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Outre ses travaux sur la linguistique et la littérature télougou (voir supra section « Langues »), Daniel Negers a engagé un travail d’observation ethnographique sur un terrain de longue durée dans la localité urbaine de Peddapuram (East Godavari Dt., A.P., 50 000 habitants). Ce travail lui permet de décrire les formes actuelles de l’organisation sociale d’une municipalité représenta-tive de la société des castes de sa région. L’enquête sur les groupes sociaux, les monuments et les institutions (distribution spatiale, interactions, particularismes, phénomènes de transformation), et sur les traits et phénomènes culturels, s’accompagne d’une obser-vation de phénomènes religieux pertinents pour la compréhension du système socioculturel global de la localité. Parallèlement à l’at-tention portée à la totalité sociologique et aux phénomènes asso-ciés, l’étude se concentre plus particulièrement sur le groupe vocationnel (multi-caste) des Tisserands (Devanga Est et Ouest, Padmasali, Karanibaktulu, Senapatulu.), où les Devanga représen-tent une minorité prépondérante à l’échelle de la localité elle-même, tant sur les plans démographiques et économiques (struc-ture de production et d’échanges) qu’en termes de dimensions spatiale et politique. Comme objet ultime, cette double perspec-tive d’enquête (totalité, groupe spécifique) vise à restituer un éclairage des phénomènes de dominance et de factionnalisme qui régissent la structure locale de pouvoir.

Le travail de terrain ethnographique de longue durée (modèle de l’observation participante) entrepris sur la localité de Peddapuram a débuté en janvier 2005 et s’est s’achevé en décembre 2006.

D. Negers a observé les transformations opérées sur la scène culturelle populaire locale, notamment pour ce qui concerne les genres narratifs et théâtralisés chantés, par comparaison avec les années 1980, lors d’enquêtes sur les fêtes religieuses, tant brahma-niques que populaires, et dans des contextes séculiers liés au champ socio-politique. Le fait le plus remarquable concerne la dis-parition (du patronage) des genres artistiques qui n’ont pas un caractère éminemment dévotionnel, même si les formes chantées dévotionnelles vivantes elles-mêmes, y compris les bhajans dans les temples, sont en voie de recul. Seuls les genres dévotionnels asso-ciés aux basses castes agricoles, et économiquement faibles, internes à des groupes donnés, conservent une implantation assez bien enracinée.

D. Negers a surtout engagé l’étude des phénomènes associés aux deux temples majeurs de « déesses populaires » (Sattemma et Maridemma). Les deux complexes mettent en jeu une opposition cultuelle significative entre hindouisme populaire et brahmanisme.

Ils contribuent à éclairer des aspects de la structure sociologique locale, qui se manifeste, plus particulièrement encore, par des effets de patronage et de prestige lors de la fête annuelle des Anthropologie de

divinités. Le travail sur les temples fournit des éclairages précieux sur les personnes et les familles liées aux manifestations informel-les du pouvoir local. Ce travail s’inscrit dans informel-les enquêtes menées sur l’organisation sociale. Il accompagne la collecte d’informations sur la structure interne et l’interaction entre les castes et a permis à D. Negers de nouer d’excellents contacts avec les notables et les institutions ad hoc, en vue de l’enquête plus délicate sur les aspects liés au factionnalisme, à la dominance, et à la structure locale de pouvoir, dans des contextes décalés.

Le travail sur les déesses s’est enrichi d’un bref terrain croisé accompli avec Olivier Herrenschmidt, professeur émérite à l’uni-versité de Paris X, dans un village voisin de la région (Pentakota,Vizag Dt.), lors de la fête de la déesse Bangaramma.

Grâce à cette enquête commune, D. Negers a pu observer des phénomènes rituels et sociologiques appartenant à un niveau d’ex-pression symbolique et culturel entièrement distinct de ce qu’il lui est permis de suivre dans le contexte plus urbain, et beaucoup plus sanscritisé / brahmanisé, de Peddapuram. Ce travail ethnographi-que est aujourd’hui complété par une collaboration avec O. Herrenschmidt, engagée depuis le retour en France de D. Negers, détaché depuis septembre 2006 à l’INALCO, sur divers aspects du matériau recueilli, y compris certaines données linguistiques enregistrées. D. Negers a ainsi la possibilité d’exploi-ter des données comparatives recueillies de première main sur trois modalités sacrificielles distinctes de l’expression rituelle populaire, qui apparaissent complémentaires pour l’analyse anthropologique de l’Andhra côtier. Il a également pu recueillir des récits de vie individuelle, fait des observations et des enregis-trements liés au cycle de vie dans des familles de castes diverses (Brahmanes, Commerçants, Agriculteurs,Tisserands), et de quar-tiers distincts, avec un ancrage résidentiel qui permet des observa-tions privilégiées sur un micro-quartier multicaste. Constitué de quelque trois cents foyers, celui-ci est dominé par les Tisserands d’une sous-section (Devanga de l’Est) du groupe de castes numé-riquement et politiquement dominant à Peddapuram. Les condi-tions précaires de résidence et de séjour en milieu populaire font partie intégrante de la méthodologie de recherche de D. Negers.

Dans le milieu sociologique traditionnel, objet de l’enquête ethno-graphique, le lieu de séjour et le style d’intégration de l’observa-teur scientifique déterminent en grande partie les conditions d’ac-cès et les modalités de production de l’information. Ils constituent déjà par eux-mêmes un mode et un type d’enquête. Cette proxi-mité de Daniel Negers avec le milieu qu’il étudie a favorisé la col-lecte de données sur l’activité et le mode de vie des Tisserands, qu’il s’agisse de la description de la chaîne opératoire de produc-tion, des spécificités cultuelles d’un groupe sectaire marqué par

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son appartenance au Virashivaisme, des activités annexes des indi-vidus ou d’aspects liés à la diversification socio-économique de l’époque actuelle.

C’est selon deux angles complémentaires qu’Andrew Hardy enquête sur la mobilité régionale de la population vietnamienne.

D’une part, il analyse les migrations liées aux guerres du XXe siè-cle, pour en écrire une histoire sociale vue du côté vietnamien ; d’autre part, il étudie les migrations vers le Laos et la Thaïlande, pour écrire une histoire de la guerre froide en Asie du Sud-Est. Le programme avance suivant le rythme du travail de terrain : au Vietnam, enquêtes au Centre et sur les hauts plateaux ; en Thaïlande, recherches dans les provinces d’Udon Thani et de Nakhon Phanom (avec un apprentissage intensif de la langue thaïe)

; au Laos, enquêtes ethnographiques à Paksé, dans la province de Champassak. Pour ce volet d’histoire contemporaine,A. Hardy a pu recueillir des récits oraux sur les relations Vietnam-Laos-Thaïlande. Les recherches au Centre Vietnam ont également enrichi sa compréhension des conflits coloniaux et américains. Ces enquêtes vont faire l’objet de publications et d’exposés et nourrir ses programmes de recherches à long terme.

Par ailleurs, Andrew Hardy souhaite replacer cette mobilité viet-namienne dans une perspective plus longue. C’est ainsi qu’il étu-die aussi l’expansion vietnamienne dans les territoires du Champa, pour écrire une histoire de la « marche vers le sud ». À cet égard, la découverte en août 2005 d’une longue muraille dans la province de Quang Ngai a permis de commencer un terrain de recherches sur l’implantation vietnamienne au Centre Vietnam (ancien Champa) et a confirmé l’intérêt d’ouvrir un nouveau volet de recherches en histoire ancienne. Érigée en 1819, cette muraille longue de 100 km et orientée Nord-Sud, fut conçue sur la base d’un réseau de forteresses qui date du début de l’occupation viet-namienne, et construite sur le tracé même d’une « route manda-rine des hauteurs » qui traversait le pays du Nord au Sud. Cette route a permis aux premiers occupants de la région de s’y dépla-cer, et à l’administration de s’y implanter. La présence de portes et de marchés d’échanges entre les Vietnamiens, les Montagnards, les Cham et les Chinois fait de l’ensemble un témoignage unique de la complexité des relations socio-économiques entre ces populations dans l’histoire. En plus de prospections archéologiques sur le site de la muraille de Quang Ngai, des recherches historiques et ethno-graphiques ont été conduites concernant les temples de Cat Tien et Lam Dong. Le projet de coopération du Centre de l’EFEO à Hanoi avec le musée des sculptures Cham de Da Nang, mis en oeuvre suite à l’exposition de sculptures du Champa, organisée à Paris en octobre 2005 par le Musée national des arts asiatiques-Guimet, a Histoire des

migrations vietnamiennes

encore été pour A. Hardy l’occasion de manifester son intérêt pour l’histoire plus ancienne. Le projet est composé de trois volets : la restauration des pièces (voir le programme de Bertrand Porte, section « Archéologie » supra), la création d’une bibliothèque au sein du musée et l’édition de son catalogue. Il en va de même pour le projet FSP muséologie pour le développement du musée, lancé en 2005 et dont l’EFEO est partenaire, qui nécessite des déplace-ment réguliers à Da Nang.

Les missions de terrain d’A. Hardy en 2006-2007 ont essentielle-ment porté sur la prospection archéologique de la muraille de Quang Ngai (missions en mars, mai et décembre 2006 et mars 2007) : le tracé de l’ouvrage est d’ores et déjà connu, à l’excep-tion de son extrémité sud, située dans la province de Binh Dinh dans une région montagneuse (800 m. d’altitude) et boisée, d’ac-cès difficile. Un projet d’études historique, ethngraphique et géo-grapique a commencé au printemps 2007, avec un volet de forma-tion d’étudiants européens et vietnamiens.

Un nouveau projet d’étude, proposé par Olivier Tessier, a été rattaché depuis septembre 2006 aux activités du Centre EFEO de Hanoi : « Le Vietnam, une société de l’eau : étude des rapports État-paysannerie décryptés au travers du prisme de l’hydraulique (XVIIIe-XXe siècles) ». Ce projet entend enquêter sur les condi-tions sociales, politiques et économiques de la mise en place et de la gestion d’une hydraulique à grande échelle à travers les siècles.

S’il fait appel aux méthodologies des sciences sociales (histoire, anthropologie, géographie), il mobilise également des sources et des méthodes de disciplines plus techniques telles l’hydraulique et l’agronomie.

Le programme de Philippe Le Failler, dont on a déjà signalé le travail sur les pierres inscrites de Sapa (voir supra section « Épigra-phie »), porte plus généralement sur « La rivière Noire : évolution historique de la géométrie des pouvoirs sur les marges frontalières du Nord-Ouest du Vietnam (XIXe-XXesiècles) ».

Il s’agit pour lui, dans un premier temps, de reconstituer le statut politique ancien des « muong » (principautés tai) du Bassin de la Sông Dà (rivière Noire ou Sip-song-chau-thai) à l’aide de sources primaires vietnamiennes, françaises et locales ainsi que d’enquêtes de terrain. Puis, le cadre étant posé, d’analyser sur un siècle – de l’intermède colonial à la période présente – les modalités du pro-cessus d’intégration des provinces frontières à l’espace national.

Depuis janvier 2005, deux recherches sont en cours. L’une, qui a abouti à la rédaction de l’ouvrage à paraître Les seigneurs de la rivière Noire,De l’intégration d’une marche frontière au Vietnam, retrace le

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cours des seigneuries héréditaires du XIXe au XXe siècles, c’est-à-dire jusqu’à leur disparition. L’autre recherche porte sur les cam-pagnes militaires menées au XVIIIe siècle par les seigneurs Trinh contre les rebelles réfugiés en zone de montagne. Ce projet est mené en collaboration avec les chercheurs de l’institut d’études classiques et fera l’objet d’une publication bilingue. Un autre volet du partenariat avec les chercheurs vietnamiens a trait au récole-ment et à la préservation des manuscrits anciens en caractères de l’ethnie Dao. Ceci inclut la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire du haut fleuve Rouge qui s’inscrit dans les objectifs du programme d’étude sur les marches montagnardes du Dai-Viet. Ce projet est cofinancé par la Ford Foundation.

Spécialiste renommé de l’anthropologie du Laos, et professeur à l’université de Hongkong, Grant Evans a été invité en 2006-2007 par l’EFEO qui l’a affecté auprès de son Centre de Vientiane. Il a notamment mis à profit son séjour pour mener une série d’enquê-tes sur les modalités d’action et de forme de la conversion au bouddhisme lao des groupes minoritaires de montagnards tai (Tai noirs,Tai blancs,Tai rouges, etc.). Cette étude des changements de systèmes de croyance contemporains doit renseigner sur une dyna-mique générale de conversion à travers l’histoire. G. Evans entend contribuer par là à une meilleure compréhension de la transforma-tion historique des groupes tai et de leur intégratransforma-tion dans l’espace culturel lao. Un autre projet en cours s’attache à étudier la forma-tion et le développement du concept moderne de « culture lao ».

La réflexion sur ce thème, qui a été initiée dans les années 1940, a pris une grande importance avec la formation de l’État indépen-dant du Laos, ouvrant des débats sur des aspects identitaires aussi essentiels que la langue et la littérature, la culture matérielle, les valeurs, etc. Ces débats continuent aujourd’hui, même si le contexte a considérablement évolué. Un intérêt particulier est porté actuellement sur les ouvrages publiés en lao concernant la notion de politesse. G. Evans a par ailleurs poursuivi son travail sur la question de la royauté au Laos, avec l’achèvement d’un ouvrage intitulé The Last Century of Lao Royalty. Il a également complété la rédaction d’un important article où il aborde d’une façon théori-que le thème de l’inceste dans les dynasties royales lao et thaie.

À côté de ses autres recherches, Olivier de Bernon s’est attaché ces dernières années à reconstituer la collection des Codes cam-bodgiens de 1891. Il s’agit d’une collection de codes juridiques traditionnels du Cambodge, dont l’édition « manugraphiée » a été préparée à l’imprimerie du Protectorat à une période où ils n’étaient plus en vigueur. Le geste politique et administratif Ethnologie des

populations minoritaires tai au Laos

Histoire du droit cambodgien

curieux qui a consisté à les faire reproduire et distribuer dans tou-tes les provinces permet cependant de connaître le dernier état de cette littérature juridique traditionnelle. Comme il n’existe nulle part une collection complète de ces codes, les recherches d’O. de Bernon l’ont donc conduit à compiler les fonds des Archives Nationales du Cambodge, du département des manuscrits orien-taux de la Bibliothèque nationale de France, de la Bibliothèque de l’EFEO et de l’ancien fonds Robert Lingat, qui est actuellement dans des mains privées. Il a, d’autre part, poursuivi pour le sémi-naire d’enseignement dont il a la charge à la Faculté de droit de l’Université de Lyon la traduction de la « Loi sur juges » (krâm Tralakâr).

Le programme spécifique de conservation des archives personnel-les de Sa Majesté le roi Norodom Sihanouk, léguées dans leur tota-lité à l’EFEO, s’est poursuivi sous la direction d’Olivier de Bernon. Celui-ci a pu bénéficier, dans le cadre d’une coopération avec les Archives nationales d’une mise à disposition de deux sta-giaires, élèves de l’École des Chartes, pour l’assister dans le travail de classement et de catalogage des archives du roi.Après l’établis-sement d’un index informatisé des quelque 400 numéros du Bulletin mensuel de documentation, on notera, parmi les nombreuses tâches qui restent à accomplir, la numérisation des centaines d’heures d’enregistrements sonores (discours, conversations, etc.), confiés également à O. de Bernon par le roi Sihanouk. À l’oc-casion de la visite d’État en France de Sa Majesté le roi Sihamoni, en novembre 2006, et de sa venue à l’EFEO où il a dévoilé une pla-que en hommage à Son père, O. de Bernon a traduit intégralement la relation de voyage composée jadis par le ministre du Palais, l’Okña Veang Thiounn, à la demande du roi Sisowath, trisaïeul du roi Sihamoni, au retour de Sa visite d’État en France en 1906 (manuscrit ka 35/1 de la Bibliothèque nationale de Phnom Penh).

Cette relation, publiée en 2006 par le Mercure de France sous le titre Voyage du roi Sisowath en France, en l’année du Cheval, huitième de la décade, correspondant à l’année occidentale 1906, par l’Okñæ Veang Thiounn (Introduction, traduction et notes par O. de Bernon, col-lection “Le Temps retrouvé”,XXII+ 267 pages) a été offerte au roi Sihamoni.

Parallèlement à ses études de la littérature et de l’histoire moderne cam (voir supra section « Littératures »), Quang Po Dharma poursuit un travail sur l’histoire du FULRO (Front Unifié de Lutte des Races Opprimées), mouvement ethnonationaliste à caractère anti-vietnamien, qui s’est développé surtout pendant la guerre américaine du Vietnam (1955-1975) parmi certaines minorités

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Archives du roi Sihanouk et voyage du roi Sisowath

Mémoire des guerres et terreur khmer rouge 108

ethniques des hauts plateaux du sud du pays. Du fait des médias internationaux ce mouvement a acquis à l’époque une telle renom-mée qu’il est devenu un véritable mythe. Quang Po Dharma dans l’ouvrage tiré de cette étude, publié en 2006 (voir « Publications »), a tenté, à partir d’archives inédites concernant ce mouvement, d’en retracer la chronologie exacte ainsi que celle de ses différentes scissions.

De son côté, François Bizot, approfondissant certains thèmes de son livre Le Portail – dont il a tiré un film documentaire en 2006, difffusé à la télévision (Arte) et présenté par lui-même au cours de nombreuses conférences en 2006 et 2007 à travers l’Asie et l’Europe – conduit une analyse de l’expérience historique tragique qu’a constituée la terreur organisée par les Khmers rouges, et poursuit une réflexion sur l’ « humanisme du bourreau » tirée de sa proximité forcée avec l’un des principaux protagonistes de cette terreur. F. Bizot a, par ailleurs, publié en 2006 Le saut du Varan (Flammarion), roman dont l’EFEO et le Cambodge des années 1970, en proie à la guerre, constituent la toile de fond.