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et logiques représentationnelles

Dans le document Anthropologie et développement (Page 182-185)

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D'autres logiques pourraient sans doute être encore dégagées, où l'on verrait les pratiques des « développés » diverger des intentions, objectifs, et présupposés des initiateurs et opérateurs des projets de développement. C'est le cas lorsque le choix par les paysans de stratégies économiques en partie non agricoles (scolari-sation, migrations) s'oppose aux désirs des développeurs de fixer la population rurale à la terre. C'est le cas lorsque des stratégies villageoises de drainage de la main-d'oeuvre ou de constitution de patrimoines fonciers contrastent avec les po-litiques de mise en commun ou de nivellement des moyens de production préconi-sées par certains projets. C'est le cas lorsque la mobilisation de « réseaux » fondés sur des modes de relations sociales variés (parenté, clientélisme, voisinage, affini-té...) se heurte à la vision « égalitariste-individualiste » de nombre d'opérateurs de développement. C'est le cas lorsque de multiples formes populaires d'accumula-tion, d'investissement, d'épargne et de consommation s'éloignent des comporte-ments économiques standards définis par les experts.

Ces diverses logiques sont toutes d'ordre « stratégique », en ce qu'elles sont au principe de systèmes d'action explicites des acteurs paysans, à la jonction de l'économique et du politique. C'est bien pour cela que les significations des termes

de « logique » et de « stratégie » sont quasi équivalentes. Mais il n'y a pas que des logiques « stratégiques » qui se confrontent autour des opérations de développe-ment. Interviennent [139] aussi des logiques d'ordre symbolique ou cognitif, de nature plus implicite. Les malentendus et incompréhensions entre institutions de développement et populations relèvent pour une part d'un registre de « concep-tions latentes » ou de « représentaconcep-tions sous-jacentes ». Il ne s'agit pas là de « vi-sions globales du monde » respectivement cohérentes qui s'affronteraient mais de

« blocs culturels particuliers » ou de « configurations spécifiques de représenta-tions » qui seraient en décalage. Ce que le culturalisme suppose de systématicité dans les représentations propres à une culture et d'incommunicabilité entre deux cultures est étranger à la perspective ici défendue. Plus simplement et plus prosaï-quement, certaines notions évidentes pour les « développeurs » ne sont pas parta-gées par les développés. J'entends évidemment par là des notions qui jouent un rôle direct ou indirect important quant à la conception ou la mise en oeuvre d'une action de développement : peu importe au fond les différences de « conception du monde » (ou de religion, ou de bienséance, ou de philosophie ...) dès lors qu'elles ne sont pas au principe de comportements divergents autour d'actions de dévelop-pement (et elles sont loin de l'être toujours). Il y a par contre certains malentendus notionnels qui interviennent directement dans les interactions entre intervenants et populations.

M.L. Mathieu fournit quelques exemples de tels « malentendus notionnels » à propos de projets de développement en zone touarègue du Mali. Elle montre bien que la notion d'espace tel qu'il est vécu et représenté par les nomades n'a pas grand-chose à voir avec la vision de l'espace qu'ont les promoteurs des projets, vision qu'ils mettent en oeuvre sans même y réfléchir, parce que pour eux « elle va de soi ». Et pourtant c'est un certain mode d'appropriation de l'espace par les éleveurs qui permet d'expliquer divers « échecs » des projets. Il en est de même pour le rapport au temps, bien sûr, et aussi pour d'autres ensembles sémiologi-ques, tels que « richesse/pauvreté », « besoin », « alimentation », « participa-tion », « contrepartie » ou « eau » (Mathieu, 1994 : 265-337). Des différences profondes se jouent autour de ces conceptions entre agents des projets et popula-tions, différences qui sont loin d'être marginales pour expliquer les « dérives »des projets. Les logiques « représentationnelles » prennent ainsi place à côté des logi-ques « stratégilogi-ques ».

On peut déduire de tout cela trois conclusions.

1. Toute « résistance » à une innovation a ses raisons et sa cohérence, qu'elle soit d'ordre « stratégique » ou « représentationnel ». Il ne s'agit pas de mythifier les comportements populaires, ni de prétendre que ces « résistances » sont tou-jours inévitables ou ont toutou-jours des effets positifs, loin de là. Mais elles sont

« normales », c'est-à-dire qu'elles peuvent s'expliquer, se comprendre. Seule cette explication « de l'intérieur », cette compréhension « de l'intérieur » (c'est-à-dire du point de vue des utilisateurs), peut fournir le moyen de surmonter ces « résistan-ces ». Le critère d'une bonne compréhension-explication « de l'intérieur » consiste au fond à être capable de dire : « Moi aussi, à leur place, je ferais de même, et voici pourquoi ! » La maîtrise de ce type de [140] compréhension-explication devrait être un objectif central de toute institution de développement. Mais de telles compréhensions-explications ne peuvent surgir « spontanément » et ne relè-vent pas de l'intuition, sous peine de retomber dans les stéréotypes. Il faut les

« chercher » par l'enquête, et par une enquête appropriée, autrement dit l'enquête socio-anthro-pologique.

2. Toute innovation réussie (adoptée) est le produit d'une négociation invisible et d'un compromis de fait entre les divers groupes d'opérateurs de développement et les divers groupes d'agents sociaux locaux, et non le signe d'un triomphe de la logique technico-scientifique et économique des concepteurs.

3. Tout projet subit une « dérive », c'est à dire un écart entre ce qui est prévu et ce qui se passe, qui est la manifestation de son « appropriation » par les acteurs concernés (cf. conclusion).

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Anthropologie et développement.

Essai en socio-anthropologie du changement social Deuxième partie : Perspectives de recherche

Chapitre 8

Savoirs populaires et

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