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Deux contraintes fondamentales

Chapitre I. À la recherche du slogan publicitaire

2. Les coulisses de la production du slogan publicitaire

2.1. Deux contraintes fondamentales

Ce que nous observons, en premier chef, dans ces formules verbales, c’est la présence de diverses manifestations, comme celle de « mots nouveaux », de « mots étrangers », de « parties énigmatiques », de « formulations étranges », de « distorsions phrastiques » et d’« emprunts » au lexique des jeunes, etc. Nous pouvons regrouper ces caractéristiques pour les qualifier sous le nom d’« expressivité ». Fruit de l’exploitation publicitaire, cette expressivité vise à charmer ou à choquer le consommateur. Le choc se produit le plus souvent dans le bon sens, mais le contraire n’est jamais exclu.

Surtout, porteuse de création d’une réalité qui doit toujours être synonyme de félicité, la publicité invite les consommateurs, peut-être, à célébrer un monde fantastique.

193 Michèle Jouve, Communication et publicité, théories et pratiques, Paris, Bréal, 1994, p. 101. 194 La production des messages demande de gros moyens. D’après Le Publicitor le coût de production des

films publicitaires de télévision est souvent élevé. Un film à grand spectacle peut coûter 1,5 à 2 millions d’euros. Pour l’annonce de presse, le budget est en moyenne de l’ordre de 10 000 euros, mais il peut aller jusqu’à 25 000 euros. La fabrication d’une affiche de 4m x 3m en quatre couleurs revient à 8 euros environ. [Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Le Publicitor, 6e édition, op. cit., p. 216-221.]

Dans une telle perspective, il se peut que le champ de cette expressivité soit illimité, de telle sorte que n’importe quelle manifestation, tant au niveau de la forme qu’au niveau du contenu, y est concevable. À ce point de vue, le slogan pourrait bien être un « langage totalement libéré ».

Et pourtant, l’essentiel de cette expressivité se différencie radicalement de celle qui s’observe dans des usages verbaux extravagants, les graffiti sur les murs ou les balbutiements des petits enfants. Sous des apparences euphoriques, sa vraie mission est de séduire les consommateurs et de leur faire mémoriser le produit et la marque. Vu de ce point de vue mercantile, le slogan se caractérise, à l’opposé, comme un « langage désespérément conditionné ». Comme, de manière générale, le « libéré » et le « conditionné » sont contradictoires, comment expliquer le caractère double de ce message publicitaire qu’est le slogan? Nous pensons que ce phénomène relève, fondamentalement, du caractère mass-médiatique de la publicité.

2.1.1. La communication médiatique : « nécessité » d’une expressivité

Selon la théorie de la communication médiatique de Guy Lochard et d’Henri Boyer195, la communication humaine peut être subdivisée en deux grandes formes : la communication directe et la communication médiatisée. De la seconde relève la communication publicitaire, qui prend appui sur un support technique donnant accès à un destinataire, qu’il soit individuel ou collectif. Se déployant dans les grands médias de masse traditionnels et généralistes, la publicité consiste également en communication médiatique, composante essentielle de la communication médiatisée.

Or, ce caractère médiatique est ce qui entretient un double jeu dans la communication publicitaire. Par rapport à l’objectif de la publicité, qui est de persuader des consommateurs, le caractère indirect de sa communication n’est pas aussi performant que la communication directe196. C’est en ce sens que son caractère médiatique lui pose des limites irréductibles, du fait de contraintes spatio-temporelles. Toutefois, ce caractère

195 Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication médiatique, Paris, Seuil, 1998, p. 4.

196 Cela s’appuie sur une hypothèse selon laquelle, en termes d’efficacité de persuasion, la communication

médiatique permet à la publicité un moindre coût du point de vue budgétaire, car il s’assortit de la possibilité de grandes performances quant à la diffusion de l’information. Il est donc normal que le marketing insiste sur ce type de communication indirecte qu’est la publicité. En effet, si la communication directe apportait plus d’avantages économiques que la communication indirecte, alors les annonceurs choisiraient d’autres moyens de communication que la publicité, ceux qui constituent les hors médias, comme les relations publiques, la promotion des ventes, la foire, le lobbying, etc.

Par conséquent, aussi longtemps que la publicité sera communication médiatique, ce handicap supposé de persuasion persistera. C’est afin de compenser ce handicap que la publicité recourt, d’une manière parfois désespérée, à l’expressivité du message.

2.1.2. La communication de masse : « seuil » de l’expressivité

D’un point de vue historique, les concepts et les technologies des médias ont connu un grand essor après la révolution industrielle. Communication s’appuyant sur les pratiques des médias, la publicité revêt ainsi une dimension stratégique dans le « développement économique des sociétés occidentales et des marchés » 197 . Simultanément, comme communication de masse auprès du grand public, la publicité comprend également une logique politique. Moyen de transformation des mentalités face à un nouvel environnement, elle répond initialement à une exigence d’organisation sur la place des discussions d’intérêt général et d’intérêt privé.

En fait, cette vocation idéale, tant économique que politique, orientée vers le « principe du plus grand bonheur du plus grand nombre d’individus » selon la formule de Jeremy Bentham, se heurte très tôt à un obstacle de taille, au fur et à mesure que la publicité emprunte les chemins de la vénalité dans sa poursuite du profit198. En

197 Guy Lochard et Henri Boyer, La Communication médiatique, op. cit., p. 7.

198 Selon Jürgen Habermas, il y a eu un « principe de critique » dans le développement de la publicité des

pays occidentaux. La Publicité (die Publizitaït) signifiait autrefois démystifier la domination politique devant le tribunal d’un usage public de la raison ; la publicité d’aujourd’hui se contente d’accumuler les comportements-réponses dictés par un assentiment passif. La Publicité, au départ principe de la critique exercée par le public, a été subvertie, à partir du XVIIIe siècle, en principe d’une intégration par la transformation des structures de l’espace public en tant que sphère, due à l’évolution des médias et à la

conséquence, on constate que la publicité est devient, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, l’objet d’un contrôle par les pouvoirs publics en vue de protéger les intérêts de tous les membres d’une société contre ses aspects néfastes.

C’est ainsi que, en France comme dans nombre d’autres pays du monde, la publicité est actuellement régie par un ensemble de mesures institutionnelles. De manière générale, le cadre juridique concerne surtout certains produits nuisibles, certaines catégories du public telles que les enfants et les femmes199 et certaines formes de promotion telles que la publicité mensongère200 et la publicité comparative201.

Quant au message publicitaire, la loi réglemente aussi bien son contenu que son expression. Il s’agit, principalement, de deux sortes de protection : celle de la langue française et celle des consommateurs. En premier lieu, pour protéger la langue française de l’invasion d’idiomes étrangers, la loi fait une obligation de l’utilisation de la langue française202 pour toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle.

Pour la protection des consommateurs, la loi interdit les messages discriminatoires, racistes ou incitants à la violence. Notamment, pour certains produits, elle prévoit une obligation d’insertion de certaines formules dans la campagne ou sur le packaging. On

commercialisation. Finalement, la sphère publique devient une cour devant le public de laquelle un prestige est mis en scène au lieu de développer une critique au sein de ce public. [Jürgen Habermas, L’Espace

public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), traduit

de l’allemand par Marc B. De Launay, Paris, Payot, 1993. Surtout Chapitre VI. Évolution des fonctions politiques de la sphère publique, p. 189-245.]

199 La protection de ces deux catégories ne se situe pourtant pas au même niveau. Alors que les enfants

sont concernés en tant que public, les femmes le sont en tant que faire-valoir.

200 La publicité mensongère est considérée comme contraire à la morale sociale, elle est jugée inadmissible. Selon

Jean-Marc Décaudin, la publicité mensongère est interdite par la loi du 2 juillet 1963, revue et modifiée par celle du 27 décembre 1973. [Jean-Marc Décaudin, « Conception d’une campagne publicitaire », op. cit., p. 122.]

201 Le Code de la Consommation définit la publicité comparative comme suit : « Toute publicité qui met

en comparaison des biens ou des services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou des services offerts par un concurrent ». La publicité comparative est acceptable à condition que la comparaison obéisse à certaines règles précises, à une déontologie. Les comparaisons doivent ainsi être loyales, véridiques et ne pas induire en erreur.

202 http://www. aacc.fr/juridique/toubon.htm. La loi du 4 août 1994 (loi Toubon) concerne l’emploi de la

langue française. Cette obligation dépasse la seule émission des messages publicitaires, elle s’étend aux modes d’emploi ainsi qu’à la présentation et à la dénomination des produits.

rencontre ce cas par exemple pour l’alcool et le tabac203 : « L’abus d’alcool est

dangereux pour la santé. À consommer avec modération » ; « Fumer nuit gravement à la santé » et « Fumer tue ». Et, récemment, nous avons, bel et bien, pu assister à

l’application d’une obligation de faire figurer des messages de prévention sur les publicités pour certains produits alimentaires204, tels que « Pour votre santé, mangez au

moins 5 légumes et fruits par jour » ; « Pour votre santé, évitez de grignoter entre les

repas » ; « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé », etc.

En ce qui concerne plus particulièrement l’expression du message, il faut noter qu’au-delà des mesures fixées par la loi, la publicité française est soumise à l’autorégulation205. Cela signifie que la publicité se gouverne elle-même grâce à des règles élaborées librement par les professionnels, sous l’égide de l’ARPP, association interprofessionnelle206.

203 La loi Évin réglemente les dispositions relatives au tabac et à l’alcool. Elle interdit la publicité pour le

tabac et l’alcool à la télévision française.

204 Suite à un décret et à un arrêté, publiés le 28 février 2007, les marques des industries agroalimentaires

sont obligées d'ajouter sur tous les supports publicitaires (spot télévisuel, radio, presse, affiche) un message sanitaire visant à lutter contre l'obésité. Les différents messages suivant les catégories d’aliments sont : « Pour votre santé, faites une activité physique régulièrement » ; « Apprenez à votre enfant à ne pas

grignoter entre les repas » ; « Bouger, jouer est indispensable au développement de votre enfant » ; « En plus du lait, l'eau est la seule boisson indispensable ». Ces messages doivent être complétés par la mention du site Internet : MangerBouger.fr.

205 La définition de l’autorégulation dans l’Accord institutionnel européen de décembre 2003 est la

suivante : « on entend par autorégulation la possibilité pour les opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations, d’adopter entre eux et pour eux mêmes des lignes directrices communes ».

206 Ex-BVP (Bureau de vérification de la publicité), l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la

publicité) est l'organisme d'autodiscipline de la publicité en France. Elle a pour mission de « mener une action en faveur d'une publicité loyale, véridique et saine dans l'intérêt des professionnels de la publicité, des consommateurs et du public. ». En d'autres termes, sa mission est de parvenir à concilier liberté d'expression publicitaire et respect des consommateurs. Portant sur le seul contenu du message publicitaire (en aucun cas elle n’est juge en matière de questions relatives aux produits ou services dont la publicité fait la promotion), elle est notamment chargée d’élaborer les codes de bonnes pratiques avec tous les acteurs de la publicité (agences, annonceurs, supports de publicité, syndicats professionnels) et de veiller à l’application de ces règles, à trois niveaux principaux (conseil, avis, autosaisie).

Les modalités d’existence des messages publicitaires sont donc clairement délimitées par ces cadres normatifs207, juridiques ou autodisciplinaires, qui sont liés au caractère de communication de masse qu’a la publicité.