• Aucun résultat trouvé

LE GENRE DES INDESIRABLES

2. Etudier les rapports de genre chez les migrant·es roms

L’approche en termes de genre, peu présente pour parler de la « question rom », enjeu politique, l’est moins encore pour aborder, de manière ethnographique, les rapports sociaux chez les migrant·es roms. La question des rapports de genre existants dans les lieux informels où vivent les migrant·es roms, et non ceux fantasmés par un ensemble de médias, reste encore insuffisamment traitée dans les études de la vie en migration des Roms qui arrivent et/ou vivent en France, y compris pour des approches ethnographiques qui donnent à voir le détail de la (sur)vie au quotidien. Alors qu’il existe une littérature abondante qui décortique les rapports de genre dans le contete de la migration, les travaux ethnographiques qui plongent dans le

51

quotidien de migrants et migrantes roms vivant en squats ou bidonvilles en font relativement peu usage. Cette prochaine section retrace la manière dont j’ai construit la problématique de ma thèse en cherchant à faire le pont entre une approche ethnographique de la vie en migration pour les Roms en France et l’étude du genre en migration.

2.1 Le développement des études du genre en migration Une première période de rattrapage

Si les migrations ont longtemps constitué un objet périphérique et marginalisé en sciences sociales, dans ce champ des études sur la migration, les femmes ont longtemps été invisibilisées : jusque dans les années 1970, la recherche s’est concentrée dans sa grande majorité sur les hommes, alors que les femmes étaient vues comme occupant des rôles passifs (Pessar et Mahler 2003), dans une migration contrôlée par les hommes (Salazar Parreñas 2008).

Les lois sur l’immigration placent généralement le migrant (ou la migrante) dans une seule catégorie : dans les grandes lignes, cela revient à penser que l’homme migre pour le travail, et la femme pour des raisons familiales. Ainsi dans la France d’après-guerre, les femmes migrantes sont considérées comme les compagnes des ouvriers migrants, malgré le fait qu’il y avait une minorité significative de femmes dans la main-d’œuvre migrante. Leur présence est exclue des récits historiques de l’immigration (Kofman 2004).

En France, la problématique de la migration des femmes commence à attirer aussi bien l’attention des chercheur·es, que celle des pouvoirs publics et des médias dès les années 1970.

Pour comprendre les raisons de cette émergence, Mirjana Morokvasic met en avant un contexte où se croisent plusieurs facteurs : en premier, les mobilisations féministes et la multiplication des études sur la place des femmes dans la société permettent un premier déplacement du regard, et une première sortie de l’ombre des migrantes. Deuxièmement, la découverte du rôle économique des femmes immigrées. En troisième, Morokvasic estime que la suspension de la migration de travail en 1974 marque un tournant, en provoquant une nouvelle attention pour les autres composantes des flux migratoires. Dans un contexte où des crispations se forment autour du coût social et économique des immigrés pour la société française, les femmes sont intégrées dans les études qui cherchent à répondre à ces questions.

52

Dans les années 1970 et 1980, les féministes vont en premier étudier ce qui avait été ignoré : les vies et expériences des femmes migrantes dans les flux migratoires, et sortir de l’ombre leur participation économique37. Lorsqu’en 1984 un numéro de la revue International Migration Review souligne l’invisibilisation des femmes dans la migration de travail, tout un travail se met en route pour comprendre comment la présence de minorités a été marginalisée et/ou exclue dans l’histoire et l’explication des vagues migratoires. Ce constat quantitatif de l’existence des femmes participe à une meilleure compréhension de ce que certains appellent la « féminisation » de la migration (de Wenden 1998; Oso Casas et Garson 2005). Cette idée est largement diffusée dès 1993 dans la première version de l’ouvrage de référence de Stephen Castles et Mark Miller, The Age of Migration, où la féminisation est l’une quatre grandes tendances de la migration38 : « the fourth tendency is feminisation of migration : women play an increasing role in all regions and in all migration.” (Castles et Miller 1993 : 8).

La notion de « féminisation » peut conduire à une confusion : il n’y a pas d’augmentation majeure de la proportion des femmes dans les flux migratoires de la seconde moitié du 20ème siècle, puisqu’il y a une augmentation modeste de 2,9 points de pourcentage entre 1960 (46,7 %) et 2005 (49,6 %) (Zlotnik 2003). Katharine Donato et Donna Gabaccia contestent aujourd’hui l’amalgame de « féminisation » avec une apparition récente des femmes dans la migration, en mettant en avant que la migration des femmes et des filles a lieu depuis plus de quatre siècles (Donato et Gabaccia 2015). Ce qui est plus frappant est la croissance exponentielle du nombre de migrant·es pendant cette deuxième moitié du 20ème siècle, et dans ce flux migratoire en croissance, de plus en plus de femmes entament une migration autonome dans un cadre de migration économique. S’il existe une féminisation, elle concerne la part importante des femmes rendue visible dans la migration économique (Salazar Parreñas 2008).

Dans ces premières vagues de correction de l’invisibilité des femmes dans l’étude des migrations, le genre était traité comme la variable sexe : il s’agissait de produire des études sur les femmes migrantes, où les hommes devenaient alors à leur tour invisibles. Ainsi, malgré la multiplication des travaux sur la migration internationale des femmes, la dimension de genre a

37 C’est l’objectif affiché par le travail de Mirjana Morokvasic (1976), « L’immigration féminine en France: état de la question », L’Année Sociologique, vol. 26, n°2, pp. 563-575, ainsi que Patricia Paperman et Liliane Pierrot (1978), Le travail ambigu, Paris: Cerfise. Du côté des chiffres, il est frappant de voir que les migrantes ont toujours eu une présence considérable en France : elles sont proches de 40% à 42% des immigré-e-s entre 1946 et 1982.

De plus, en 1982, 23,4% de femmes étrangères étaient actives.

38 Les autres tendances sont la globalisation de la migration, l’accélération de la migration, et la différentiation de la migration (dans le sens d’avoir plusieurs types de migration).

53

été longtemps absente. Pour Éléonore Kofman, ceci s’explique par la primauté des problématiques économiques, et la position relative des problématiques sociales et culturelles que les recherches féministes ont contribué à introduire (Kofman 2004). Le travail sur les femmes migrantes, en adoptant une démarche pluridisciplinaire et une analyse genrée des migrations, n’est arrivé que récemment en France (Falquet et Rabaud 2008).

Le sexe en migration

Comme j’ai pu le constater, de nombreux travaux sur les Roms et la migration vers la France n’abordent pas du tout l’enjeu des rapports de genre, la question de l’exclusion sociale ou du racisme restant au cœur de l’argumentation. Or, dans la gestion du quotidien, ou dans les pratiques de débrouille économique, les rapports de genre impactent qui fait quoi, et comment.

Étudier le genre en migration, ce n’est pas uniquement une question de description des tâches attribuées aux femmes et aux hommes. Le genre est éclairant pour redéfinir les problématiques posées dans l’étude de cette migration.

Cela ne signifie pas que les femmes roms sont toujours invisibles : il y a des thèses, articles et ouvrages qui donnent à voir le quotidien de femmes roms ayant migré en France.

Mais ce sont des travaux qui intègrent la variable sexe sans explorer ou questionner les rapports de genre. Dans des thèses consacrées au « sujet transnational » (Clavé-Mercier 2014) ou à

« l’espace domestique transnational » (Benarrosh-Orsoni 2015), les femmes roms qui vivent en bidonvilles sont rendues visibles, mais essentiellement à partir de leur sexe. Dans sa thèse, Alexandra Clavé-Mercier reconnaît la possibilité d’étudier « une redéfinition des rapports sociaux de sexe » dans une partie finale de son travail sur les Roms venus de Bulgarie (2014, p.413). Elle évoque alors le débat sur la transformation des rapports de genre dans la migration.

Elle aborde la question avec prudence pour des « conclusions […] nécessairement mitigées » (p.413), et puisque cet enjeu n’était pas au cœur de son enquête, ne propose aucune analyse poussée sur cet enjeu. Norah Bennarosh-Orsoni souligne de multiples expériences des femmes à Montreuil, dans la débrouille, dans l’économie de la famille, dans l’aménagement des modes d’habiter de la ville. Toutefois, elle écrit qu’elle ne mobilise pas une « grille de lecture fondée sur le genre » (Bennarosh-Orsoni 2015 : 260), et ses récits très détaillés du quotidien des femmes roms en France ne questionnent pas l’évolution ou la négociation des rapports de pouvoir dans le cadre des contraintes spécifiques de la migration.

54

Une autre thèse proposant une ethnographie auprès de Roms migrant·es, celle de Céline Véniat, fait aussi un pas de côté vis-à-vis de cette question des rapports de genre (Véniat 2019).

Lors de sa soutenance, en octobre 2019, à laquelle j’ai assisté, Céline Véniat a reconnu que son travail sur le quotidien sur un platz n’avait pas donné une place importante à l’analyse des rapports de genre. Par la présence régulière sur le bidonville, elle présente dès l’introduction que « les tâches domestiques et les activités de travail occupent une bonne partie des journées et s’organisent le plus souvent selon une répartition genrée » (Véniat 2019 : 7). Il y a ici un rapport assez descriptif à cette réalité, qui ne sera pas explorée plus en profondeur dans la thèse.

Cette écriture par le constat – les femmes ont la responsabilité des tâches domestiques, et ceci est posé dès l’introduction – soulève des questions que j’ai voulu explorer dans ma thèse. Je n’ai pas trouvé les réponses dans des enquêtes qui écrivent sur les expériences des Roms sans donner une vraie attention à la manière dont les rapports de genre contribuent aussi à façonner la diversité des trajectoires migratoires.

Lorsque le genre est pris comme une variable explicative, le rapport hiérarchique entre hommes et femmes est souvent évacué de l’analyse (Clair 2016). Les problématisations de la manière de s’approprier l’espace, construire un chez-soi ou se construire en sujet peuvent être renouvelées par une attention aux rapports de genre. Les exemples cités ici sont des travaux réalisés par des femmes, qui s’appuient dans leurs analyses sur les expériences des femmes roms rencontrées dans l’enquête. Céline Véniat reconnaît qu’elle aura principalement été avec des femmes et des enfants : « notons que si ma thèse ne s’inscrit pas explicitement dans une approche par le genre, la majorité des observations collectées […] mettent en scène le quotidien des femmes du platz » (Véniat 2019 : 218). C’est une situation familière aussi pour Norah Benarrosh-Orsoni, qui commence son enquête à partir de la connaissance de deux jeunes femmes, ou Alexandra Clavé-Mercier qui explore dans sa thèse son accès au terrain en tant que jeune femme. Dans la mesure où ces thèses sont le résultat d’enquêtes réalisées essentiellement aux côtés de femmes, les femmes ne sont pas invisibles dans ces récits sur la migration, mais ces expériences migratoires ne sont pas analysées à l’aune de rapports de pouvoir dans les couples, les familles, et l’environnement plus large.

Ces travaux, sur lesquels je m’appuie beaucoup, donnent à voir des femmes en migration mais ne questionnent pas les rapports de genre en migration. Ma thèse ressemble beaucoup à leur travail, dans la mesure où j’ai aussi eu une expérience d’ethnographie dans les espaces marginalisés où vivent les migrant·es roms en tant que jeune femme, et que j’ai noué un rapport

55

privilégié de discussions et d’échanges avec des femmes. J’ai moi aussi observé la répartition des tâches domestiques et compris que dans la majorité des cas, les femmes avaient la charge du foyer, et du soin des enfants. Toutefois, la manière dont je souhaite m’inscrire dans l’étude du genre en migration m’invite à vouloir dépasser la description de ces arrangements pour questionner les rapports de genre que j’observe, et pour chercher à comprendre les fractures et arrangements d’un rapport de pouvoir qui est sans cesse négocié et performé.

Comprendre comment et pourquoi les femmes migrent

Après une concentration de travaux sur les femmes dans les flux migratoires, et un traitement à partir de la variable sexe, la littérature sur les femmes et la migration a cherché à saisir les raisons de la migration. Le genre sert alors d’outil d’analyse pour les parcours migratoires des femmes : les raisons de la migration sont-elles genrées ? C’est l’interaction des rôles assignés par le genre, des relations et des inégalités qui vont expliquer le choix de migrer, ainsi que le parcours qui suit ce choix. Dans le cadre de ma thèse, il était donc intéressant de comprendre si cette ligne de questionnement pouvait contribuer à l’étude de la migration des Roms entre la Roumanie et la France.

L’analyse des raisons de la migration a été très présente dans les premiers travaux sur la migration des Roms sur les trente dernières années, dans le cadre d’une hystérie politique sur les vagues de migration de l’Est vers l’Ouest. Dès les années 1990, les arguments pour comprendre ces migrations mêlent une lecture économique, liée à la dégradation des conditions de vie et des difficultés de trouver un emploi dans les pays d’Europe de l’Est en pleine transition, avec un rappel des discriminations que subissent les Roms, ainsi que des attaques violentes dans certains cas. Dans une analyse des facteurs push et pull qui motivent la migration, Eva Sobotka aligne les arguments économiques et politiques qui poussent à vouloir partir, avec les opportunités économiques et sociales que représente une migration vers l’Europe de l’Ouest (Sobotka 2003).

Pour dépasser l’explication majoritaire d’une migration résultant de la pauvreté39, Maria-Carmen Pantea questionne les décisions de migration en relation avec les réseaux familiaux et sociaux (Pantea 2013). En cherchant à comprendre la migration au-delà de

39 Ainsi que l’argument du nomadisme, explication qui a été soutenue pendant un temps, et que Pantea estime être politique biaisé et empiriquement peu valide.

56

l’argument de la pauvreté, elle pallie à un travers important d’études sur la migration dénoncée aujourd’hui par les courants féministes et postcoloniaux, celui du regard réducteur et homogénéisant porté sur la société de départ (Moujoud 2008). Sans nier les difficultés économiques, il serait problématique d’englober l’ensemble des migrant·es quittant la Roumanie dans une seule catégorie, pauvres, sans prendre en compte leur diversité de trajectoires et de capitaux. Ceci empêche de positionner les migrant·es dans leur environnement de départ, un environnement avec des spécificités linguistiques, religieuses, économiques, sociales, etc. Marie-Carmen Pantea distingue des communautés où il y a beaucoup de migrations, et des réseaux de soutien qui accompagnent et aident les individus et familles qui veulent partir à l’étranger, des communautés où la migration est plus rare, et en l’absence de réseaux de soutien forts est plus perçue comme un risque.

Pourtant, dans ces analyses de la migration, tout en cherchant la complexité dans les expériences ou motivations de la migration, il y a un élément persistant qui est présenté pour appréhender la migration des Roms : c’est une migration familiale, pensée comme une expérience collective (Matras 2000, Sobotka 2003). En travaillant à comprendre la migration des Roms à partir de la communauté ou de la famille, il a été plus rare d’avoir une analyse des rôles joués au sein de la famille et de la communauté, et donc d’introduire une analyse des rapports de genre. Or, c’est à l’intersection des projets collectifs et des projets individuels que la migration se décide et s’organise, et ceci d’une manière qui révèle des rapports de pouvoir et des attentes genrées. Par exemple, Vlase et Voicu avaient trouvé en 2014 à partir d’entretiens avec des Roms roumains que les femmes étaient plus sensibles aux lacunes des institutions et envisageaient plus volontiers une migration motivée par l’envie de trouver un espace dans lequel il y aura une meilleure chance de bon fonctionnement des services de l’État (Vlase et Voicu 2014).

Sur le bidonville des Chênes, un ensemble de conversations que j’ai eues avec Monica, qui y vit avec son mari et ses trois enfants, concerne directement ce nœud entre projets individuel et collectif, et les positions occupées au sein de la famille et du couple. En août 2018, alors que je l’accompagne vers le CCAS locale dans le cadre de démarches pour la domiciliation, Monica m’explique qu’il est très difficile pour elle de vivre en France sans travail, et sans argent. Elle en a « marre », et elle a décidé qu’il fallait faire quelque chose. Elle a demandé à sa grande sœur de l’aide, en lui demandant qu’elle trouve un travail dans la livraison ou le chargement de cartons pour David, son mari. Sa sœur vit en Angleterre, et a

57

promis que David, qui est grand et très « costaud », pourrait trouver ce type de travail : Monica m’en parle comme une affaire qui est réglée d’avance. Elle a décidé qu’il n’était plus possible pour elle de vivre dans les conditions actuelles, et ainsi David pourrait partir dans les prochaines semaines pour s’installer en Angleterre ; elle suivrait ensuite avec les enfants. Sur le moment de cette première conversation, je remarque qu’elle est très déterminée pour faire changer les choses, après avoir suivi David sur différentes routes entre l’Allemagne, l’Italie, et l’Espagne, avant d’arriver en France. Pendant mes nombreuses visites dans les semaines qui suivent cette première conversation, je m’apprête à découvrir que David est parti en Angleterre, et je questionne souvent Monica à ce sujet. David est toujours présent. La détermination de Monica est remise en question par l’absence d’adhésion au projet de son mari, qui n’apprécie pas les efforts de sa femme pour lui trouver un travail à sa place. Monica voit l’Angleterre comme un pays où il sera plus facile d’inscrire les enfants à l’école, où elle pourra vivre proche de sa famille : ces deux considérations importantes n’ont pas la même importance pour David.

Monica a la charge de la scolarisation des enfants, et si David a des inquiétudes au sujet de l’expérience de ses enfants à l’école française, il ne l’exprime jamais devant moi. Elle me confie qu’il est hésitant, puis reconnaît qu’il ne souhaite pas partir. Dans leur vie sur le bidonville, Monica joue un rôle crucial dans la survie de la famille, et elle a la charge de nombreuses décisions. Alors qu’elle rejoint un nombre important de familles qui quittent le bidonville des Chênes pour s’installer au bidonville des Buissons (ce sur quoi je reviendrai dans une autre partie de la thèse), elle insiste après quelques semaines pour revenir, en disant que le bidonville des Buissons est moins adapté pour les enfants. Dans cette situation, c’est elle qui prendra la décision, et David qui exécutera, en reconstruisant la baraque abandonnée quelque temps auparavant sur le premier terrain. Mais quand il s’agit de changer de pays, et de dépendre pour l’accueil et l’emploi de la sœur de Monica, David impose son point de vue. Dans la trajectoire migratoire de Monica et David, il y a bien un projet partagé, de trouver une vie plus confortable économiquement que celle possible à Bucarest, où vit leur famille. Il y a un réseau de famille et de connaissance sur lequel ce projet s’appuie, et qui explique les différents points d’installation sur les 13 dernières années. Mais il y a aussi les projets de Monica pour elle, et son bien-être : en Roumanie, elle me dit qu’elle a vu un psychiatre, et qu’elle pense souffrir de dépression. Le départ pour l’Angleterre aurait permis peut-être de sortir de l’état dans lequel

Monica a la charge de la scolarisation des enfants, et si David a des inquiétudes au sujet de l’expérience de ses enfants à l’école française, il ne l’exprime jamais devant moi. Elle me confie qu’il est hésitant, puis reconnaît qu’il ne souhaite pas partir. Dans leur vie sur le bidonville, Monica joue un rôle crucial dans la survie de la famille, et elle a la charge de nombreuses décisions. Alors qu’elle rejoint un nombre important de familles qui quittent le bidonville des Chênes pour s’installer au bidonville des Buissons (ce sur quoi je reviendrai dans une autre partie de la thèse), elle insiste après quelques semaines pour revenir, en disant que le bidonville des Buissons est moins adapté pour les enfants. Dans cette situation, c’est elle qui prendra la décision, et David qui exécutera, en reconstruisant la baraque abandonnée quelque temps auparavant sur le premier terrain. Mais quand il s’agit de changer de pays, et de dépendre pour l’accueil et l’emploi de la sœur de Monica, David impose son point de vue. Dans la trajectoire migratoire de Monica et David, il y a bien un projet partagé, de trouver une vie plus confortable économiquement que celle possible à Bucarest, où vit leur famille. Il y a un réseau de famille et de connaissance sur lequel ce projet s’appuie, et qui explique les différents points d’installation sur les 13 dernières années. Mais il y a aussi les projets de Monica pour elle, et son bien-être : en Roumanie, elle me dit qu’elle a vu un psychiatre, et qu’elle pense souffrir de dépression. Le départ pour l’Angleterre aurait permis peut-être de sortir de l’état dans lequel