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Au cours des différents ateliers, les apports des participants ont été mobilisés pour la construction du modèle d'acidité. Ces apports peuvent se classer en 2 catégories selon le type connaissances mobilisées.

• Apports basés sur des connaissances scientifiques

Les participants ont apporté des éléments basés sur des connaissances scientifiques concernant le déterminisme de l'acidité à l'échelle du fruit, de la plante, ou de la parcelle. Ce type d'apport était le plus souvent proposé par les agronomes et physiologistes, qui faisaient état de leurs résultats expérimentaux, ou de leurs connaissances théoriques. Ces apports convergeaient généralement avec la littérature internationale sur l'acidité des agrumes (voir supra). Les connaissances scientifiques ont permis d'identifier les composantes de construction de l'acidité qui sont directement liées à des processus physiologiques :

- Les participants ont signalé que chez le clémentinier, l'acidité s'élabore tout au long du développement du fruit, avec 2 étapes distinctes : une phase d'accumulation des acides pendant le stade grossissement (été) suivie d'une phase de diminution de la concentration en acides pendant la maturation (automne). Ils ont ajouté que ces 2 processus peuvent varier en vitesse et

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en ampleur d'une parcelle à l'autre. Nous avons donc construit 2 composantes : l'acidité avant la maturation et la vitesse de chute d'acidité.

- Les participants ont expliqué que les dynamiques d'accumulation et de dégradation des acides sont régulées par l'environnement direct des fruits (rapport source-puits) et par l'alimentation hydrominérale de la plante. Les fruits les mieux alimentés sont ceux qui accumulent le plus d'acides pendant le grossissement, puis qui dégradent leurs acides le plus rapidement. Les participants ont ajouté qu'il existait une forte variabilité intra-parcellaire de l'acidité, portée principalement par le calibre. En raison d'un effet de dilution ou d'une dégradation plus rapide des acides, les fruits de gros calibre seraient moins acides que les fruits de petit calibre. Nous avons donc ajouté à la liste des composantes la charge en fruits et le calibre, 2 variables qui influencent positivement le rapport source-puits, et qui sont des indicateurs de l'état nutritionnel de la plante.

- Les participants ont insisté sur le fait que la date de floraison détermine le point de départ de la construction du fruit, avec des répercussions sur les conditions d'élaboration des autres composantes physiologiques. Parce qu'elle peut varier d'un mois d'une année à l'autre, nous avons intégré la date de floraison à notre jeu de composantes.

Les connaissances scientifiques ont aussi permis d'identifier une à une les techniques culturales ayant potentiellement un impact sur les composantes. Les participants ont par exemple évoqué un effet positif sur l'acidité d'un stress hydrique ou carboné en phase I et II de construction du fruit.

Toutes les connaissances scientifiques mobilisées par les participants n'ont pas été retenues. Des chercheurs spécialistes du clémentinier ont par exemple proposé d'ajouter des composantes comme le type d'inflorescence, le nombre de fleurs ou encore le pourcentage de chute des fruits à la nouaison. Ils expliquaient que ces variables pouvaient influencer l'acidité en régulant le rapport source-puits et en influençant la charge et l'état nutritionnel de la plante. Ces composantes n'ont finalement pas été retenues car les participants ont jugé que dans la pratique, le calibre et la charge observés après la nouaison résumaient les processus survenus en amont. Le groupe a donc réalisé un tri entre l'ensemble des facteurs qui participent à l'élaboration de l'acidité, et ceux qu’il est vraiment nécessaire d'observer. Ce travail a permis d'écarter des observations secondaires couteuses en temps, pour focaliser les observations sur les points clés.

• Apports basés sur des connaissances empiriques

Certaines connaissances mobilisées par les acteurs n'étaient pas de nature scientifique (ils ne pouvaient pas dire comment ils savaient ce qu'ils savaient), mais plutôt basées sur le repérage de régularités dans le fonctionnement de la parcelle cultivée. Les acteurs relataient des relations entre des variables causales associées au système de culture (type de conduite, sol, porte-greffe…) et l'acidité perçue en bouche ou bien connue au moyen des analyses IGP de déclenchement de récolte. Ce type d'apport était le plus souvent proposé par les agronomes locaux les plus expérimentés, et par les conseillers en contact avec le terrain.

- Lors de la construction du modèle d'acidité, les connaissances empiriques ont permis d'identifier des composantes d'élaboration de l'acidité liées aux pratiques de récolte. Plusieurs acteurs ont signalé un effet de la date de récolte sur l'acidité des fruits récoltés : les parcelles récoltées tardivement conduisent à une acidité plus faible de la récolte que les parcelles récoltées en début de saison. Parce que cette observation entrait en cohérence avec des connaissances scientifiques (existence d'une chute d'acidité pendant la maturation), elle a été mobilisée pour construire une nouvelle composante : la date de récolte. D'autres acteurs ont

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insisté sur le fait que la cueillette sélective des fruits colorés amenait à ramasser des fruits moins acides que la moyenne du verger. Parce que ce témoignage faisait écho à la variabilité intra-parcellaire de l'acidité (apportée par les scientifiques), nous avons fait l'hypothèse que la clé de tri des fruits qu'est la couleur conduisait à ne récolter que les fruits les moins acides d'une parcelle. Cela nous a amené à construire 2 nouvelles composantes : la première renvoie directement aux pratiques de récolte, et correspond à la quantité et la nature des fruits cueillis par les agriculteurs à chaque passage. La seconde renvoie à un déterminant physiologique de la récolte : la date de coloration. En effet, dans le cadre de l'IGP « clémentine de Corse », les agriculteurs sont tenus d'attendre que les fruits colorent naturellement sur l'arbre, et ne ramasser que les fruits colorés.

- Les connaissances empiriques des participants ont aussi permis d'identifier des combinaisons de techniques et/ou de facteurs climatiques participant à l'élaboration de certaines composantes physiologiques. Un bon exemple est celui des systèmes de culture bio, que les acteurs associaient à une acidité plus élevée qu'en conventionnel. Les parcelles conduites en bio sont caractérisées par un enherbement important, une fertilisation organique, ainsi que des charges et calibres plus faibles. En recroisant cette observation avec des connaissances scientifiques, nous avons fait l'hypothèse qu'un ou plusieurs de ces facteurs pouvaient influencer l'acidité d'une parcelle en limitant l'alimentation hydrominérale en phase I et II de la construction du fruit.

Certains apports empiriques étaient basés non pas sur des observations répétées et convergentes, mais sur des observations ponctuelles. Les participants relataient par exemple les conséquences sur l'acidité d'un événement climatique particulier, d'une année extrême, ou encore d'une parcelle atypique. Ces apports ont été utiles pour valider certaines composantes, ou encore pour hiérarchiser leurs facteurs d'élaboration. Un bon exemple est celui d'une parcelle à très petits fruits observée par les techniciens (parcelle stressée), et qui était caractérisée par une acidité si élevée qu'elle rendait les fruits immangeables. Cela a permis de valider la composante « calibre », car cela confirmait l'antagonisme calibre/acidité initialement signalé par les scientifiques.

Toutes les connaissances empiriques mobilisées par les participants n'ont pas été retenues pour la construction du modèle d'acidité. Leur sélection était basée sur leur caractère partagé par les acteurs, et sur leur cohérence avec les savoirs scientifiques.

• Apports mutuels des connaissances scientifiques et empiriques

Les 2 types de connaissances que nous avons mobilisées se sont révélées hautement complémentaires. Les connaissances scientifiques ont permis de :

- Construire des composantes qui ont servi de supports de réflexion pour identifier d'autres composantes à partir des connaissances empiriques (date de récolte, sélection des fruits, date de coloration) ;

- Identifier des processus fondamentaux qui influencent l'acidité (rapport source-puits, alimentation hydrominérale) ;

- Sélectionner les connaissances empiriques les plus pertinentes, sur la base de leur cohérence avec les connaissances scientifiques.

Les connaissances empiriques ont quant à elles permis de :

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- Construire des hypothèses sur les combinaisons de techniques aboutissant à une acidité faible/élevée en replaçant les connaissances scientifiques sur les processus fondamentaux dans le contexte de systèmes de culture réels (exemple du bio) ;

- Sélectionner les connaissances scientifiques pertinentes vis-à-vis de la question posée.

b) Rôle du modèle dans l'intégration de connaissances des acteurs

• Un rôle fédérateur

Le modèle a d'abord été utilisé pour fédérer des chercheurs de diverses disciplines et des acteurs de terrain. Ce rôle fédérateur s'est progressivement affirmé au fil des ateliers. Il reposait sur plusieurs caractéristiques du modèle :

- Son apparente simplicité, qui le rendait compréhensible et interprétable par tous ;

- Sa propension à mettre à plat les informations livrées par tous les acteurs, qui contribuait à casser la hiérarchie implicite entre connaissances scientifiques et connaissances empiriques ; - Son caractère visuel, qui permettait aux acteurs de dialoguer sur la base d'un support commun ;

• Un rôle de passerelle entre les échelles d'étude

Le modèle a permis l'intégration des connaissances hétérogènes des acteurs en jouant le rôle de passerelle entre les échelles d'étude. La courbe représentant l'évolution temporelle de l'acidité (Figure 10) était un support central, souvent utilisé pour mettre en discussion une composante ou un facteur d'élaboration d'une composante. Or, ce rôle de support tenait justement au fait que cette courbe n'avait pas la même signification pour tous. Pour les écophysiologistes, elle représentait le processus de dégradation des acides organiques à l'échelle du fruit. Elle était mobilisée pour raisonner sur les facteurs qui influencent le métabolisme du fruit en voie de grossissement ou de maturation (calibre, rapport source-puits…) dans un raisonnement structuré à l'échelle du rameau fructifère. Pour les agronomes, cette courbe représentait plutôt l'évolution moyenne de l'acidité d'une population de fruits d'une parcelle. Elle était mobilisée pour raisonner sur les facteurs environnementaux (sol, climat, pratiques agricoles) qui modulent l'évolution de l'acidité d'une parcelle. Pour certains conseillers de terrain, cette courbe représentait la chute d'acidité moyenne du parcellaire du bassin de production dans son entier. Elle était donc utilisée pour caractériser des années climatiques et leur effet sur la chute d'acidité, ou pour évoquer des tendances pluriannuelles liées aux évolutions du climat et des techniques. En se basant sur cette courbe unique, le groupe a donc mis bout à bout des observations convergentes, bien que fondées sur des échelles d'étude divergentes. Un bon exemple est celui de l'antagonisme calibre/acidité, que les acteurs ont identifié aux 3 échelles d'étude.

• Un rôle d'orientation de la production de connaissance

Le modèle a permis de mettre en synergie les connaissances hétérogènes des acteurs en canalisant leurs apports via un cadre normatif. Le modèle a d'abord été utilisé pour raccorder les apports des participants, en distinguant 5 compartiments en interaction : l'état des cultures, leur environnement permanent et non permanent, le climat, et les techniques culturales. Prenons deux exemples :

- La date de coloration. Les scientifiques savaient que la survenue de la coloration est régulée par l'amplitude jour-nuit des températures. De leur côté, les conseillers de terrain affirmaient que les parcelles fortement enherbées ont tendance à colorer tardivement. Ils observaient également que les tailles sévères induisaient une coloration plus précoce. Nous nous sommes donc servis du modèle pour intégrer ces connaissances variées, et avons fait l'hypothèse que la

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composante « date de coloration » était influencée par l'amplitude jour-nuit des températures et par les facteurs qui modulent les variations de température (enherbement, densité de la canopée induite par la taille).

Figure 10. Représentation de la courbe d'évolution de l'acidité et des composantes identifiées par les acteurs.

- La vitesse de chute d'acidité. Les scientifiques affirmaient que pendant la maturation, l'acidité des fruits diminuait selon une courbe dont la pente peut varier selon les années et les parcelles. Certains participants ont fait la remarque que les années à fortes pluies et températures douces en septembre – octobre, les fruits récoltés ont une acidité faible. D'autres nous ont confié que les parcelles « chaudes » (bien exposées, sols caillouteux en surface) sont souvent en avance sur les autres en termes de maturité. En recroisant ces indices, nous avons construit la composante « vitesse de chute d'acidité pendant la maturation », dont l'élaboration est influencée par la température, l'alimentation hydrique, et un ensemble de facteurs qui influencent la température (climat, exposition d'une parcelle) et la disponibilité en eau du sol (pluies, perméabilité du sol).

Lors de l'atelier 2, le modèle a été utilisé pour canaliser les apports des participants dans une réflexion par composante. En focalisant le débat tour à tour sur certains processus physiologiques, le groupe a pu élaborer des hypothèses cohérentes sur les combinaisons de techniques ayant une influence sur chaque composante. Ce travail a aboutit au Tableau 6 (page 91).