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ENJEU OU NECESSITE DU DEVELOPPEMENT AGRICOLE

1.2. LA PROPRIETE PRIVEE SELON LES THEORIES EVOLUTIONNISTES

1.2.2. ELEMENTS D’INFIRMATION DE LA THEORIE

La plupart des prédictions issues de la théorie des droits de propriété n’ont pas été confirmées dans la réalité.

1° - Il y a trois raisons pour lesquelles on peut considérer que la formalisation des droits fonciers n’a pas réussi à accroître la sécurité de la tenure.

« La formalisation des droits fonciers va nécessairement de pair avec l’attribution de droits exclusifs nettement définis » (47). C’est le grand problème qui se pose en Algérie. Les droits de propriété sont tellement enchevêtrés, dans la plupart des cas, qu’il est difficile, voire impossible, d’individualiser la part de chaque indivisaire, sur le terrain. Le cas le plus courant appelé ‘Fels’ qui est l’équivalent de 20 /384ème (48). Dans le cas d’une petite propriété, que représenterait cette part ? Sur une propriété de 15 hectares, par exemple, cela représenterait l’équivalent de 0.78 hectares soit 78 ares. Dans une région de céréaliculture, comme celle de la commune de Ain Abid, cette superficie ne pourrait faire vivre décemment une famille même de taille réduite. Il existe des exemples beaucoup plus complexes. Si on rajoute à cela, la multiplicité des parcelles par propriété, on peut imaginer la difficulté à partager la propriété entre tous les ayants droits.

« Dans un contexte marqué par l’analphabétisme d’une grande partie de la population et de fortes inégalités en termes de capital de relations, toute procédure d’enregistrement impliquant des démarches auprès d’une administration centralisée ne peut que favoriser des personnes riches et influentes » (49). Les éventuels postulants à un partage de la propriété familiale et à l’enregistrement des parts individualisées, s’arrêtent très souvent en cours de route, devant la complexité et la lourdeur des démarches administratives et le coût des opérations de partages. Le cadastre actuel, qui n’est toujours pas terminé, enregistre les propriétés au nom d’un membre de la famille, en général celui qui dirige l’exploitation et non au nom des différents individus qui composent cette famille. Il est cependant permis et recommandé aux propriétaires fonciers, par les textes d’application du nouveau cadastre, de procéder à un partage de la propriété familiale par consentement mutuel, avant la clôture des opérations cadastrales, ce qui réduirait au maximum le coût des partages et de l’enregistrement. On peut noter à cet effet, que pas un seul cas bénéficiant de cette clause n’a croisé

nos investigations à ce jour. Les conflits d’intérêt et les pressions familiales sur la liquidation de la propriété commune sont tels que de nombreuses affaires en justice sont en cours.

« Enfin, un système cadastral n’a évidemment de sens que si les droits de propriété y sont non seulement convenablement consignés mais aussi tenus à jour de façon régulière et précise. Or, il apparaît que ce n’est pas le cas, en grande partie parce que les fermes sont presque toujours constituées de nombreuses parcelles extrêmement fragmentées, ce qui multiplie les coûts d’enregistrement de manière considérable » (50). Dans le cas de l’Algérie, les services du cadastre rencontrent d’énormes difficultés à convaincre les propriétaires qu’ils ont intérêt à procéder à la constatation puis à l’enregistrement de leurs biens afin d’assainir leur situation. De nombreuses opérations foncières, surtout les échanges, et parfois certains partages, se sont faits de manière orale, il n’y a pas d’écrit pour confirmer les dires des propriétaires, ce qui les incitent à ne pas donner les informations exactes ou alors ils ne répondent pas aux convocations de l’administration cadastrale.

2° - « La formalisation des droits fonciers n’a pas eu pour effet d’activer le marché des terres. Les fermiers attachent à leur terre une valeur qui excède sa valeur strictement économique, en raison de considérations symboliques et émotionnelles (51), et ceci tend à freiner les transactions foncières » (52). On retrouve cette situation en Algérie. En effet, depuis la promulgation de la loi d’orientation foncière 90-25, le nombre de transactions foncières est insignifiant. Un dépouillement systématique des transactions rurales de la commune d’étude (Ain Abid) pour l’année 2001, n’a révélé aucune transaction de vente et d’achat de terres ni de propriété agricole. Comme dans les pays développés, on peut constater une certaine stabilité de la propriété foncière, mais en Algérie, elle est plutôt le "reflet" d’un certain immobilisme.

Lorsque les propriétaires fonciers vendent leur terre, c’est généralement dans des conditions de détresse et les acheteurs font souvent partie d’une élite privilégiée qui considère l’achat de terres comme un placement intéressant et sûr. Ceci est vrai pour l’Algérie, surtout pendant la colonisation. Les ventes libres de terres sont rares : les transferts de terres ne font pas l’unanimité dans les familles.

3° - « Il n’y a pas de relation claire entre le degré d’individualisation de la tenure foncière et le degré de formalisation des droits de propriété sur la terre, d’une part, et l’importance du recours au crédit et les rendements agricoles, d’autre part. L’absence de relation entre la titrisation des terres et leurs productivités peut s’expliquer principalement de deux manières :

D’abord, le fait que le recours au crédit ne soit pas stimulé par la titrisation peut expliquer la persistance de contraintes de financement entravant les investissements de modernisation… » (53).

On peut rajouter pour l’Algérie, que le rapport au crédit de financement est entaché de considérations religieuses, l’islam interdisant les prêts avec intérêts, la plupart des exploitants agricoles, qu’ils soient propriétaires ou non, répugne à enfreindre la loi. Mais une raison encore plus importante freine le recours au crédit de financement, il s’agit d’une peur presque maladive du remboursement. En effet la peur qui hante les esprits des producteurs, est qu’en cas de non remboursement, ils perdraient leurs terres. La formalisation des droits de propriété n’entraîne pas systématiquement une pratique plus intensive de l’activité agricole.

« Enfin le développement de l’agriculture qui passe par une intensification des cultures, rencontre d’énormes difficultés qui ne sont pas du ressort du foncier » (54). On peut signaler à cet effet, pour l’Algérie, l’indisponibilité des intrants en temps voulu, en quantités nécessaires et de bonne qualité, entre autres. Rappelons aussi que même les exploitants disposant de superficies appréciables, de moyens matériels et de financements suffisants, sont limités dans leur élan d’investissement par ces blocages. Dans l’état actuel des choses, les titres de propriété à eux seuls ne peuvent inciter à plus d’investissements dans l’activité agricole.

Certes, la formalisation des droits de propriété peut sembler importante pour la gestion du patrimoine foncier d’un pays comme l’Algérie, mais son efficacité, quant à elle, est toute relative. Le développement qui aurait pu s’ensuivre est plutôt compromis, car la logique sous-tendue par les politiques de développement adoptée jusque-là par l’Etat, ne sont pas en adéquation avec la logique des producteurs. L’Etat lui-même ne va pas jusqu’au bout de ses objectifs. A titre d’exemple, la création du fonds d’aide aux agriculteurs, toutes spécialités confondues (FNDA), qui avait pour

mission, entre autre, le contrôle du suivi des différentes opérations du procès de production, afin de veiller à ce que les deniers de l’Etat soient utilisés conformément à leurs destinations, a failli sur ce point. En effet des observations sur le terrain ont permis de constater chez certains bénéficiaires, l’utilisation à d’autres fins des fonds alloués par l’Etat. De plus, l’Etat ne s’est pas donné les moyens nécessaires à sa politique de développement. En effet la livraison de certains intrants ne s’est pas faite. S’agissant en l’occurrence d’engrais, l’opération fertilisation n’a donc pas eu lieu et le procès de production s’est trouvé amputé d’une opération nécessaire qui n’a pas permis à un bon nombre de bénéficiaires de profiter de l’allocation d’aide prévue au départ.

1.3.. LA PERSPECTIVE NEO-CLASSIQUE SUR LES

DROITS DE PROPRIETE

Pour les adeptes de cette approche néo-classique, le problème de la tenure et des systèmes fonciers participe classiquement de celui des droits de propriété. « Dans la littérature économique, les notions de droits et de propriété se trouvent ainsi traités par la théorie des contrats (essentiellement la théorie de l’agence), la théorie de jeux, l’économie institutionnaliste. Les droits de propriété sont moins l’objet d’analyses théoriques que d’analyses empiriques centrées sur des cas…Une transaction se définit en effet comme l’échange de deux ensembles de droits de propriété » (55).

Selon cette théorie, « l’évaluation de ces différents types de droits de propriété ne présente aucune ambiguïté. Seule la propriété individuelle est efficace au sens ou elle permet une allocation optimale des ressources. Au contraire, les systèmes traditionnels, parce qu’ils ne présentent ni le caractère de mobilité marchande ni la sécurité de la propriété privée, sont autant de freins au développement agricole. » Trois caractéristiques semblent attester cette supériorité de la propriété privée (56).

1.3.1. MOBILITE MARCHANDE ET MOBILITE ECONOMIQUE DE LA TERRE