2. Eléments du parcours de vie des sujets
3.1. Apports de l’entretien clinique
3.1.1. Activité, passivité, figures du féminin et représentation de soi
3.1.1. Activité, passivité, figures du féminin et représentation de soi
Ces femmes se décrivent comme étant très actives, avec une tendance à tout assumer, à tout « prendre sur soi », à ne pas baisser les bras. Ainsi, Jacqueline dit : « J’ai toujours tout géré, je n’aijamais compté sur personne, jamais je n’ai eu une épaule sur laquelle pleurer, cela
veut tout dire ». Elle a assumé ses enfants et faisait « bouillir la marmite» sans l’aide de son
conjoint.
Idem pour Françoise qui dit : « J’ai toujours tout assumé, tout pris en charge, tout décidé
moi-même ».
La tendance à tout gérer est doublée d’une grande exigence vis-à-vis d’elles-mêmes et d’un activisme certain. La plupart d’entre elles ont ou ont eu des activités professionnelles et/ou
domestiques intenses, allant parfois jusqu’à l’épuisement.
Ainsi, Thérèse, avant de tomber malade, dit n’avoir jamais éprouvé de fatigue : «Je ne la
ressentais pas (la fatigue) parce que je suis quelqu’un qui vivait à cent à l’heure ».
Bérénice semble également surinvestir le travail et des activités qui pourtant la sollicitent beaucoup physiquement, nonobstant un vécu douloureux permanent dans son corps et un
sentiment d’être handicapée : « Je ne m’arrête pas. Je peux passer la soirée à peindre la
cuisine, je suis quelqu’un qui fonce ».
Sylvie est une travailleuse fatiguée mais infatigable et d’une exigence tout à fait hors normes
vis-à-vis d’elle-même : « Je suis très exigeante. Petite, si j’avais trop de leçons, il fallait rater
le goûter, il fallait que ça soit fait quoi. Je me suis toujours mis la pression. Par rapport au
ménage et tout ça, j’ai lâché un peu, parce que c’est vrai que je travaillais beaucoup, dix, douze
heures par jour, ça dépend. Donc, je ne peux plus. Mais avant je faisais mes pavés et
l’aspirateur tous les jours dans la maison. [ . . . ] Là, je vais rentrer, la maison ne va pas être du
tout à mon goût, je vais défaire ma valise et même si je sais que je vais avoir mal le lendemain,
je vais passer l’aspirateur, c’est sûr.J’ai du mal à faire ce que j’ai à faire, parce que les
carreaux, le ménage, tout ça, ça me tire, ça fait mal. Mon corps a fait que je fasse moins de choses. Et le fait est que je travaille énormément, je fais beaucoup d’heures, et je rentre à la
maison à 20 heures, 20h30, 21 heures, ça dépend des jours, et bien je n’ai plus envie de faire tout ça parce que je suis trop fatiguée. C’est impossible que je m’occupe de la maison le soir.
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Ou alors, si vraiment ça m’énerve et je le fais, je paye cher car le lendemain, çane va pas. C’est
ça qui a fait que je lève le pied».
L’extrême exigence de ces femmes vis-à-vis d’elles-mêmes, sans répit ni compromis, évoque
moins les effets d’un Surmoi sévère que ceux d’un Moi Idéal forgé à partir de la toute-puissance narcissique caractéristique du narcissisme infantile.
Cette position active évoque également un lien possible avec la perception des figures maternelles familiales qui semble se dégager de leur discours. De ce fait, cela semble relever
aussi d’un Idéal du Moi, « instance de la personnalité résultant de la convergence du narcissisme (idéalisation du Moi) et des identifications aux parents, à leurs substituts et aux idéaux collectifs... Modèle auquel le sujet cherche à se conformer540 ». En effet, les mères sont souvent décrites comme assumant entièrement la gestion du foyer, exigeantes, des « maitresses-femmes » (Mireille, Véronique, Jacqueline, Thérèse, Geneviève, Sylvie, Bérénice). Lorsque les mères étaient défaillantes, les grands-mères prenaient le relais et semblaient avoir cette même posture, comme chez Mireille et Thérèse. Il se dégage de ce tableau une dimension phalliquepatente. Ces mouvements identificatoires s’inscrivent dans un
contexte de défaillance du côté paternel. En effet, le père était soit complétement absent, voire inconnu (Mireille), soit, souvent absent du fait de son activité professionnelle (Sylvie, Françoise) et/ou sur le plan psychique (Thérèse, Jacqueline, Véronique, Geneviève) ou encore ayant une attitude, ressentie par leur fille, hostile vis-à-vis d’elles (Bérénice, Dominique).
Nous avons aussi observé dans leur discours des mouvements qui évoquent des identifications
d’allure masculine, voire phallique. Ceci apparait assez clairement chez cinq d’entre elles
(Thérèse, Jacqueline, Mireille, Dominique, Françoise).
Thérèse, par exemple, se définissait comme « garçon manqué ». Elle aurait préféré être mécanicienne et devient coiffeuse uniquement pour suivre la voie que son père lui a imposée. Dans le discours de Jacqueline, nous repérons que lorsqu’elle parle de la pancréatite aiguë dont
elle a souffert, elle la définit comme étant « une maladie d’homme, d’ivrogne». Elle souligne aussi avoir exercé un métier « plutôt d’homme, que de femme » (peintre en bâtiment), car elle était amenée à monter sur des échafaudages à quatre mètres de haut et rajoute que son ex-mari
n’était pas capable de faire ce qu’elle faisait.
Dominique est homosexuelle et d’allure très masculine.
Quant à Mireille, elle place clairement les femmes du côté actif (femmes battantes), laissant à la représentation masculine le versant passif : « « Je n’avais pas d’homme dans ma vie, je n’ai pas
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eu de père, je n’ai pas eu de grand-père, je n’ai pas eu de frère. L’image de l’homme, elle est à la fois idéalisée et en même temps, elle est assez passive, quoi. Donc, on était une génération de
femmes battantes [. . .] pour les hommes, je suis quelqu’un de très . . . ils me le disent, ils me
disent : « tu nous fais peur ! » ».
Parfois, dans leur couple, elles ont assumé un rôle dominant : « J’étais le mec à la maison. C’est quelque chose que je n’aime pas, je ne veux pas être une femme à culotte », nous dit Bérénice.
Par ailleurs, il est possible que les caractéristiques de l’environnement familial aient joué pour ces femmes un rôle dans l’entrée précoce dans le monde adulte. En effet, la majorité d’entre elles s’est engagée dans une vie de couple et a mis au monde des enfants très jeunes. L’entrée
dans la vie professionnelle est également précoce pour la plupart d’entre elles (Thérèse, Jacqueline, Geneviève, Bérénice, Véronique, Sylvie, Françoise, Mireille). Ces situations nous
évoquent une sorte d’échappatoire à la vie familiale, mais aussi, en ce qui concerne la vie de
couple, une recherche d’une compensation affective par rapport aux carences infantiles.
Ainsi, Thérèse, emménageant avec son mari, laisse derrière elle un conflit avec sa belle-mère difficile à gérer et Bérénice dit avoir épousé son premier mari pour se sentir (enfin) aimée. Cependant, pour beaucoup de ces femmes, la vie de couple semble réactiver des modalités de
relations vécues dans l’enfance, en somme, une sorte de répétition, qui, on peut le penser, a
contribué aux difficultés majeures rencontrées. Certaines d’entre elles qui ont eu des enfants,
les ont élevés seules, les conjoints s’avérant, à l’instar de leur père, absents et/ou défaillants,
décevants en somme, ce qui parait répéter en quelque sorte, pour certaines d’entre elles,
quelque chose de la configuration familiale de leur enfance (Jacqueline, Mireille, Thérèse, Sylvie, Geneviève). Ce sont des situations ou le mari ou compagnon occupe une place d’objet
décevant.
Les relations d’objet de la vie adulte de ces sujets sont marquées par des problèmes relationnels fréquents, quelquefois au travail, mais surtout des problèmes de couple
récurrents. Parfois, la relation au compagnon n’est pas sans rappeler celle, souvent décevante, à
leur propre père. Ainsi, Thérèse choisit de partager sa vie avec un ami de son père, un homme
absent, peu accessible sur le plan affectif et peu à son écoute, comme l’a été son propre père. Malgré une vie très insatisfaisante avec son mari, elle ne parvient pas à le quitter, alors qu’elle avait un amant qui la comblait sur le plan affectif et auquel elle était très attachée. En effet,
Thérèse nous parle d’une liaison amoureuse qui avait duré 15 ans, avec un homme bien plus jeune qu’elle, relation à laquelle elle a décidé de mettre fin cinq ans avant notre entretien, pour que son amant puisse « vivre sa vie», vu qu’elle ne voulait pas quitter son mari. Ce renoncement évoque une conduite masochiste qui n’est pas sans rappeler sa passivité « subie »
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vis-à-vis du sadisme des figures maternelles, mais aussi, sur un versant peut-être plus libidinalisé, celle déployée face à la maltraitance paternelle.
Au moment de l’entretien, Salima et Véronique vivaient seules. Mireille était toujours mariée,
mais vivait séparée de son mari, avec lequel elle n’avait plus de relation amoureuse et qui
assumait un rôle « paternel », subvenant à ses besoins matériels, veillant sur son état de santé.
Jacqueline avait un compagnon mais n’habitait pas sous le même toit que lui. Thérèse, Sylvie,
Françoise, Geneviève et Bérénice vivaient toujours avec leurs maris respectifs, malgré les frustrations de leur vie de couple. Seule Dominique semblait avoir pu investir une relation satisfaisante pour elle, avec une femme.
Toutes ces femmes ont lié des relations avec des hommes qui semblaient fragiles et qui étaient
parfois violents. Pour la majorité d’entre-elles, la fragilité de ces hommes semble faire écho à la fragilité de leur propre père. Thérèse ne dit-elle pas de son mari que : «Intérieurement, il est très fragile. Il a un masque de « macho » ?
Nous notons également que le corps, en tant que corps féminin, ne constitue pas une source de plaisir. Ainsi, nous avons remarqué, dans presque tous les cas, des difficultés liées à la sexualité.
Dans certains cas, l’état de santé est souvent évoqué comme un facteur aggravant. Chez Véronique, ce serait le manque d’intimité affective et sexuelle de son couple qui semble avoir joué sur leur séparation. Elle pensait que son compagnon n’avait probablement pas désiré leur
deuxième enfant par crainte que cette maternité la rende encore moins « disponible » affectivement mais aussi sexuellement : « Je n’ai jamais été très attirée . . . Donc, moi, ça
me satisfaisait mais lui non, quoi, donc . . . (Rires, puis silence). Je ne sais pas. Je me dis
qu’après tout . . . J’ai culpabilisé pendant . . . En fait, après la naissance de ma fille donc, il n’en avait plus et tout ça, j’ai culpabilisé me disant « c’est moi, quoi . . . ça va pas ». Et puis j’en suis arrivé après à me dire « c’est comme ça et puis voilà » ».
Thérèse se dit frigide. Lorsqu’elle parle à son mari de sa frigidité, cela aboutit à une dispute et à
la cessation complète de leurs rapports sexuels. Thérèse en a pris conscience assez tard dans sa vie : « Je ne connaissais rien de la vie et j’étais satisfaite puisque je ne savais même pas qu’une
femme pouvait jouir. Je ne connaissais rien. Et je me suis rendue compte, je devais avoir 35,
36 ans, que tous les rapports que j’ai eu avec mon mari, je ne savais pas ce que c’était la jouissance. Jamais un homme ne m’a fait jouir, c’est tout, c’est trop contracté ».
Mireille ne vit plus avec son mari, elle a fréquenté un homme depuis, mais ses problèmes de santé ont généré des difficultés au niveau de la sexualité : « Depuis un an et demi, tombant de
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comme ça, parce que je n’ai pas la force, quoi. Le lendemain, je ne suis pas capable d’aller
travailler ». ». Et elle rajoute : « Je ne supporte pas qu’on se serve, quoi. Ça, je ne supporte pas.
Donc, je suis très, très exigeante. Je suis réaliste, pour moi, ce n’est pas lié à la relation. C’est
quelque chose en plus. Je le relie à la peinture, parce que je ne peins pas souvent, mais quand je
peins, j’ai un plaisir énorme et je relie à des moments choisis. Et moi, j’ai besoin que ça soit un
moment partagé, comme aller au cinéma, on se fait plaisir ».
En tenant compte de ces différents éléments, pouvons-nous penser que leur corps de femme se refuse ainsi à lâcher prise ? Autrement dit, ne pouvons-nous penser que cette difficulté signe une entrave à assumer une position passive ?
Toujours dans un registre corporel féminin, c’est l’exemple de Geneviève qui nous semble le
plus frappant en ce qui concerne les affections typiquement féminines : règles tardives, kystes
aux ovaires, aux trompes de Fallope, à l’urètre, aux seins et aussi des fausses-couches puis des
saignements gynécologiques en continu à l’âge mûr. Sans compter que la fibromyalgie et la
maladie de Gougerot-Sjögren dont elle souffre, frappent majoritairement les femmes !
Toutes les femmes rencontrées, à l’exception de Dominique, sont mères. Nous remarquons que la moitié d’entre elles met au monde des enfants précocement :
- Thérèse accouche de sa fille alors qu’elle a 19 ans ;
- Jacqueline met au monde son premier enfant à l’âge de 21 ans ;
- Geneviève s’est mariée à l’âge de 17 ans et a eu très rapidement ses trois enfants, trois garçons, dont le premier est né alors qu’elle avait 19 ans ;
- Bérénice accouche d’un garçon, à l’âge de 21 ans ;
- Sylvie a son premier enfant à 20 ans, une fille.
Peut-être que l’enfant avait alors une fonction réparatrice, dans le sens de réparer le lien
manqué dans l’enfance avec la mère. Nous notons chez ces mères un surinvestissement du
rôle maternel en dépit de celui de femme. Dans tous les cas, elles ont élevé seules leurs enfants,
soit du fait de la séparation d’avec le père, c’est le cas de Jacqueline, Mireille, Françoise,
Salima, Véronique et Bérénice, soit parce que le mari étant trop absent ou défaillant, ce qui est le cas chez Sylvie, Geneviève et Thérèse.
Le féminin maternel semble très investi. Nous trouvons chez Véronique l’une des formes de
ce surinvestissement. En effet, son mari, se sentant délaissé, lui a reproché « d’être plus mère
que femme ». Ainsi, il semble exister chez elle une tension entre « être mère » et « être femme », dans une impossibilité de concilier les deux rôles.
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Serait-ce un féminin qui ne saurait être que maternel ? Le maternel fonctionnerait-il ici telle une
position de repli face au refus du féminin, avatar de l’angoisse de castration541 ?
Or, la castration s’appuie justement sur le consentement de la perte, consentement qu’il s’agit d’interroger et dont nous parlerons par la suite.
D’autre part, si nous envisageons la maternité comme étant quelque part une reproduction de la
situation originaire, la femme s’identifiant alors à sa propre mère, il nous semble intéressant de s’arrêter un peu plus sur le cas de Thérèse.
Lors de sa grossesse, Thérèse souffre de vomissements incoercibles. Ce symptôme se prolonge
d’ailleurs après la naissance de sa fille et perdure pendant cinq années, phénomène qui interroge
d’abord une éventuelle ambivalence envers cette grossesse mais aussi la dynamique des
identifications en jeu. Pour Hélène Deutsch542 , ces tendances à l’expulsion orale sont accompagnées d’émotions inconscientes, et parfois même conscientes, ou sur le point de l’être, d’hostilité envers la grossesse ou envers le fœtus. Mélanie Klein543 pense que les
manifestations symptomatiques de la sphère orale correspondent à une tentative d’expulsion du
mauvais objet. Il se pose ici la question de l’identification à l’imago maternelle archaïque. En
effet, pour se reconnaître enceinte, la femme doit pouvoir s'identifier à une représentation maternelle originelle, à la mère des premiers soins pour devenir mère à son tour544. Or, ici, il
nous semble qu’un double mouvement d’identifications ait eu lieu: d’une part, une
identification à une mère rejetante, et nous nous souvenons que Thérèse a été adoptée puis
abandonnée par sa mère adoptive, et d’autre part, une identification au fœtus rejeté. Ce fœtus rejeté, une fille, aurait pris ainsi la place d’un mauvais objet.
Nous avons pensé que ces vomissements, qui ont perduré pendant cinq ans, correspondaient à
un mouvement de vidange, d’expulsion de toute trace d’un mauvais objet. D’ailleurs, cette notion de mauvais objet n’est pas sans rappeler le rêve de persécution récurrent de Thérèse où quelqu’un cherchait à la tuer avec un poignard, rêve qu’elle lie à des représentations parentales
insuffisamment protectrices. Dans ce contexte, les difficultés d’allaitement éprouvées par
Thérèse pourraient être révélatrices des défaillances de ces objets545.
Jacqueline, qui a eu deux garçons et quatre fausses-couches, semble inscrire ces pertes dans un fantasme mortifère touchant les enfants de sexe féminin :
541 Freud S. (1937), op. cit.
542 Deutsch H. (1949), La Psychologie des femmes, étude psychanalytique, tome 2 : Maternité, Paris, PUF, 2002. 543 Klein M. (1957), Envie et gratitude et autres essais, Paris, Gallimard, 1968
544 Bydlowski M. (1985), Les enfants des couples stériles, Paris, ESF. 545 Parat H. (1999), Erotique maternelle, Paris, Dunod.
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- « Malheureusement, c’était des filles. Dans la famille, on ne peut pas avoir des filles [.
. .] On n’a jamais fait des recherches génétiques. Nous étions quatre filles et deux garçons. Ma petite sœur aurait sûrement eu des garçons puisque elle est décédée avant
d’avoir des enfants. Moi, j’ai deux garçons, j’ai perdu quatre petites filles, on savait
que c’était des filles parce que c’était des grossesses entre cinq mois et six mois. Ma deuxième sœur a perdu trois filles et mon autre sœur a perdu une fille. Et, on a, toutes, fait deux garçons. Par contre, mes frères, j’en ai un qui a trois filles et l’autre qui a une
fille et un garçon. Mais bon, il aurait fallu . . . on avait demandé au médecin, il aurait fait des recherches génétiques. Il avait dit : « Ecoutez, vos enfants sont en bonne santé,
garçon, filles, on s’en fiche ».
Ces observations cliniques nous amène à penser ici un féminin mis à mal, qui s’inscrit, nous allons le voir, dans un contexte d’une image de soi dégradée.
Parfois, ces femmes témoignent du sentiment de ne pas avoir été aimées ou d’être suffisamment
aimées. Par exemple, chez Thérèse, cela semble s’exprimer dans la difficulté à accepter son
apparence physique actuelle : « Je ne peux plus me voir dans une glace ».
Quant à Jacqueline, la mésestime de soi se devine particulièrement à travers la relation
destructrice qu’elle a longtemps entretenue avec son deuxième compagnon, pendant laquelle
elle a été physiquement « très abîmée ».
Bérénice verbalise clairement la vision dévalorisante qu’elle a d’elle-même : « Je n’aime pas mon corps, je ne m’aime pas ». Elleévoque le sentiment d’avoir été un fardeau pour sa famille.
Geneviève a des cauchemars récurrents pendant lesquels on lui dit qu’elle «n’est bonne à rien » et sa profonde blessure narcissique du fait de ne pas avoir pu entreprendre les études
qu’elle souhaitait, en dit long sur l’image négative d’elle qu’elle se revoie. Elle semble trouver
une certaine réparation par identification, à travers les réalisations intellectuelles de ses enfants et de ses petits-enfants. Les commentaires qu’elle fait lors de la passation des épreuves comportent également des traces d’une représentation de soi dépréciée avec de fréquentes
références au non-savoir et à la bêtise de ses propres propos : « J’espère que je ne suis pas trop
nulle ! ».
En même temps, ces femmes se décrivent comme étant très actives.
Dans chacun de ces vécus, nous relevons un apparent paradoxe : d’une part, il y a une tentative d’oubli du corps, de le pousser dans ses retranchements, avec une tendance à tout