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Troisième passage - A cette étape, la majorité des fruits a été récoltée. L'enjeu est cette fois d'étaler la récolte afin d'approvisionner les marchés : « Les metteurs en marché veulent avoir la clémentine

pendant 2 mois. Ils nous demandent de nous arranger pour avoir 2 mois de récolte ».

Figure 89. Prix bruts et expéditions de clémentines corses en 2014. Source : AOPn.

• Construction de la qualité à l'échelle du bassin d'approvisionnement

Après la parcelle et l'exploitation agricole, la qualité s'élabore donc à l'échelle du bassin d'approvisionnement des metteurs en marché. A cette échelle, 4 facteurs semblent déterminants. L'adéquation entre coloration, ramassage et expédition - Une telle adéquation n'a rien d'évident, puisque la dynamique de la demande ne correspond pas à la dynamique naturelle de maturation des vergers. C'est donc le fonctionnement des bassins d'approvisionnement qui amène à faire plus ou moins bien respecter des critères de qualité comme la coloration ou la fermeté. En début de récolte, les producteurs-expéditeurs parviennent à ne faire récolter que des fruits colorés en rationnant leurs acheteurs. Ce type de producteur attache une importance particulière à la qualité lors de la récolte car leurs fruits sont mieux valorisés que ceux des simples apporteurs d'OMM. D'autres producteurs, au contraire, n'hésitent pas à demander aux ouvriers de se « débrouiller pour sortir du fruit », quitte à ramasser trop vert. Et pour cause, les prix sont hauts, les exigences sur la qualité sont faibles, et les acheteurs sanctionnent durement les retards ou les discontinuités d'approvisionnement. C'est en particulier le cas pour les centrales d'achat, qui privilégient le fait d'avoir du volume au fait d'avoir des fruits de qualité. Un agriculteur témoigne : « On peut se retrouver à déclencher la récolte pour des

fruits limite couleur si le marché est demandeur ». Un autre complète : « Quand on vend nos fruits et

Pri x m oy en b ru t 1 1,2 1,4 1,6 1,8 2 2,2 2,4 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000 4500 42 44 46 48 50 52 54 56 58 Pr od uc tio n (t on ne s) Semaines (42 à 5)

Evolution du prix des clémentines Espagnoles et Corses au cours d'une saison

Tonnage Prix

Chapitre 4.1. Analyse sociotechnique des pratiques de récolte

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qu’ils ne sont pas vendables, ils ne vont pas vous les prendre, sauf si on est en début de saison ». Plus

tard, le marché sature alors qu'il faudrait accélérer la récolte. Les incertitudes sur la qualité sont permises car les critères de qualité – coloration et fermeté – sont interprétables, et donc discutables. Le délai entre le ramassage et l'expédition est également une variable importante, car la qualité commerciale des fruits (fermeté, fraicheur, occurrence de défauts évolutifs) et la fraicheur de la feuille dépendent également du temps que les fruits récoltés passent en station dans l'attente d'être conditionnés et expédiés. C'est encore une fois le niveau de coordination entre un organisme de mise en marché et chaque agriculteur qui permet d'optimiser ces délais. En l'absence d'une telle coordination, l'agriculteur ramasse ses parcelles sans s'arrêter, ce qui amène les stations à recevoir des récoltes sans pouvoir les conditionner.

La rigueur du tri et du calibrage en station de conditionnement - La qualité des fruits expédiés dépend de la précision avec laquelle le conditionneur regroupe les fruits en catégories homogènes de qualité visuelle et de calibre. L'homogénéité des lots expédiés vers les marchés finaux dépend donc du travail de tri et conditionnement réalisé par la station. La qualité du tri dépend de la cadence de la machine, du nombre de couches de fruits sur la table de tri, et enfin le nombre d'ouvriers effectuant le tri. La précision du calibrage dépend de la technologie de calibrage (les calibreuses à rouleau sont moins précises que les calibreuses à poids), et également de la stratégie du conditionneur. Le sous-calibrage et le sur-sous-calibrage sont des pratiques fréquentes, qui consistent à mélanger entre elles des catégories de calibres afin d'augmenter la proportion de fruits bien valorisés (calibres 1,2,3) et diminuer la proportion de fruits mal valorisés (0,4,5,6). Les moyens investis pour garantir la qualité du tri et du calibrage varient d'un moment à l'autre de la saison car les acheteurs ont de faibles exigences en début de saison. La politique des conditionneurs est également influencée par le marché de destination. Ils porteront une attention d'autant plus forte à un lot que sa perspective de valorisation est élevée. Ainsi, la précision du tri et du calibrage a tendance à se dégrader suivant qu'un lot se destine à la catégorie Label Rouge, IGP, non IGP/catégorie I, et non-IGP catégorie II.

La qualité des récoltes des apporteurs. La rigueur du tri en station n'est pas uniquement influencée par des paramètres que le conditionneur maitrise. Elle est aussi et avant tout dépendante de la qualité du lot à l'entrée. La station est un nœud dans la gestion de la qualité, où il est possible de corriger des problèmes de qualité qui se sont construits au verger. Les chefs de station déterminent d'ailleurs l'organisation du travail (nombre d'ouvriers, cadence de la machine) en fonction de ce qui vient en entrée. C'est ce que nous explique ce chef de station avec ses mots : « Lorsque c'est les clémentines de

merde de Mr X, je demande à mes gars de faire très attention ». Par « clémentines de merde », le chef

de station faisait référence à un lot présentant une fréquence élevée de fruits tâchés et de petit calibre. Mais lorsqu'un lot présente des fruits de qualité trop hétérogène, le passage en station ne fait que diminuer la fréquence des fruits non commercialisables sans pour autant pouvoir les éliminer. Ainsi, les apporteurs jouent un rôle clé dans la construction de la qualité à l'échelle du bassin d'approvisionnement. Or, toutes les stations n'ont pas le même profil d'apporteurs :

- Les grandes structures qui conditionnent pour le compte d'un OMM travaillent avec plusieurs dizaines de petits apporteurs qui ne se sentent pas responsables de leur récolte une fois livrée à la station. Pour cette raison, ces grandes stations sont confrontées à des lots d'entrée de qualité variable, et se basent sur la diversité des débouchés commerciaux pour écouler les lots à problèmes.

- Les stations de taille moyenne ont un petit nombre d'apporteurs de confiance relativement engagés dans la qualité et le suivi de leur récolte pendant le conditionnement.

- Dans le cas des stations individuelles, le couplage exploitation agricole – station répond à une volonté de maîtrise totale de la qualité des fruits récoltés et expédiés.

La nature de la demande de la filière aval – Les exigences qualitatives des acheteurs sont relayées par les metteurs en marché, et déterminent en grande partie les pratiques des agriculteurs. La demande de la majorité des acheteurs porte sur les fruits de gros calibres (1, 2 et 3), de bon aspect visuel, et vendus en catégorie IGP. Les fruits qui ne correspondent pas à ces critères (petits fruits, fruits

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« moches ») sont donc peu valorisés, et ne trouvent parfois pas de débouchés. Il y a néanmoins des différences nettes entre les débouchés :

- Les grossistes primeurs qui approvisionnent les petits distributeurs des quartiers riches des grandes villes sont particulièrement exigeants sur la qualité visuelle des fruits et la présentation des caisses. Les agriculteurs-expéditeurs liés à ce type d'acteur portent donc une attention particulière à la qualité du tri au champ et au travail en station. En amont de la récolte, ils prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir d'éventuels problèmes de qualité visuelle : filets antigrêle, méthodes chimiques de protection du verger…

- Les centrales d'achat de la grande distribution sont relativement plus flexibles sur l'homogénéité des lots, car elles privilégient les volumes sur la qualité visuelle. Les apporteurs des OMM peuvent donc se permettre un peu moins de précision à la récolte et au tri que dans le cas précédent.

- Les acheteurs du circuit bio (biocoop) ont pour particularité d'être peu exigeants sur la qualité externe des fruits et sur le calibre. Dans le circuit bio, les fruits de petit calibre et les fruits tâchés sont relativement mieux valorisés que dans le conventionnel. En conséquence, les agriculteurs bio peuvent gagner leur vie malgré des calibres plus modestes, et une fréquence plus élevée de défauts visuels.

Conclusion

Après la parcelle et l'exploitation agricole, la qualité s'élabore donc à l'échelle du bassin d'approvisionnement des OMM. A cette échelle, les agriculteurs, les conditionneurs et les metteurs en marché se coordonnent afin de mettre en adéquation la dynamique de la récolte avec la demande quantitative et qualitative du marché aval. Les Figures 90-97 pages 188-189 illustrent les éléments développés dans la section c.

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Figure 90. Sur la table de tri, les fruits défilent sur des rouleaux devant 4 ouvriers, selon un rythme déterminé par le chef de station. Le rôle des stations est de convertir les fruits hétérogènes issus des parcelles en lots homogènes en termes de calibre et qualité visuelle. © R. Belmin.

Figure 91. Sur la table de tri, un ouvrier écarte des fruits non commercialisables, car présentant des imperfections visuelles ou des défauts évolutifs.

© R. Belmin.

Figure 92. Un ouvrier est placé en amont de la table de tri pour réaliser un premier tri de dégrossissage, car la récolte d'un apporteur présentait beaucoup de fruits non commercialisables. Les stations de conditionnement sont des nœuds dans la gestion de la qualité, où les problèmes de qualité qui se sont construits au verger peuvent être corrigés. © R. Belmin.

Figure 93. Dans cette calibreuse de nouvelle génération, chaque godet emporte un fruit, le pèse, et le déverse vers une sortie correspondant à sa catégorie de poids (et donc de calibre). Depuis quelques années, les stations de conditionnement investissent dans des calibreuses à poids. Cet outil permet un calibrage plus précis - et donc une maitrise encore plus fine du sous calibrage et du sur calibrage -, ainsi qu'une collecte automatisée de l'information sur les récoltes. © R. Belmin.

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Figure 94. En sortie chaîne de conditionnement, les ouvriers placent les fruits dans des caisses, et ajustent le tri et le calibrage manuellement. La qualité des lots expédiés dépend de la précision avec laquelle les fruits sont regroupés en catégories homogènes

de qualité visuelle et de calibre. © R. Belmin.

Figure 95. Les palettes sont prêtes à être scellées et expédiées par camion vers le continent.©R. Belmin.

Figure 96. En sortie de chaîne, un premier ouvrier répartit les fruits dans la caisse afin d'éviter l'écrasement lors de leur empilement. Un second place une caisse

sur une palette d'expédition.© R. Belmin.

Figure 97. Les fruits sont conditionnés dans des caisses cartonnées de 12 kg en catégorie IGP. Le délai entre récolte et distribution ne dépasse jamais 6 jours. Les fruits présentant trop de défauts visuels seront commercialisés sous la catégorie « clémentine avec feuille origine France ». © R. Belmin.

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d) Les pratiques de récolte et la qualité émergent de l'interaction de 3 niveaux