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UNE METHODOLOGIE EN DEUX TEMPS

4.1.1. LA COLONISATION ET L’IMMATRICULATION DES TERRES

4.1.1.3.3. Evolution des superficies sur un siècle

Tableau n° 4-12 : Évolution des superficies par propriétaire foncier (PF)sur un siècle (1865 à 1956) Superficies par Propriétaire foncier Superficies par PF en 1865 (ha) Superficies par PF Enquêtes partielles (ha) Superficies par PF Enquêtes d’ensemble (ha) < 10 ares 0,011 10 - 50 a 0,06 50 - 100 a 0,2 0,29 1 - 5 ha 1,8 1,97 0,75 5 - 10 ha 3,4 8,32 2,26 10 - 20 ha 4,6 1,64 4,6 20 - 50 ha 6 2,28 8,7 50 - 100 ha 6,7 5,94 0 ≥ 100 ha 19 17,75 175 Total 5,6 3,9 1,12

La dégradation extrême des conditions de vie des populations rurales ne peut plus faire de doute à travers ces chiffres. Après un siècle d’occupation, la superficie par propriétaire a été divisée par 5 alors que le nombre de propriétaires n’est pas très différent entre le début et la fin de l’occupation. Les descendants des populations du début de la colonisation vivent dans des conditions encore plus misérables que leurs pères.

Si en 1865, une évolution de la superficie par propriétaire peut être constatée au fur et à mesure qu’on avance dans les classes de superficie, dans les enquêtes partielles, à part la classe des propriétaires possédant entre 5 et 10 hectares qui voit la superficie par propriétaire en évolution, les autres classes voient leurs superficies diminuer de façon alarmante. Avec les enquêtes d’ensemble, la situation devient encore plus dramatique. On voit apparaître des classes avec des superficies inférieures à un hectare, qui concentrent un nombre important de propriétaires, environ 37 %. En 1865, seulement 1 % des propriétaires possèdent entre 50 et 100 ares ; dans les enquêtes partielles, ces classes ne sont pas du tout représentées.

Une autre remarque attire l’attention dans les dernières enquêtes d’ensemble, il n’existe plus de propriétaires fonciers à partir de 50 hectares. Une seule exception, un individu possédant 175 hectares, ce qui est assez extraordinaire, vu la situation globale, mais possible parce que dès que les conditions s’améliorent pour les exploitants agricoles, ils se remettent à racheter des terres aux colons ou à d’autres propriétaires algériens, en faillite.

4.1.1.4. Comparaison des trois sources (1865 - 1956)

Tableau n° 4-13 : Nombre de propriétaires fonciers (PF) à travers les trois sources

Classes de Superficie Nombre de PF dans le S.C Nombre de PF dans les E.P Nombre de PF dans les E.E < 10 ares 141 10 - 50 a 242 50 - 100 a 15 103 1 - 5 ha 111 3 604 5 - 10 ha 180 17 147 10 - 20 ha 363 99 66 20 - 50 ha 453 413 20 50 - 100 ha 212 261 0 ≥ 100 ha 63 33 1 Total 1398 826 1324

Source : Sénatus-consulte (SC), enquêtes partielles (EP) et enquêtes d’ensemble (EE)

Les chiffres du tableau précédent donnent un aperçu de la population des quatre douars mais à des périodes différentes. En 1865 les chiffres augmentent proportionnellement avec les classes, jusqu’à cinquante hectares ; au-delà de cette limite, on constate un certain fléchissement. Par contre, avec les enquêtes d’ensemble, 93 % des propriétaires n’atteignent pas dix hectares. On ne peut certes pas parler d’évolution, mais on peut quand même remarquer que les enquêtes partielles ont été demandées surtout par ceux qui possédaient plus de dix hectares (98 %), alors que les enquêtes d’ensemble ont concerné surtout la micropropriété, (37 % avaient moins de un hectare), et la petite propriété, (57% possédaient entre un et dix hectares), c’est à dire les propriétaires qui n’avaient pas assez de terres pour prétendre revendiquer un quelconque titre de propriété.

Il faut aussi préciser que les enquêtes d’ensemble et les enquêtes partielles s’ajoutent pour donner une situation globale des deux douars : Ahssassna et Ameur S’raouia.

La moyenne par propriétaire foncier diminue avec le temps. 4.1.1.5. La mobilité des terres

Pendant qu’une partie de la population courait encore après les titres de propriété, d’autres procédaient à des achats, ventes et échanges. Ceci veut dire que la terre changeait de mains et que l’immobilisme foncier n’était qu’apparent. En effet, cet aspect a été constaté dans le détail, par une recherche faite par Z. Soudani, dans le cadre d’un Magister sur "Les transactions foncières dans l’arrondissement de Constantine de 1910 à 1938" (6). Cette recherche a constaté que sur un échantillon de 7 années, le nombre de transactions réelles a été de 13 248, pour 4 communes du nord de l’arrondissement de Constantine. 3 douars de Ain Abid faisaient partie de l’échantillon à savoir : Ahssassna, Ameur S’raouia et Merachda ainsi que les fermes de Sakrania, Azel Chabet el Guerrah et Azel enchir el Bey

Sans pouvoir dire avec exactitude quelle part des transactions foncières concernait la commune de Ain Abid, les chiffres donnent cependant un aperçu global de la région environnante. Il s’échangeait en moyenne, par année, 851 hectares, mais ceci n’est qu’une moyenne, l’étude a relevé des disparités d’une année à l’autre.

La conclusion à laquelle arrive cette étude est que le nombre de transactions et le volume des superficies échangées n’évoluent pas parallèlement. Le nombre de transactions est très important par rapport à la superficie échangée. En fait, les transactions se font sur de petites superficies, c’est donc la petite paysannerie qui est la plus touchée par ces transferts de propriété et c’est la petite propriété qui est liquidée.

Il ressort de la même étude que les propriétés de moins de 3 hectares totalisent à elles seules, plus de la moitié des transactions, soit 54 %. Si on élargit la classe à moins de 5 hectares, la proportion augmente jusqu’à atteindre 73 %, soit près des trois quarts des propriétés qui sont échangées. C’est donc la petite propriété foncière qui alimente ce marché foncier. La paupérisation atteint son extrême et touche davantage

les plus démunis. Suite à cette dégradation des conditions d’existence, les petits producteurs se trouvent devant l’obligation de se défaire de leur lopin de terre, n’ayant plus les moyens de l’exploiter ni même les moyens de subsister. Ils abandonnent ainsi leurs droits sur la terre qui les faisait vivre jusque là, pour une bouchée de pain. Selon, le témoignage d’un vieux paysan, on échangeait facilement, son lopin de terre contre 1 saâ (7) d’orge et on allait louer sa force de travail chez le colon voisin, ou on émigrait.

Le recensement des propriétaires fonciers, à l’aide des listes établies par le Sénatus-Consulte, les enquêtes partielles et les enquêtes d’ensemble qui permettent de saisir la dégradation des conditions de vie des agriculteurs algériens durant toute la colonisation, permettent aussi d’avoir un recensement des lots de terrains agricoles et non agricoles, mais ne permettent pas d’établir une liste des propriétaires fonciers de manière exhaustive, à une période donnée. En effet les instruments utilisés, à savoir les enquêtes, ont été réalisées à des moments différents. Elles se sont échelonnées sur un siècle et, au fur et à mesure que le temps passait, la colonisation s’installait confortablement et avait de plus en plus d’appétit de terres qu’elles ne pouvait prendre selon la logique des vases communicants, que sur les propriétés des algériens. La situation se dégradait de plus en plus pour ces derniers et devenait en même temps très complexe par le phénomène des successions et de l’indivision qui les régissait.

La situation n’allait pas s’améliorer avec l’indépendance.