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Les défis de la publicité française

I. Mon premier De la société au message

2. Les avatars de la publicité française

2.3. Les défis de la publicité française

Après avoir longtemps considéré la publicité comme une technique accessoire du commerce, comme une partie périphérique de leur activité, les entreprises françaises ont pris conscience qu’elle n’est pas simplement le luxe des périodes prospères, mais plutôt un coût d’exploitation aussi nécessaire et aussi évident que les dépenses d’énergie ou de matière première. Malgré un développement fulgurant consécutif à ce changement d’appréciation de la part des entreprises, la publicité demeure frileuse pour autant qu’elle se sent inévitablement tributaire, ou se rend tributaire, d’une manière qui est très perceptible, du climat politique et économique, des aléas conjoncturels, des mutations technologiques, du contexte socioculturel, enfin de tous les moindres mouvements de la société54. L’optimisme ou le pessimisme des entreprises se traduisent aussi tôt dans son volume et dans son évolution.

54 La publicité varie aussi beaucoup selon les secteurs et les types d’économie. Son importance, mesurée

par rapport au chiffre d’affaires, est très différente d’un secteur à l’autre, et pour un même secteur, d’entreprise à entreprise, voire même au sein de la même firme, de produit à produit, de marque à marque. Ces variations illustrent des options stratégiques différentes et doivent être considérées à la lumière de la

En France, il est généralement admis que les années 80 ont vu l’apogée de la publicité. Et il est vrai que beaucoup prédisent déjà la « mort de la publicité ». En fait, la publicité française a toujours rencontré des défis. Le premier concernait la légitimité de son activité. Les effets macro-économiques de la publicité sont remis en cause. S’il est certain que la publicité, en tant que secteur industriel, occupe une part importante de l’économie nationale, par contre il y a toujours des points de suspension concernant l’appréciation de son rôle économique réel. On sait en fait peu de choses quant à l’impact réel de la publicité sur la croissance et le développement économiques. En effet, peu d’économistes se sont penchés sur la question. Le monde de la publicité préconise que le rapport de la publicité à l’entreprise et à ses marchés doit être le plus clair et évident possible puisque l’objet premier de la publicité est précisément d’agir sur les consommateurs. Mais ce rapport est difficile à apprécier. Quant aux effets macro- économiques, les auteurs de Publicitor notent qu’« ils sont aussi très controversés […] Ils sont en fin de compte assez faibles et les critiques les plus sévères faites à la publicité dans ce domaine sont aussi celles qui sont les plus mal fondées »55. Bien qu’une définition de la « fonction économique » de la publicité figure dans le préambule du « Mémorandum explicatif »56 de la philosophie des Communautés européennes, qui date de 1978, et bien qu’existe une étude universitaire57 traitant du rôle économique de la

publicité, celui-ci est loin d’être clarifié.

nature des articles, de leur cycle de vie, de leur image, de leur importance relative pour la société, de leur mode de distribution, de la politique tarifaire et commerciale pratiquée avec les revendeurs, etc. Si le volume de la publicité varie d’une saison et d’un marché à l’autre, sa forme, ses arguments changent aussi beaucoup d’une époque à l’autre et d’une culture à l’autre.

55 Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e édition, op. cit., p. 407.

56 La publicité fait partie intégrante du système de production et de distributions de masse au service du

grand public. Les fabricants de biens et les fournisseurs de services ont besoin d’informer et de rappeler au public ce qu’ils ont à offrir. Un tel système d’information est utile pour l’économie de production. Il est nécessaire aux consommateurs pour qu’ils puissent opérer un choix entre plusieurs options. En outre, la publicité est le fondement de la concurrence sur le marché, elle stimule le développement et l’innovation, rend possible l’approvisionnement en biens et services de faible coût, auparavant trop chers pour le marché. Enfin, la publicité apporte sa contribution essentielle au financement des médias. [Cité par Armand Mattelart, La Publicité, Paris, La Découverte, 1994, p. 66.]

De surcroît, on peut s’interroger sur l’effet micro-économique de la publicité, c’est- à-dire sur celui d’une campagne publicitaire. Les lois qui gouvernent la rentabilité de l’investissement publicitaire restent à trouver. Qu’il porte sur l’entreprise et ses marchés ou sur l’économie dans son ensemble, l’impact général de la publicité reste, au bout du compte, difficile à isoler. D’autant plus que, par rapport à l’importance des sommes dépensées pour ces études d’audience des supports, celles qui ont été consacrées à tenter d’évaluer l’effet (impact, notoriété, image) de l’investissement auprès des consommateurs sont relativement faibles. Il est en effet très compliqué, voire parfois impossible, de mesurer avec précision l’efficacité réelle d’une publicité sur les ventes ou même sur l’évolution de l’image d’une marque… Vu cette difficulté, il y a effectivement imprévisibilité dans la publicité. Imprévisibilité quant aux résultats d’une campagne, vu la volatilité des consommateurs et le décalage entre l’avis du spécialiste et le goût du grand public est un fait qui s’impose58. La plupart des manuels ou des traités sur l’activité

publicitaire ne nient d’ailleurs pas ce point particulier. Publicitor reconnaît : « Il est en effet compliqué, parfois, impossible, de mesurer avec précision l’efficacité réelle de la

économique », soutenue en 2004, à Paris IX Dauphine, par Maximilien Nayaradou. L’UDA (Union des annonceurs) a financé ses recherches avec le soutien du Ministère de la Recherche, de la FMA (Fédération mondiale des annonceurs) et de l’IREP (Institut d’Études et de Recherches publicitaires). Cette thèse analyse pour, les vingt dernières années, l’influence des investissements publicitaires médias et hors- médias sur la croissance économique au Japon, aux États-Unis et en Europe. Elle montre qu’il existe quatre mécanismes par lesquels la publicité agit sur la croissance économique : la consommation, l’innovation, la concurrence et le dynamisme des secteurs économiques liés à la publicité. L’étude soutient qu’il y a une corrélation entre les investissements publicitaires et la croissance économique : le taux d’investissement publicitaire total et le taux moyen de croissance du PIB sont liés.

Présentée aussi dans un document de synthèse de quarante pages, cette recherche constitue évidemment un précieux outil de lobbying pour la profession. Elle circule déjà auprès des publicitaires et des annonceurs, mais aussi et surtout auprès des personnalités influentes de la haute administration, des élus et de la recherche. Pour l’UDA, elle doit permettre une prise de consciences des pouvoirs publics, qui devront alors bien évidemment encourager l’investissement publicitaire puisqu’il est avéré qu’améliore l’efficacité productive d’une économie.

58 Lorsqu’a commencé la campagne pour le service vocal 118 218, la plupart des spécialistes en

communication publicitaire l’ont critiquée, sceptiques quant au bénéfice du bruit médiatique causé par les deux « zozos » qui polluaient les oreilles du public avec leur « tou-tou-you-tou » débile. Mais le public, au contraire, ne l’a pas du tout détestée. Elle a finalement été considérée comme l’une des meilleures et des plus efficaces campagnes de 2006.

publicité sur les ventes ou même sur l’évolution de l’image des marques (…) »59. Du coup, on peut dire que la publicité, qui souhaiterait une certaine pérennité, contrebalançant l’actuelle « gadgétisation de la pub », se trouve perturbée par cette éternelle volatilité des consommateurs.

Dans cette situation floue, l’arrivée d’une nouvelle technique a changé de fond en comble la cartographie de l’ensemble du monde de la publicité. Le monde de la publicité a reconnu, comme presque tous les autres domaines, l’importance de l’arrivée de l’Internet. On a dit que la troisième révolution serait celle de l’électronique60, qui a

cheminé très progressivement avant d’envahir l’ensemble des systèmes techniques, puis de déboucher sur l’informatique, la robotique et des réseaux tels qu’Internet. Dans le monde de la publicité, l’Internet a généré des bouleversements dans la pratique des modes de communication, entraînant des mutations sociales61. L’Internet apporte au moins trois changements dans le monde de la publicité, même si cette vague de changements est encore en plein développement.

Il s’agit, en premier lieu, de la publicité sur l’Internet, qui met en œuvre l’espace du web, devenu support de publicité. En effet, ce nouveau type de campagne publicitaire change toute la physionomie de l’industrie publicitaire (taux de répartition entre les médias), au fur et à mesure de sa rapide croissance depuis son arrivée. Ce nouveau type de publicité se développe en effet à une grande vitesse, affichant 42% de taux de croissance, avec 540 millions d’euros, en 200662. En fait, la montée en puissance de l’Internet fait évoluer le système de calcul de l’investissement publicitaire. Alors que le monde de la publicité avait d’abord classé l’Internet dans la rubrique hors-médias, il a commencé, dès 2007, à considérer la publicité sur l’Internet comme devant être rangée

59 Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, Publicitor, 6e édition, op. cit., p. 407.

60 Si l’une des vertus des sociologues était de pouvoir prédire l’avenir, Edgar Morin en serait

singulièrement doté, car il avait bien prédit, dans L’Esprit du temps (1962), que la troisième révolution serait « électronique et nucléaire ».

61 Sur l’un des aspects des mutations sociales qu’entraîne l’utilisation de l’Internet, voir Stéphane Hugon,

Circumnavigations. L'imaginaire du voyage dans l'expérience Internet, Paris, CNRS Éditions, 2010.

62 D’après France pub 2008, les taux de répartition des médias pour l’année 2007 sont les suivants : presse

dans une publicité plurimédias regroupant divers supports sans distinguer entre médias et

hors-médias. Sa part du marché des médias était alors de 5%.

En deuxième lieu, en apportant une nouvelle modalité de communication, l’Internet cause un changement dans la nature même d’une campagne. Cela veut dire que, comme la formule d’entrée sur le WEB (www.) est désormais insérée quasi systématiquement dans la plupart des supports, il peut ainsi y avoir une campagne qui comporte une étape de contact intermédiaire, au lieu de ne consister qu’en une unique étape auprès du public : la campagne présente le moyen d’une prolongation de la communication. Ainsi, en positionnant la publicité dans un passage allant d’un « marketing de la conquête » à un « marketing de la relation », l’Internet affecte l’ensemble de la structure de communication de l’entreprise. On ne peut pas pour l’instant mesurer les effets que produira l’irruption de l’Internet, savoir plus précisément s’il sera un nouvel eldorado, et pas seulement pour la publicité sur l’Internet lui-même mais pour l’ensemble de la publicité, ou bien un terrible défi à relever pour la publicité.

Certains auteurs, ainsi Al et Laura Ries dans leur livre intitulé « La Pub est morte»63, expriment bien le souci que l’on peut avoir pour l’ensemble de la publicité actuelle, qui s’est faite jusque-là par medias traditionnels. Dans le même sillon, un doute surgit, de manière vague et globale, au sein du monde de la publicité : « La notion de campagne a- t-elle encore une signification aujourd’hui ? ». Question absurde, mais qui exprime bien les préoccupations actuelles en la matière. De surcroît, pour certains, il y a « des œuvres d’art » qui se traduisent comme un coup publicitaire particulièrement brillant et créatif, ou bien un « dispositif global de communication » autour de la marque.

63 Al et Laura Ries, La Pub est morte, vive les RP!, traduit de l’américain par Emily Borgeaud, Paris,