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4.1. Au commencement était l’affect

Au début de la vie, nous dit Yves Morhain168, « le seul représentant psychique de la pulsion

est le quantum d’affect, résultant de la mise en jeu de la sensorialité de l’infans. Elle entre en

résonance avec celle de la mère, qui la lui renvoie en écho ; le premier reflet renvoyé à

l’infans, reflet sonore, olfactif, gustatif, visuel, proprioceptif. La mère (ou ce qui en tient lieu) va être « médiatrice » entre le bébé et le monde symbolique de parole et de langage, monde qui lui préexiste ». En effet, dans la réalité psychique, la pulsion ne se manifeste jamais à

l’état pur, mais toujours par un représentant psychique qui peut être un affect, un symptôme ou une représentation chargée d’affect (représentant-représentation). Freud a interrogé l’affect

à partir de sa clinique de patients névrosés. Depuis ses travaux sur les psychonévroses de défense en 1894, il a mis en évidence la conversion comme étant le mécanisme caractéristique

de l’hystérique et a expliqué ce mécanisme par la transformation du quantum d’affects psychiques en énergie d’innervation corporelle. Ainsi, Freud conçoit l’affect comme pouvant être déplacé, transformé, tel que dans le cas de la peur des chevaux chez le petit Hans, et le considère à la fois comme une excitation et comme une source d’excitation pour le

psychisme. Pour Freud existent trois mécanismes de transformation de l’affect : Celui de la conversion des affects (hystérie de conversion), celui du déplacement de l’affect

167 McDougall J. (1990), Le rêve et le psychosoma, in N. Nicoladis et J. Press : La psychosomatique, hier et aujourd’hui, Paris, Delachaux et Niestlé, 1995, p. 142.

168 Morhain Y. (2011), Permanence du corps et variations du symptôme hystérique et/ou psychosomatique, in Psychothérapies, 2011/2 Vol. 31, p. 136.

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(obsessions) et celui de la transformation de l’affect (névrose d’angoisse, mélancolie)169. Il souligne aussi que l’affect n’est pas nécessairement lié à une représentation et, contrairement à cette dernière, reste une formation consciente, alors que le fantasme ne se manifeste qu’une

fois réassocié aux traces mnésiques inconscientes170. L’affect revêt ainsi une dimension économique. D’ailleurs, J. Laplanche et J.-B. Pontalis définissent l’affect comme étant

« l’expression qualitative de la quantité d’énergie pulsionnelle et de ses variations171 ».

4.2. L’affect en « suspens »

Ce schéma stricto sensu des destins de l’affect que nous venons d’évoquer ne semble pas très

bien s’appliquer au cas de figure qui nous intéresse, c’est-à-dire celui où l’affect reste

« suspendu ». Aussi, sommes-nous plus enclins à considérer l’approche de Joyce McDougall172 qui parle de l’incapacité de représentation non due à un défaut de fonctionnement du préconscient, hypothèse chère à Pierre Marty, mais serait en lien avec un

amas de représentations et d’affects intolérables pour le sujet. Ces éléments seraient comme gelés, dans un lieu hors psyché. Pour l’auteur, cette configuration serait une défense contre des angoisses et des fantasmes archaïques et donnerait lieu à des éclosions psychosomatiques et/ou des agirs comportementaux. Le mécanisme de défense en jeu serait ici la forclusion. Ce mécanisme, qui serait prégnant dans la psychose, se différentie du refoulement car les signifiants touchés ne seraient pas intégrés à l’inconscient d’une part et d’autre part feraient retour de « l’extérieur » : « Il existe une sorte de défense bien plus énergique et bien plus efficace qui consiste en ceci que le Moi rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se conduit comme si la représentation n’était jamais parvenue au Moi173 », nous dit Freud au sujet de la psychose. Il revient plus tard, en 1911, sur ce sujet : « Il n’était

pas juste de dire que le sentiment réprimé au-dedans fût projeté au dehors, on devrait plutôt dire que ce qui a été aboli au-dedans revient du dehors174».

169 Freud, S. (1887-1902), La naissance de la psychanalyse. Lettres à W. Fliess, Paris, PUF, 1996, pp. 76,77. 170 Freud S. (1915c), L’inconscient, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, pp. 65-121.

171 Laplanche J., Pontalis J.-B. (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, Quadrige, Paris, PUF, 1997, p. 12. 172 McDougall J. (1982), op. cit.

173 Freud S. (1894), Les névropsychoses de défense : essai d'une théorie psychologique de l'hystérie acquise, de nombreuses phobies et représentations de contrainte et de certaines psychoses hallucinatoires, in Névroses psychoses et perversions, PUF, Paris, 1973, p. 12.

174 Freud S. (1911), Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa 5Le président Schreber), in

55 4.3. Douleur et affect

Marina Papageorgiou considère la douleur chronique comme une solution pour échapper et à la dépression et au deuil. Pour cette auteure, il y aurait chez ces patients « pas ou peu

d’expressivité concernant des éprouvés psychiques, quelle qu’en soit la coloration affective : plaisir ou déplaisir, tristesse, angoisse, colère, amour, haine, ardeur, envie175. » Or, cette abrasion affective ne semble pas être caractéristique des fibromyalgiques car à travers leurs plaintes douloureuse, ils expriment clairement leur colère, colère d’être incompris et pris pour des affabulateurs, colère d’être réduits à la passivité et à la dépendance, colère d’être sous l’emprise d’une maladie qu’ils associent aux effets d’un passé douloureux. Or, André Green

estime que l’expérience de la douleur renvoie «au modèle de l’affect de façon plus explicite

et plus forte que (le modèle de) la satisfaction » dans la mesure où les traces de cette expérience « font explicitement référence à une décharge interne et sécrétoire. Or Freud a

toujours soutenu que l’affect [. . .] est le produit d’une telle décharge interne et

sécrétoire176». André Green nous dit aussi que : « Il faut encore souligner que l’affect est produit au cours de la répétition de l’expérience organique de la douleur. C’est cette qualité

reproductive qui lui confère sa dimension proprement psychique. En outre, on doit remarquer

combien est soulignée l’étroitesse des liens entre l’affect et la défense qu’il mobilise. Celle-ci vise à un entraînement de plus en plus poussé de l’appareil psychique devant l’évocation de l’affect, en tant que signal mobilisé par les investissements de plus en plus discrets des traces mnésiques de l’objet hostile177». Ce commentaire nous conduit à penser que si l’affect peut

être envisagé selon le modèle de la douleur, la douleur pourrait être pensée comme

l’équivalent d’un affect en latence, comme une sorte de « protoaffect », affect non symbolisé, non relié à une représentation, affect en « suspens ».

175 Papageorgiou M. (2006), De la nostalgie à la douleur de l'impossible départ, in Revue française de psychosomatique, 2006/2 no 30, p. 39-54, p. 41

176 Green A. (1976), op. cit., p. 40. 177 Ibid., p. 41.