3.1.1 Contexte
Après l'observation, pour la première fois, de la photoisomérisation S → O d'un ligand
sulfoxyde dans un complexe polypyridyle de ruthénium,
21de nombreuses études ont été
effectuées pour clarifier le mécanisme de cette réaction. Comme de manière générale, au cours
des réactions d'isomérisation de liaison, une liaison est cassée pour en former une autre, les
expérimentateurs ont très tôt émis l'hypothèse de l'implication des états
3MC (population d'une
orbitale antiliante dσ*). Cependant, cette hypothèse a été remise en cause par plusieurs
observations expérimentales. Tout d'abord, Rack et. al. ont étudié l'évolution des rendements
quantiques de photoisomérisation S → O du ligand DMSO dans une série de complexes du type
[Ru(tpy)(L2)DMSO]
z+où L2 est un ligand bidentate dont la force du champ de ligand évolue.
26La logique de cette étude était de dire que si les
3MC sont impliqués dans la photoisomérisation,
alors le rendement quantique de cette réaction doit augmenter lorsque la force du champ de
ligand de L2 diminue (stabilisation des orbitales dσ*). Il a été constaté que le rendement
quantique de photoisomérisation des complexes [Ru(tpy)(bpy)DMSO]
2+(�
→= , ; bpy
: champ fort) et [Ru(tpy)(pic)DMSO]
+(�
→= , ; pic : champ faible, pic = 2-pyridine
carboxylate, cf figure 1) diffèrent d'un ordre de grandeur. Par comparaison, le rendement
quantique de photosubstitution des complexes [Ru(tpy)(bpy)NCCH
3]
2+(� = , et
[Ru(tpy)(pic)NCCH
3]
+(� = , sont similaires. Comme il est bien établi que les réactions
de photosubstitution sont dissociatives et que les
3MC jouent un rôle crucial dans ces réactions,
la différence observée entre les rendements quantiques de photoisomérisation et de
photosubstitution montre qu'il est peu probable que l'implication des états
3MC soit un facteur
déterminant dans la réaction de photoisomérisation. L'observation de la réaction de
photoisomérisation S → O de ligands sulfoxydes pour des complexes d'osmium est une autre
information qui va allant contre de l'implication des états
3MC.
28,48En effet, il est bien connu
que ces derniers sont beaucoup plus hauts en énergie dans les complexes d'osmium que dans
les complexes de ruthénium. C'est pourquoi, dans des complexes avec les mêmes ligands, la
photosubstitution peut être observée avec le ruthénium et ne pas l'être avec l'osmium (par
exemple [Ru(tpy)(bpy)NCCH
3]
+et [Os(tpy)(bpy)NCCH
3]
+).
49Enfin, pour le complexe
[Ru(bpy)
2(OSO)]
+(où OSO = méthylsulfonylbenzoate, cf figure 1), une étude par spectroscopie
d'absorption transitoire de l'évolution du spectre de l'état
3MLCT de l'isomère S-lié peuplé après
photoexcitation a montré que la formation de l'isomère O-lié à l'état fondamental s'effectue
directement à partir de cet état, aucune signature spectroscopique d'un état
3MC n'ayant été
observée.
36Ce résultat explique également pourquoi, dans le complexe [Ru(bpy)
2OSO]
+,
l'émission à partir d'un état
3MLCT O-lié pour le complexe n'est pas observée contrairement
au complexe [Ru(tpy)(bpy)DMSO]
2+. En effet, l'absence de signature spectroscopique de cet
état (
3MLCT O-lié) pour le complexe [Ru(bpy)
2OSO]
+montre que la désactivation de l'état
excité de ce complexe pendant la photoisomérisation, s'effectue par un processus non radiatif.
Figure 1.
Représentation schématique de la structure des ligands pic et OSO.Comme il a été mentionné dans le chapitre 1 (§1.4.3), il est possible d'observer la désactivation
non radiative de l'état triplet excité de plus basse énergie dans les complexes polypyridyles de
ruthénium du fait de la présence d'un ISC triplet/singulet proche des états
3MC. Par conséquent,
nous avons été intrigués par le fait qu'une désactivation non radiative puisse avoir lieu à partir
d'un état
3MLCT. C'est ce qui a motivé l'étude théorique de la photoisomérisation S → O du
complexe [Ru(bpy)
2OSO]
+.
3.1.2 Résumé de l'article : Adiabatic Versus Nonadiabatic Photoisomerization in
Photochromic Ruthenium Sulfoxyde Complexes: a mechanistic picture from
Density Functional Theory Calculations.
L'étude théorique de la photoisomérisation S → O du ligand OSO dans le complexe
[Ru(bpy)
2OSO]
+s'est déroulée en deux étapes. Tout d'abord, nous avons exploré la PES de
l'état triplet de plus basse énergie pour déterminer les structures (minima et états de transition)
susceptibles d'être impliquées dans l'isomérisation adiabatique du ligand OSO sur cet état. Les
structures obtenues ont permis d'identifier un chemin réactionnel qui permet cette réaction.
Ensuite, nous avons cherché si des désactivations non radiatives étaient possibles à partir de ce
chemin. Pour cela, nous avons cherché s'il existe des MECP accessibles à partir des structures
impliquées dans le chemin réactionnel.
La figure 2 résume les principaux changements structuraux et la nature des principaux minima
qui caractérisent le chemin réactionnel obtenu.
Figure 2.
Représentation schématique des changements structuraux qui accompagnent les principalesétapes de l'isomérisation adiabatique S → O du ligand OSO sur la PES de l'état excité triplet de plus basse énergie. Le nom donné aux différents minima spécifie pour chacun d'entre eux le mode de coordination S-lié ou O-lié du ligand OSO dans leur structure ainsi que leur état électronique 3MLCT ou 3MC.
Après la relaxation des états S-
1MLCT peuplés par photoexcitation dans le visible du complexe
[Ru(bpy)
2OSO]
+, un état S-
3MLCT est peuplé. La relaxation de cet état vers l'état S-
3MC est
caractérisée par l'élongation d'environ 0,4 Å de la liaison Ru-S. L'isomérisation du groupement
sulfoxyde a ensuite lieu à partir de l'état S-
3MC et entraîne le peuplement d'un état O-
3MC pour
lequel la longueur de liaison Ru-O est grande (2,559 Å). Enfin, la dernière étape de
l'isomérisation correspond au raccourcissement de la liaison Ru-O d'environ 0,5 Å et au
peuplement d'un état O-
3MLCT. L'information importante que donne le chemin réactionnel
obtenu est l'implication des états
3MC dans l'isomérisation adiabatique S → O du ligand OSO
dans le complexe [Ru(bpy)
2OSO]
+. Le rôle de ces états est d'autant plus important qu'ils sont
impliqués dans l'étape critique du chemin réactionnel, à savoir l'isomérisation du groupement
sulfoxyde.
La figure 3 fait apparaître l'intégralité des minima impliqués dans le chemin réactionnel ainsi
que l'énergie d'activation de Gibbs dans le méthanol de chacune des étapes qui permet de passer
d'un minima à un autre.
Figure 3.
Séquence d'étapes réactionnelles qui permet l'isomérisation adiabatique S → O du ligandOSO sur la PES de l'état triplet de plus basse énergie. Les énergies d'activation de Gibbs sont données en kJ.mol-1 et ont été calculées dans le méthanol (MPWB1K/BS2).
Le réarrangement structural qui caractérise les étapes S-
3MLCT
1→ S-
3MLCT
2et S-
3MC
1→
S-
3MC
2n'impliquent pas la liaison Ru-S. Les énergies d'activation des processus adiabatiques
sont relativement faibles sauf celle de la dernière étape (OO-
3MC
1→ O-
3MLCT
1) qui est
significativement plus élevée que les autres (31,0 kJ.mol
-1). Par conséquent, le peuplement de
l'état O-
3MLCT
1émissif est l'étape limitante de l'isomérisation adiabatique.
Nous avons localisé trois MECP facilement accessibles à partir du chemin réactionnel. Chacun
d'entre eux est respectivement situé proche en énergie des états S-
3MC
1(S-MECP
1), S-
3MC
2(S-MECP
2) et O-
3MC
1(O-MECP
1). L'optimisation de ces MECP a permis d'évaluer l'énergie
d'activation des désactivations non radiatives à partir de ces états (processus non adiabatiques).
Ces énergies sont données dans le tableau 1.
énergie d'activation
S-
3MC
1→ S-MECP
1< 1
S-
3MC
2→ S-MECP
24
O-
3MC
1→ O-MECP
110
Tableau 1.
Energies d'activation (en kJ.mol-1) calculées en phase gaz (PBE0/BS2) des processus non adiabatiques qui peuvent avoir lieu pendant l'isomérisation adiabatique S → O du ligand OSO sur la PES de l'état triplet excité de plus basse énergie.Les énergies d'activation obtenues sont particulièrement faibles ce qui montre que des
désactivations non radiatives sont facilement accessibles à partir du chemin réactionnel qui
permet l'isomérisation adiabatique S → O du ligand OSO. De plus, ces énergies sont inférieures
aux énergies d'activation qui caractérisent la relaxation adiabatique des états S-
3MC
1, S-
3MC
2et O-
3MC
1sur la PES triplet. Par conséquent, les désactivations non radiatives à partir des états
S-
3MC
1, S-
3MC
2et O-
3MC
1sont plus favorables. Compte tenu de la valeur relativement élevée
de l'énergie d'activation de la dernière étape de l'isomérisation adiabatique (O-
3MC
1→ O
-3
MLCT
1: 31,0 kJ.mol
-1), il est peu probable que le peuplement de l'état émissif O-
3MLCT
1ait
lieu, ce qui est en accord avec le fait que la signature spectroscopique de cet état n'a pas été
observée expérimentalement. Le résultat de la désactivation non radiative des états S-
3MC
1,
S-3
MC
2et O-
3MC
1est très dépendant de la dynamique du système.
Pour résumer, l'étude théorique de la photoisomérisation S → O du ligand OSO dans le
complexe [Ru(bpy)
2OSO]
+a mis en évidence l'implication des états
3MC dans cette réaction
contrairement à ce qui a été avancé par les expérimentateurs. Le rôle de ces états est d'autant
plus important qu'ils permettent l'isomérisation du groupement sulfoxyde grâce à l'élongation
de la liaison Ru-S et la désactivation non radiative de l'état excité pour former l'isomère O-lié à
l'état fondamental sans peupler l'état O-
3MLCT émissif.
Remarque :
Le choix d’utiliser la fonctionnelle MPWB1K dans l'étude suivante a été effectué après avoir
testé plusieurs fonctionnelles hybrides (cf tableau A1 donné en annexe).
3.1.3 Adiabatic versus Nonadiabatic Photoisomerization in Photochromic
Ruthenium Complexes: A Mechanistic Picture from Density Functional
Theory Calculations.
3.2 Analyse des interactions métal-ligands dans les isomères du complexe
Dans le document
Étude théorique de propriétés photophysiques et photochimiques de complexes de ruthénium
(Page 73-81)