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Essai de détermination du slogan publicitaire

Chapitre I. À la recherche du slogan publicitaire

1. Une chose trop souvent évoquée pour être bien connue

1.3. Essai de détermination du slogan publicitaire

Face à de telles difficultés dans l’approche ordinaire du texte de l’annonce, vouloir encore prédéterminer ce que doit être le slogan publicitaire en espérant pouvoir mieux le retrouver ainsi ultérieurement dans la réalité n’a pas de sens. Conscience prise du fait que la publicité est une activité toujours changeante, évolutive, intensément vivante, une définition stricto sensu et a priori serait contre nature et en contradiction avec l’esprit d’innovation qui l’inspire toujours. Il nous faut donc adopter un autre moyen d’opérer. Selon notre idée première, l’identification du slogan publicitaire est une affaire de réception et, dès lors, le caractère médiatique du support joue un rôle déterminant.

187 Michèle Jouve, Communication et publicité, Paris, Bréal, 1994, p. 131.

188 Selon Stratégies (n° 1264, janvier 2003), la marque de lingerie Triumph a lancé une campagne à

proximité du pont de l’Europe, passage routier privilégié entre la France et l’Allemagne, à la jonction Strasbourg-Kehl, avec une gigantesque affiche de 1 536 m2 (la plus grande affiche d’Europe, 32m de large, 48 m de haut) installée sur la façade d’un immeuble d’habitation et de bureaux. Cette méga-affiche devait être vue par environ 100 000 personnes par jour. On remarque que le seul mot qui figure sur cette affiche est le nom de la marque.

On pourrait supposer que l’annonce imprimée, média le plus ancien, est plus facile à comprendre que la publicité audiovisuelle. En réalité, c’est le contraire, du moins pour ce qui est de la perception. Ceci parce que la compréhension de l’annonce, dans les magazines et sur l’affiche, est beaucoup plus sophistiquée que l’on ne le croit habituellement. Par exemple, un spot télévisuel se déroule selon un enchaînement bien organisé qui s’adapte à un schéma optimal élaboré189. Autrement dit, la perception du spot télévisuel bénéficie d’une sorte de système de « guidage » conçu de façon à ce que l’intrigue et le message de la campagne soient aisément reconnus et reçus par les téléspectateurs. La perception des constituants du discours publicitaire y est donc relativement « éduquée » et stable, car toutes les étapes du déroulement du spot ont été soigneusement ordonnées et hiérarchisées tout au long de son axe spatio-temporel qui dure de 15 à 30 secondes. La perception se fait d’une manière « linéaire », le temporel comme le spatial étant arrangés dans un ordre imposé. La réception du message par le récepteur est donc contrainte et passive. En revanche, pour l’annonce publicitaire imprimée, la perception se fait de manière « intégrante », au fur et à mesure que le temporel et le spatial se superposent de façon discontinue par instants successifs. Du fait d’un mode de lecture en « Z », et bien qu’il vise à totaliser, la perception des constituants du discours publicitaire imprimée est foncièrement éparpillée. La réception de l’annonce nécessite donc davantage d’efforts du public.

Ainsi la perception d’un message relèverait de la nature médiatique de son support. À cet égard, il nous paraît utile de nous référer à Marshall McLuhan. Considérant le support comme un prolongement du sens humain, il a divisé les médias, selon leur quantité d’informations, en « chauds » et en « froids »190. Les médias « chauds », munis

de beaucoup d’informations, laissent à leur public peu de blancs à remplir ou à compléter. Par conséquent, ils ne stimulent pas une participation pour leur achèvement chez leur

189 En un sens, le développement de la théorie de l’information et de la communication entraîne celui de la

technique pour faciliter la perception du message.

190 Marshall McLuhan, Pour comprendre les média, op. cit., p. 39-50. Voir aussi Marcel Fitoussi,

public. En revanche, les médias « froids » délivrent peu d’informations et requièrent beaucoup d’efforts de la part du destinataire. Cette thèse veut montrer que la télévision se classe parmi les médias « froids » comme le téléphone, la parole, alors que le papier et l’écriture figurent parmi les médias « chauds » ainsi que la radio, le cinéma, la photographie, etc. Toutefois, publicitairement parlant, cette division n’est plus convaincante. C’est-à-dire, pour ne s’en tenir qu’au spot télévisuel et à l’annonce imprimée, que le premier requiert une faible participation du téléspectateur, alors que la seconde demande une haute participation du lecteur. Finalement, on se rend compte que le degré de participation du récepteur dépend du support et de sa nature médiatique et que, pour comprendre l’annonce, s’impose une haute participation.

En fin de compte, le slogan doit être considéré comme un élément autonome, ouvert et flexible. Pourtant, si l’on est, coûte que coûte, contraint d’exprimer ce qu’il est en usant d’une terminologie publicitaire, nous pouvons dire qu’il est semblable à l’« accroche ». Mais en affirmant cela, nous devons faire une distinction inédite et pourtant nécessaire pour la compréhension de l’activité publicitaire, une distinction entre le slogan publicitaire et la signature. Bien entendu, par-là, nous ne voulons pas faire écho à la cacophonie terminologique évoquée plus haut s’agissant des définitions de slogan.

Le plus souvent, le slogan est lié aux produits et aux services d’une entreprise. Au niveau de la communication, il se caractérise par son aspect frappant, ponctuel, ludique, interactionnel, et par son instantanéité. Ce que nous devons souligner ici, c’est que le slogan est un élément qui appartient essentiellement à la notion de « campagne » et à celle de « communication médiatique », conformément à la définition de « publicité » faite plus haut. Par contraste, sous une formule verbale encore plus brève, la signature se rattache à l’écusson iconique caractéristique de la marque ou à son logotype. Elle énonce, d’une manière générale, la vocation de la marque, sa devise et sa promesse permanente. On peut dire que, en ce sens, elle relève de la notion d’entreprise. D’ailleurs, elle se caractérise par son aspect durable. C’est-à-dire que, tandis que le slogan est un outil de la publicité, de la publicité en tant que communication médiatique de l’entreprise, la

signature est un outil de la « communication de l’entreprise », directe ou indirecte. La signature est un élément qui s’utilise non seulement dans la publicité mais aussi dans les modes de communication hors médias de l’entreprise.

Lorsque ces deux éléments distincts se présentent dans l’espace de l’annonce, on peut plutôt dire que le slogan existe pour la signature, dans la mesure où, mettant en relief l’appartenance du produit, il est voué à faire mémoriser la marque. Il y a donc un rapport d’assujettissement du slogan à la signature. À titre d’exemple, Renault utilise, depuis des années, une formule « Renault, créateur d’automobiles ». Le constructeur l’insère dans toutes ses campagnes publicitaires (télévision, radio, presse, affiche, etc.) mais il l’insère ainsi dans les divers documents utilisés pour d’autres modes de communication, tels que le publipostage, le parrainage, le salon, etc. Marquée par la notion d’entreprise, cette formule est donc plutôt une devise de la marque qu’un slogan publicitaire à proprement parler.

Tout de même, une tendance actuelle de l’annonce nous démontre que le seuil séparant l’accroche de la signature tend à devenir flou, au fur et à mesure que se présentent des occurrences où une formule, signature à l’origine, se transforme en accroche ou vice-versa. Si, dans l’annonce imprimée, on peut aussi saisir cette formule déjà citée, « Tous les bonheurs du monde » (Club Med) comme un slogan, c’est parce que se détachant de l’écusson, la devise de l’entreprise, qui était sa signature, fonctionne désormais comme une accroche. C’est-à-dire que s’efface la frontière entre la communication pour le produit et la communication pour l’entreprise.

Finalement, compte tenu du fait que le paysage publicitaire actuel tend à devenir de plus en plus confus, il conviendrait peut-être de caractériser le slogan publicitaire de l’annonce comme une « formule vide ». Ainsi, cette caractérisation du slogan y reconnaît qu’il requiert des efforts, conformément au caractère médiatique de support lu de l’annonce imprimée et affichée. Selon nous, le slogan est finalement caractérisable comme une « formule verbale » qui sert à identifier, à l’aide d’une intuition, au cours du

processus de la perception191. En ce sens, nous pouvons adopter cette description du slogan proposée par Blanche-Noëlle Grunig :

Le slogan est actuellement, et provisoirement sans doute, un enchaînement verbal, de longueur très souvent réduite à une ou deux phrases ou interventions, qui occupe une position perceptivement remarquable dans l’affiche ou la page (grâce à la taille et la qualité de ses caractères et à la répartition dans l’espace des différentes manifestations iconiques ou verbales). C’est à notre avis ce caractère relatif, résultant d’une comparaison perceptive, qui désigne le slogan.192

Nous croyons que cette manière de déterminer le slogan est finalement la meilleure façon de pouvoir l’identifier, vu l’imbroglio sémiologique et l’embarras terminologique régnants. D’ailleurs, n’est-ce pas de cette manière que, par un « débrouillage » opéré en situation de communication, le public reconnaît quotidiennement et spontanément le slogan publicitaire ?