes, et

233 Comme c’est cas, par exemple, de la position de Fanny Dargent au sujet des autosacrifications chez les adolescents.

Mais dans certains cas qu’elle cite, la douleur n’est pas ressentie, c’est l’acte de se couper et non la douleur qui semble être recherché. Du coup, l’optique nous semble ici différente de la nôtre : Dargent F. (2010), Corps scarifié, adolescence marquée, in Revue française de psychosomatique, 2010/2 n° 38, p. 131-143.

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sans les gouttes de Laroxyl je ne dors pas. Avec le Laroxyl, je m'endors très vite mais une deux heures après je suis réveillée, et c'est comme ça toute la nuit, je m'endors et je me réveille sans cesse. Le matin je suis très fatiguée» (Burlutte). D’autre part, elle représente une solution mal tempérée

qui permet au sujet d’échapper aux exigences de l’Idéal, ou, en suivant la théorisation de Sami-Ali, du Surmoi corporel. Cependant, nous avons vu que le sujet vit le corps douloureux comme une atteinte narcissique, ne pouvant plus faire comme avant. Ceci s’observe aussi

chez les patients atteints du syndrome de fatigue chronique, maladie qui présente des analogies avec la fibromyalgie. A ce sujet, Anna Potamianou235évoque les tentatives d’usure

des excitations par des activités épuisantes que le sujet assume comme nécessaires et inévitables et « lors duquel finalement le Moi reste sans force, en retrait de la vie ». Marina Papageorgiou suppose que l’atteinte du corps empêche le sujet d’échapper aux exigences de l’Idéal par un activisme défensif : « (l’atteinte du corps) empêche le sujet d’être conforme aux exigences d’un objet primaire aussi idéalisé que persécuteur. En d’autre termes, l’incapacité physique dont se plaint le douloureux chronique est liée à la perception d’un dommage subi dans ses impératifs de se conformer à l’idéal de l’objet, et ceci en des termes qui impliquent

une organisation défensive privilégiant les décharges motrices236». Or, nous pensons justement que, par le corps douloureux, le sujet tente paradoxalement d’échapper à la tyrannie de cet Idéal. Nos observations relatives aux patients fibromyalgiques ne nous a permis de déceler l’expression d’un quelconque sentiment de culpabilité alors que dans la mélancolie «

le Moi n’élève aucune protestation, il se reconnaît coupable et se soumet aux châtiments » et

ceci parce que « l’objet qui s’attire la colère du Surmoi est englobé par des identifications dans le Moi ». Cette absence de culpabilité nous amène à reprendre l’idée déjà exprimée ici que c’est le corps qui semble « mélancolisé ». Donc, dans cette optique, ce n’est pas le Moi qui serait directement attaqué, ce n’est pas le Moi qui se prendrait lui-même pour l’objet mais

tout se passe comme si le corps se prenait lui-même pour (le corps) de l’objet. De son écoute de patientes obèses, Jacques Vargioni237 déduit que le corps attaqué peut être le corps sexué, corps fantasmatiquement coupable d’avoir séduit le père, mais chez certaines patientes, l’organisation psychique se caractérise par le fantasme de dévoration et l’identification mélancolique à la mère, avec, pour corolaire, une ambivalence amour/haine à l’encontre du

corps propre, confondu avec celui de la mère. Dans ce cas, le corps attaqué serait le corps

235 Potamianou A. (2008), Frappes et battements d'excitation, in Revue française de psychosomatique, 2008/1 n° 33, p. 8-29, p. 16.

236 Papageorgiou M. (2006), op. cit., p. 42.

237 Vargioni J., (2011), L’obésité féminine comme incarnation du féminin mélancolique, in Approche du féminin,

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maternel. Pour lui, ce sont là deux figures du féminin mélancolique. Nous trouvons dans cette théorisation une voie intéressante pour penser le corps dans la fibromyalgie et la question du féminin. Cela nous évoque également la notion « d’un corps pour deux » dont parle Joyce McDougall, figure qu’elle a observée dans la cure lorsqu’un adulte représentait inconsciemment ses limites corporelles comme étant mal définies ou non séparées des autres en lien avec ses expériences affectives avec un autre qui a de l’importance pour lui238. Comme Anzieu, McDougall souligne l'impossibilité de représentation du corps comme contenant et la frayeur de devoir renoncer à une identité séparée, le corps propre étant peu distingué de celui de l'autre. Nous pensons ici à notre patient Sébastien qui pourrait être perçu inconsciemment

par sa femme comme un prolongement d’elle-même, ce qui rendrait les séparations

insupportables pour elle. Mais Sébastien semble aussi faire office de « procédé » autocalmant apportant la contenance dont sa femme fibromyalgique semble avoir besoin. Il est pour elle, à certains égards, un objet d’addiction, au sens donné par Joyce McDougall, puisqu’il est devenu un recours pour contenir et apaiser le corps et l’esprit de sa femme. Ce serait peut-être

pour cela qu’il devrait être toujours là, là où la mère n’avait jamais été. L’auteur souligne

d’ailleurs que « en définitive, l'addiction est une solution somato-psychique. L'addiction à l'autre, c'est utiliser l'autre comme une drogue pour calmer quelque chose d'insupportable aussi bien sur le plan psychique que somatique239».

Mais pour revenir plus spécifiquement à notre propos, et à la question du corps, en « matérialisant» ainsi l’objet (le corps de la mère ?) à travers le corps propre, le sujet ne rechercherait-il pas un support à travers lequel une représentation de l’objet « suffisante »

pourrait advenir, pouvant être liée avec l’affect réprimé ? Autrement dit, là où le travail du masochisme comme la solution mélancolique auraient finalement partiellement échoué, resterait-il encore un « travail du corps » possible ?

«Dans le processus de somatisation […] c’est cette mémoire du corps qui va être sollicitée :

des traces mnésiques du corps vont être reconnues et réinvesties [. . .] et déterminer le choix du symptôme240 », nous dit Sylvie Chabee-Simper. Ce corps réel attaqué, montré par les patients, n’est pas le corps anatomique objet de la médecine, mais il a plutôt à voir avec le

corps imaginaire tel qu’il est pensé par Sami-Ali. Cela présenterait en soi une opportunité

d’élaboration psychique : « À partir de l’imaginaire, qui véhicule le matériel psychique d’une

instance à une autre, la symbolisation va permettre au patient de se dégager du corps réel et de

238 McDougall J. (1989), op. cit., p. 29.

239 Moro M-R. (2001), Entretien avec Joyce McDougall, in Le Carnet/Psy, no 67, pp. 20-27.

240 Chabee-Simper S. (2005), La somatisation ou l'anti-passage à l'acte dans le corps rée , in Imaginaire & Inconscient, 2005/2 no 16, pp. 151-164, p. 159.