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1. La démarche proposée

1.2. Histoire d’une recherche et justification des choix méthodologiques 135

1.3.3. Une approche clinique

A) L’entretien clinique de recherche

Cette forme d’entretien a été choisie pour permettre d’obtenir des éléments plus riches. Il se

distingue de l’entretien clinique à visée thérapeutique par les délimitations suggérées par le

chercheur clinicien486. En effet, tout en respectant le plus possible l’esprit d’un degré de liberté d’expression le plus important possible laissé au sujet, l’entretien a été guidé par les thèmes liés à la recherche et a été ponctué par des questions permettant de mieux les approcher.

Sa trame générale tente de saisir, en particulier : - la théorie de la personne sur sa maladie ;

- des éléments de son histoire infantile, notamment la relation avec les parents ou les substituts parentaux ;

- les événements notables autour de l’apparition de la maladie (chocs éventuels,

traumatismes, séparations) ;

- les représentations autour de l’éprouvé de la douleur et de la fatigue ;

- les caractéristiques de la relation clinicien-sujet, la dynamique transférentielle et contre-transférentielle.

B) L’apport des épreuves projectives

Deux épreuves projectives ont été employées dans le cadre de cette démarche, le Rorschach et le TAT. Ces outils cliniques, sont utilisés dans un référentiel psychanalytique dans un souci de cohérence avec le socle théorique des hypothèses formulées.

L’interprétation du Rorschach selon une méthode de base psychanalytique487 complémenté par le TAT permet, en recoupant les données obtenues avec celles des entretiens et des observations

cliniques, d’avoir une bonne estimation de la dynamique du fonctionnement actuel et latent du

sujet. Les épreuves projectives (Rorschach et TAT) apparaissent d’autant plus précieuses que les cas étudiés ne sont pas issus d’un travail thérapeutique au long cours mais d’une situation de

recherche qui ne permet pas de multiplier les entretiens cliniques. Elles ont aussi été choisies « parce qu’on attend de cette démarche de mettre à jour ce qui n’apparaît pas ailleurs et

486 Castarède M.F. (1983), L'entretien clinique à visée de recherche, in Chiland C. (dir.) (1983), L'entretien clinique, Quadrige, Paris, PUF, 2006, pp. 118-145.

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notamment dans la clinique des consultations488». L’intérêt de cette méthode est d’autant plus

marqué que les entretiens peuvent être parfois très restreints et défensifs, notamment parce que la demande est la nôtre et non celle du patient, et se sont réalisés parfois dans un contexte où les sujets ont des difficultés de mentalisation et de verbalisation.

Il s’agit donc d’outils de médiation et de dialogue489. Ces épreuves complètent l’entretien clinique de recherche et le prolonge dans la mesure où elles constituent un autre support de

rencontre, où les sollicitations sont telles qu’elles mettent au travail une palette de modalités

défensives parfois différentes de celles observées lors des entretiens. Par ailleurs, la mise à

l’épreuve des hypothèses par une double approche semble plus riche si nous combinons les éléments issus des entretiens cliniques et ceux résultants de l’analyse des protocoles.

Marie-Christine Pheulpin490 considère la situation projective comme « un autre miroir ». Elle

fait ici référence à l’hypothèse lacanienne du stade du miroir. Mais le premier miroir serait,

selon Winnicott491, le visage de la mère. Cet « autre miroir » offre la possibilité « de renvoyer une image du sujet au sujet et au clinicien qui, dans cette situation, par le jeu des mouvements

transférentiels, est mis en place et lieu de l’imago maternelle492». En ce sens, la situation

projective constitue ce que l’auteure appelle « un moment identifiant » qui renvoie au moment

où l’infans parvient à la constitution de son « je », ceci lui procurant un sentiment d’exister. Or, chez les fibromyalgiques, nous avons souligné l’importance du sentiment de continuer d’exister

lorsque nous avons parlé de la douleur. Le rôle de « témoin narcissique » du corps médical et de

l’entourage fait écho au rôle de « témoin narcissique» du clinicien en situation projective. Notons que le TAT, du fait de ses sollicitations quant aux représentations de relation et aux scénarios fantasmatiques notamment œdipiens, apporte une autre dimension au rôle du clinicien car il peut être également mis à la place de la mère séductrice et sexuelle. L’auteure

met aussi en exergue la double polarité de la situation projective, à savoir le « percevoir » et le « se représenter, imaginer ». Si souvent le cadre projectif peut permettre des mouvements de régression, le sujet peut également se saisir de ce cadre pour, dans un mouvement de

488 Chabert C. (1988), Les méthodes projectives en psychosomatique, in Encyclopédie Médico-chirurgicale, Psychiatrie, 16, 1988.

489 Neau F. (2004), L’expertise psychologique d’adultes, in Emmanuelli M. (2004), L’examen psychologique en clinique. Situations, méthodes et études de cas, Paris, Dunod, 181-192.

490 Pheulpin M-C. et al. (2003), Aux sources du narcissisme : le regard de l'autre. Intérêt des épreuves projectives. Regards croisés sur quelques sujets alcooliques, in Psychologie clinique et projective, 2003/1 n° 9, p. 313-330.

491 Winnicott D.W. (1967), Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant, in Jeu et

Réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’inconscient », 1996.

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réorganisation, « sortir de la contrainte de répétition en révélant chez le sujet et au sujet lui-même, un moment riche de potentialités créatrices493».

Dans un autre texte494, Marie-Christine Pheulpin remarque que chez les patients en souffrance

somatique, il n’est pas rare qu’au TAT ils expriment une sensibilité aux corps figurés sur les planches « qui deviennent le miroir ou le négatif de leur état et des préoccupations actuelles495 ». C’est donc l’image du corps et ses éprouvés qui seraient sollicités ici sous le

regard du clinicien, et il en est de même à travers le Rorschach. Le regard bienveillant du clinicien, de la « mère-clinicienne » sert de filet de protection pour que le moment projectif devienne un « moment identifiant », en mettant en jeu, sous couvert de cette protection, les assises identitaires et identificatoires du sujet. Au final, n’est-ce pas ce regard que réclament les fibromyalgique, dans leur quête de reconnaissance ?

493 Pheulpin M-C. et al. (2011), Les épreuves projectives, un creuset de réorganisation psychique ? Quand la clinique du traumatisme crânien léger questionne le traumatisme psychique, in Psychologie clinique et projective, 2011/1 n° 17, p. 221-249, p. 238.

494 Pheulpin M-C. (2013), Clinique projective et corps en souffrance, in Le Carnet PSY, 2013/3 N° 170, p. 44-47. 495 Ibid., p. 45.

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