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Chapitre 2.4. Etat des connaissances sur la qualité de la clémentine de Corse clémentine de Corse

2.4.3. Construction de l'acidité au verger chez les agrumes et la clémentine la clémentine

Il n'existe à notre connaissance aucune revue de littérature, ni aucun modèle, apportant une vision globale de la construction agronomique de l'acidité des agrumes. Nous proposons ci-dessous un premier état de l'art sur cette question, en passant en revue les travaux qui éclairent tour à tour l'effet du climat, des pratiques, et du matériel végétal sur l'acidité des agrumes en général, et des clémentines lorsque les connaissances le permettent.

• Température et acidité

Les températures jouent un rôle important dans l'acidité et la teneur en sucre des agrumes. Dès les années 1960, une étude (Reuther & Rios-Castano, 1969) avait démontré que le processus de maturation des agrumes était particulièrement rapide en climat tropical : en accroissant le taux de respiration, les températures élevées induiraient une augmentation rapide du calibre et de la teneur en sucre, et une diminution rapide de l'acidité. Une autre étude menée en Australie pendant 9 ans sur orange (Hutton & Landsberg, 2000) apporte des résultats convergents. Les auteurs montrent une relation linéaire négative entre l'acidité et le cumul des températures (base 13°C) pendant toute la durée où le fruit reste sur l'arbre avant récolte. Des résultats similaires ont été trouvés sur raisin (Kliewer, 1973), fraise (Wang & Camp, 2000), et tomate (Gautier et al., 2005). D'autres études

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suggèrent que le rôle des températures est conditionné par le stade phénologique des fruits. Stade I.

Sur mandarine Satsuma, Richardson et al. (1997) ont montré qu’une augmentation de la température

pendant le stade I de développement du fruit entraine une augmentation du rapport E/A. En Corse, Blondel & Cassin (1972) ont montré qu'un abaissement des températures au printemps peut ralentir le processus de maturation des fruits en freinant la progression du sucre. Stade III. Sur orange Valencia,

une étude menée par le service des statistiques agricoles de Floride entre 1968 et 1996 – soit 26 ans - a démontré que les hivers doux induisaient des acidités faibles et des teneurs en sucre élevées (Albrigo, 1997).

Etienne et al. (2013) proposent que l'augmentation des températures agît sur l'acidité des fruits charnus en accélérant le métabolisme des acides. Les températures élevées accéléreraient la glycolyse et le cycle de Krebs (Araujo et al., 2012) en modifiant l'activité enzymatique (Lakso & Kliewer, 1975) et la vitesse du transport mitochondrial (Halestrap, 1975).

• Alimentation hydrique et acidité

Les apports hydriques jouent un rôle important dans l'élaboration de la qualité des agrumes. Dans les années 1960-70, une première vague de travaux se sont penchés sur les conséquences d'un excès d'eau sur plusieurs espèces d'agrumes, allant du pamplemoussier (Carter et al., 1971) à l'oranger (Koo, 1963) en passant par le clémentinier (Blondel & Cassin, 1972). Ces études montrent qu'une alimentation hydrique excessive conduit à de faibles concentrations en acides et sucres. Cette relation a été démontrée a de multiples reprises, que ce soit en comparant des parcelles expérimentales conduites sous plusieurs modalités d'irrigation (Calvert et al., 1967; Koo, 1963; Sites, 1947), ou bien en étudiant pendant plusieurs années les variations de la qualité moyenne sur un réseau de parcelles (Carter et al., 1971; Sanchez et al., 1978; Blondel et al., 1972). Ce qui vaut pour les agrumes en général vaut également pour la clémentine de Corse. En Corse, des observations réalisées entre 1963 et 1976 sur un réseau de parcelles de clémentiniers entre septembre et octobre montrent que l'acidité et le sucre sont abaissés significativement par les pluies abondantes au cours de ces 2 mois (Sanchez et al., 1978). Une autre étude centrée sur le sucre avait déjà montré des résultats comparables en Corse (Blondel & Cassin, 1972). Menée sur 9 ans chez 60 producteurs, l'étude montre qu'un excès d'eau au cours de l'année, mais surtout en septembre octobre, limite la teneur en sucre dans le jus. Cette tendance est aggravée par les sols humides et les irrigations tardives.

A partir des années 1990, une seconde vague de travaux a exploré les conséquences d'un manque d'eau. Les chercheurs ont montré sans ambigüité qu'un déficit d'irrigation a tendance à diminuer le rendement (García-Tejero et al., 2012), limiter le calibre (Shalhevet & Levy 1990) et accroitre les concentrations en sucres et acides (Stagno et al., 2015; Huang et al., 2000; Garcia-Tejedo et al., 2010; Castel & Buj, 1990).

Plus récemment, Navarro et ses collègues (2010b) se sont intéressés aux conséquences du moment où le déficit hydrique est appliqué. Les chercheurs ont comparé l'effet d'une absence d'irrigation en phase II (juin-octobre) et en phase III (octobre-novembre) du cycle phénologique de la clémentine de Nules. Ils ont constaté que le traitement en phase III induisait un accroissement des teneurs en sucres, acides et composés aromatiques, conduisant à une augmentation de l'acidité des fruits sans retard de maturité (rapport E/A inchangé). Un résultat similaire a été obtenu par Kallsen et al. (2011) sur orange Navel. Le traitement en phase II provoque une acidité totale très élevée associée à un retard drastique de maturité. Ces résultats convergent avec d'autres travaux sur fruits charnus, qui montrent qu'un stress hydrique pendant la maturité tend à accroitre l'acidité par effet de déshydratation (Gonzales-Altozano & Castel, 1999) et/ou par ajustement osmotique (Hummel et al., 2010).

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• Fertilisation azotée et acidité

Contrairement à l'irrigation, l'impact de la fertilisation azotée sur la qualité est encore mal compris. Les essais connus montrent en effet des résultats contradictoires. Certaines expérimentations ont montré que l'acidité des fruits augmente avec la quantité d'azote apportée. L'azote aurait ainsi tendance à retarder le processus de maturation interne des chez l'orange (Reitz & Koo, 1960; Koo, 1988), le pamplemousse (Koo & Reese, 1977) et le citron (Singh & Singh, 1984). D'autres études montrent au contraire qu'une augmentation des apports d'azote diminue l'acidité des fruits (Koo et al., 1973; 1974). Ces études ont la particularité d'avoir été conduites sur sol sableux et sur citronnier. Enfin, des expérimentations menées sur le citronnier (Jones, 1970) et l'oranger (Alva & Paramasivam, 1998; Alva et al., 2006b) ont démontré que l'acidité des fruits n'était pas influencée par les apports azotés.A quelques exceptions près, les travaux sur la fertilisation azotée ne s'intéressent pas au moment où les applications sont réalisées. Une étude sur l'oranger a pourtant montré qu'une ferti-irrigation étalée de mars à septembre conduisait à avancer la maturité, en comparaison d'un apport unique en mars ou en juillet (Intrigliolo & Roccuzzo, 1999). Etienne et al. (2013) proposent une interprétation du lien instable entre acidité et fertilisation azotée : apporté en excès, l’azote stimulerait la croissance végétative, avec pour effet de cacher les fruits (réduction de la température et de la transpiration) et de réduire les apports en assimilats photosynthétiques en les déviant vers les zones en croissance. Notons enfin que beaucoup d'études sur la fertilisation azotée s'accordent sur le fait qu'une augmentation des apports entraine une diminution du calibre associée à des difficultés de coloration (Reitz & Koo, 1960; Koo et al., 1973; 1974).

• Fertilisations potassique et phosphorique et acidité

Sur la fertilisation potassique, les résultats expérimentaux sont beaucoup plus convergents. La grande majorité des essais ont conclu que les apports potassiques induisent une augmentation de l'acidité chez les oranges (Deszyck et al., 1958; Reitz & Koo, 1960) et les citrons (Koo et al., 1973; 1974). Cela conduit Koo (1985) à conclure que cette tendance est générale chez les agrumes. Pour Etienne et al. (2013), la fertilisation potassique influencerait le métabolisme et le stockage des acides organiques en régulant le transport des acides du cytoplasme vers la vacuole. Les apports potassiques sont aussi connus pour augmenter le calibre et l'épaisseur de la peau des agrumes (Reitz & Koo, 1960; Koo & Reese, 1977; Alva et al., 2006a). Apportée en excès, la potasse peut retarder la coloration (Jacquemond et al., 2013b, p. 255). Réciproquement, un déficit en potasse peut conduire à des acidités anormalement élevées (Alva et al., 2006a) et à des petits calibres (Bar-Akiva, 1975; Calvert, 1969; Chapman, 1982; Deszyck et al., 1958; Reese & Koo, 1975). La littérature signale enfin une interaction entre la potasse et l'azote. D'après Koo (1985), l'azote influence l'absorption du potassium, mais l'inverse n'est pas vrai. L'effet de la fertilisation phosphorique sur l'acidité des agrumes n'est pas clair, et a été peu étudié (Quaggio et al., 2011). Néanmoins, deux études (Smith et al., 1963; Anderson, 1966) s'accordent sur le fait que les apports phosphorés croissants entrainent une diminution des concentrations en sucres et acides. Certains auteurs affirment aussi que des apports croissants de phosphore ont pour effet de retarder la coloration (Jacquemond et al., 2013b, p 255).

• Fertilisation organique et acidité

Quelques rares études aux résultats contradictoires abordent la question de l'effet de la forme d'azote apportée (fertilisants minéraux ou organiques) sur l'acidité des agrumes. Les résultats de Rapisarda et

al. (2010) sur oranger montrent qu'à dose égale d'azote, il y a une différence significative d'acidité et

de sucre entre des parcelles expérimentales conduites en bio (100% d'azote organique) ou en conventionnel. Les chercheurs mettent aussi en évidence une différence entre les parcelles biologiques fertilisées avec du compost (acidité et sucre plus bas) et celles qui sont fertilisées avec des effluents d'élevage (acidité et sucre plus haut). A l'inverse de ces résultats, Canali et al. (2012) montrent que les systèmes de culture biologiques (fertilisants à 100% d'origine organique) n'ont pas d'effet sur l'acidité.

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En Corse, l'AREFLEC7 a récemment mené un essai sur des plantations de clémentiniers de variété SRA 535 sur Citrange Carrizo pendant 5 ans, en comparant 5 modalités de fertilisation azotée (non fertilisé, minéral, 50% organique, 100% organique, et 25% organique). Les résultats de cet essai (Blouin, 2013) montrent qu'à l'exception du témoin non fertilisé, il n'y a pas d'effet significatif du mode de fertilisation azotée sur l'acidité.

• Taille et acidité

On sait depuis longtemps que la taille manuelle a un effet positif sur le calibre des agrumes (Shamel & Pomeroy, 1942; Moore, 1957; Zaragoza & Alonso, 1981). Si la taille a surtout été étudiée en relation avec la question du rendement et du calibre, la plupart des travaux mentionnent aussi un effet de cette pratique sur la qualité interne des fruits. Le plus souvent, leurs résultats montrent que l'acidité n'est pas influencée par la taille (Phillips, 1972; El-Zeftawi, 1976; Iwagaki & Hirose, 1977; Raciti et al., 1982; Leyva et al., 1987; Morales et al., 2000; Bona, 2001), que cette dernière soit réalisée de manière manuelle ou bien mécaniquement par étêtage, relevage des jupes, ou en forme de haie. Cela dit, Kretchman & Jutras (1962) ont montré des résultats contradictoires sur pamplemousse, en testant une méthode de taille sévère. En Corse, un suivi de 5 ans sur 95 parcelles d'agriculteurs a montré que la taille associée à la densité de plantation permettait d'expliquer une part de la variabilité de l'acidité de la clémentine commune (Figure 2).

Figure 2. Effet de la taille et de la densité de plantation sur l'acidité de la clémentine de Corse. Source : Bonillo, 1998; Bouffin, 2011.

• Espèces, variétés et acidité

Les processus de synthèse, stockage, et dégradation des acides ainsi que les mécanismes physiologiques et hormonaux sous jacents sont tous influencés par des facteurs génétiques. Ainsi, chaque espèce d'agrumes, et chaque variété au sein de chaque espèce présente des caractéristiques qui lui sont propres. Chez les agrumes acides (citrons, limes), la baisse d’acidité au cours de la maturation du fruit est moins marquée que chez les agrumes doux (oranges, mandarines, pamplemousse) (Sinclair, 1984). Dans le bassin de la clémentine de Corse, 5 variétés principales sont diffusées : les SRA 63, SRA 92, SRA 535 (ou Tomatera), la Caffin et la Nules. Un essai initié en 1989 (Jacquemond

et al., 2005a) a montré que sur le porte-greffe Poncirus Pomeroy, les variétés SRA 92 et SRA 535

présentaient une acidité équivalente à calibre égal. En revanche sur Citrange Carrizo, la SRA 92 s'est révélée moins acide que la SRA 535.

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• Porte-greffe et acidité

Une des causes majeures de variation du calibre et de la qualité interne des agrumes est le porte-greffe (Wutscher, 1988; Jacquemond & Blondel, 1986; Castle, 1993; McCollum et al., 2002). Le porte-greffe agit sur la qualité des fruits au travers de son influence sur la relation plante-eau (Sinclair & Allen 1982; Castle, 1995; Syvertsen et al. 2000). En conditionnant l'alimentation hydrique, le porte-greffe détermine indirectement le flux d'assimilats photosynthétiques (sucres) qui alimente les fruits (Gardner, 1969; Albrigo 1977, Barry et al. 2004; Koshita & Takahara 2004). Les principales caractéristiques du porte-greffe qui affectent la relation plante-eau sont la distribution des racines (Castle & Krezdorn 1975), l'efficacité d'utilisation de l'eau et des nutriments du sol (Castle & Krezdorn 1977) et l'anatomie des vaisseaux (Vasconcellos & Castle, 1994).

En clémentine, les porte-greffes sont sélectionnés pour le gain de rendement et de calibre qu'ils induisent (Jacquemond et al., 2005b), ou encore pour la résistance qu'ils confèrent vis-à-vis de stress biotiques comme les nématodes, le champignon Phytophtora ou le virus Tristeza (Soost et al., 1975), et de stress abiotiques comme le manque d'eau (Romero et al., 2006) ou la salinité des sols (Behboudian et al., 1986; García-Sánchez et al., 2003; García-Legaz et al., 1993). Dans la majorité des essais de porte-greffe, les caractéristiques de qualité interne sont observées, bien qu'elles ne constituent pas le premier critère de sélection. Les chercheurs ont ainsi accumulé des références sur la qualité des fruits pour de nombreuses associations variété / porte-greffe, et dans plusieurs régions. En Espagne, plusieurs essais ont montré une réponse différenciée des porte-greffes suivant les conditions de culture. Par exemple, en comparaison du porte-greffe Cleopatra, les fruits des clémentiniers greffés sur Citrange Carrizo sont moins nombreux, plus petits, et ils présentent un retard de maturité et une acidité plus élevée (García-Sánchez et al., 2006; Navarro et al., 2010a).

En Corse, les principaux porte-greffes utilisés sont le Bigaradier commun (Citrus aurantium), le Poncirus Pomeroy (Poncirus trifoliata), le Citrange Carrizo et le Citrange C-35 (Ce sont 2 hybrides de

Citrus sineis et Poncirus trifoliata) (Jacquemond et al., 2013a, p. 85). Un essai démarré en 1989 a

conclu que pour la clémentine commune SRA 92, le porte-greffe Citrange C-35 apportait une teneur plus élevée en acides, en sucres et en jus que le Citrange Carrizo et le Poncirus Pomeroy (Jacquemond

et al., 2005b). Pour ce qui est de l'acidité, les clémentiniers greffés sur Poncirus Pomeroy ont montré

des niveaux légèrement plus élevés que ceux greffés sur Citrange Carrizo. Plus récemment, 2 essais réalisés en Corse ont conclu à l'absence d'effet porte-greffe sur l'acidité (Hussain et al., 2012; 2013). Chez Hussain et al. (2012), certains porte-greffes comme le Citrange Carrizo ont néanmoins montré un retard de maturité (rapport E/A).

• Pratiques post-récolte et acidité

Les agrumes du groupe des mandarines sont particulièrement périssables après récolte. Lorsqu'elles sont stockées à basse température, les mandarines sont particulièrement sujettes à une détérioration du goût (Obenland et al., 2011; Kader & Arpaia, 2002; Cohen, 1999; Cohen et al., 1990). On observe généralement une diminution de l'acidité et une modification du profil aromatique des fruits, ce qui provoque une diminution de l'acceptabilité sensorielle chez le consommateur (Tietel et al., 2011).

Certains de ces changements dans le fruit peuvent être accélérés par des pratiques post récolte très répandues, à l'instar du traitement thermique (air, eau, ou vapeur à haute température) (Lurie, 1998). Le traitement à l'air chaud a notamment pour effet d'accroître la vitesse de dégradation de l'acide citrique (Chen et al., 2012).

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2.4.4. Conclusion : Apports et limites des travaux sur l'acidité