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D ES RESERVES ET DES SERVITUDES ( FI L IMA WA L IRFAQ ) :

B. Cas de la conduite des opérations militaires contre les polythéistes

16. D ES RESERVES ET DES SERVITUDES ( FI L IMA WA L IRFAQ ) :

Ce présent volet constitue une suite thématique du précédent chapitre qui traite des vivifications des terres (voir supra).

Le sujet traité, sous cette rubrique est révélateur du désordre de la vie socio-religieuse

et politique que la cité bagdadienne a connu au Ve/XIe siècle. Nous verrons comment les deux

juristes tentent de réglementer la vie socio-religieuse, en la mettant, autant que faire se peut, sousġl’autorŪtéġpolŪtŪqueġduġsouveraŪn.ġ

L’organŪsatŪonġtextuelleġdesġdeuxġchapŪtres des deux juristes est similaire. Aussi bien al- Māward que le cadi hanbalite divisent ledit chapitre en trois parties : les réserves (ḥimā) ; la

libre jouissance des espaces publics (irfāq) et le droit relatif aux juristes. Cette dernière et

intéressante partie, le cadi hanbalite l’ŪnclutġdansġlaġsectŪonġtraŪtantġdesġalentoursġŪmmédŪatsġ des maisons et des propriétés privées716.

Dans la première partie, traitant des réserves des terres mortes, les deux juristes adoptent le même avis, selon lequel les califes ont le droit de posséder une parcelle de terre deġréserveġd’uneġterreġmorteĪġàġcondŪtŪonġqueġcelle-ci soit mise au profit des pauvres et des indigents.

Les modes de justification des deux thèses respectives, sont différents. Aussi al-

Māward cite-t-il deux avis divergents : le premier est relatif à une tradition rapportée par un

compagnon du prophète717 où celui-ci aurait dit « Ūlġn’yġaġdeġréserveġ(ḥimā) que pour Allāh et

son prophète » ; et le second, qui contredit le premier, est un fait historique ayant trait au premier calife, Ab Bakr, qui aurait possédé une réserve après le prophète, mais cette possessŪonġestġfaŪteġdansġunġbutġd’Ūntérêtġgénéralġdesġmusulmans.ġ

Le juriste tente de dissiper cette contradiction, entre les deux avis, pour justifier la possession de réserve du calife, en interprétant la tradition du prophète en ces termes « le

715 Cf. Ibn Abī Ya‘lā, abaqāt, II, pp. 126-129.

716 Cf. Ab Ya‘lā, A kām, pp. 206-211 ; cf. al-Māwardī, A kām, pp. 233-237.

717 Le compagnon dont il est question, est un traditionniste qui aurait rapporté un certain nombre de traditions,

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sensġenġestġqu’Ūlġn’yġaġdeġréserveġàġfaŪreġqueġdansġunġbutġsemblableġàġceluŪġqu’ontġpoursuŪvŪġ Allāhġ etġ sonġ prophèteġ auġ profŪtġ desġ pauvresĪġ desġ ŪndŪgentsġ ġ etġ deġ l’Ūntérêt général des musulmans ». Le juriste chafiite cite par ailleurs des récits anecdotiques ayant trait au deuxŪèmeġcalŪfeġdeġl’ŪslamĪġ‘Umar718.

Ab Ya‘lā adopte la même position que son rival chafiite ; cependant il justifie son opinion à travers des références hanbalites.ġ Enġ l’occurrenceĪġ Ūlġ mentŪonneġ uneġ tradŪtŪonġ

rapportée par un traditionniste hanbalite, Aḥmad b. Muḥammad Ab l-Ḥārit al-Ṣā’Ū 719, selon

leġfŪlsġcadetġd’IbnġHanbalĪġ‘AbdġAllāh720.

Dans la deuxième partie les deux auteurs abordent la question relevant de la libre jouissance (irfāq)ġ desġ espacesġ publŪcsġ quŪġ comporteĪġ entreġ autresĪġ l’usageġ desġ lŪeuxġ deġ stationnement des marchés, des alentours des rues, on relève quelques différences mais qui ne sont pas substantielles entre les deux textes721.

Tel al-Māward , le cadi hanbalite divise ladite partie en trois classes : la première

renferme les campagnes (falwāt) et les déserts (ṣaḥār)ġ quŪġ s’applŪquentġ auxġ lŪeuxġ deġ

campement des voyageurs (manāzil al-asfār)ġetġauxġpoŪntsġd’accèsġd’eauġ(ḥul l al-miyāh) ; la

deuxième classe est celle des alentours immédiats des maisons (finā’) et des propriétés privés

(amlāk) ; la troisième comprend les espaces qui constituent les rues et les chemins722.

Nous allons nous intéresser à la troisième partie de par son importance résidant dans le rapport du souverain avec les espaces publics que les deux auteurs voulaient mettre en

exergue. Il est à remarquer que ce thème nous rappelle également le muḥtasib (police des

mœurs)ĪġfonctŪonġpolŪtŪco-religieuse qui est en rapport direct avec le pouvoir politique723.

Aussi bien al-Māward que le cadi hanbalite soutiennent que la surveillance des espaces

qui constituent les rues et les voies est confiée au souverain. Cependant, le contrôle opéré par celui-ci est de deux manières :ġlaġpremŪèreġestġrestreŪnteġauġfaŪtġd’empêcherġlesġtransgressŪonsġ

718 Cf. al-Māwardī, A kāḍ, p. 234 ; E. Fagnan, Statuts gouvernementaux, p. 399, op. cit. 719 Cf.ġIbnġAb ġYa‘lā, abaqāt, I, pp. 177-179.

720 Cf. Ab Ya‘lā, A kām, pp. 206-207.

721 Sur la topographie de Bagdad, voir J. Lassner, The topography of Baghdad in the early Midlle Ages, Detroit, Wayne

State University Press, 1970, pp. 172-178 ; voir également, G. Makdisi, « The Topography of the Eleventh Century Baghdād », in Arabica, VI (1959), pp. 178-197 ; Père Youakim, Opera minoraĪġBeyrouthĪġéd.ġMubārakĪġġDārġal-Ma‘ārŪfĪġ 1963, III, pp. 35-93.

722 Cf. al-Māwardī, A kām, pp. 234-235; cf. Ab Ya‘lā, A kām, p. 210.

723 IlġconvŪentġdeġ soulŪgnerġqueġlesġdeuxġ ūurŪstesĪġ Ab ġYa‘lā et al-Māwardī, abordent la question de la isba

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et les actes nuisŪblesġaŪnsŪġqu’àġrétablŪrġl’harmonŪeġentreġlesġgensġquŪġseġdŪsputent ; la seconde, saġsurveŪllanceġestġcelleġd’unġhommeġquŪġs’efforceġdeġmettreġenġpratŪqueġceġqu’Ūlġūugeġêtreġ bon724.

Les deux juristes, après avoir abordé le rapport du souverain avec les espaces publics, traitent dans le dernier paragraphe de ladite partie, un thème très important ayant trait au rapport du calife avec les savants et les juristes et de leur enseignement dispensé dans les mosquées.

L’ŪntérêtġdeġcetteġpartŪeġnousġpermetġdeġsaisir non seulement le contexte dans lequel

les deux Aḥkām ontġétéġélaborésġmaŪsġaussŪġlaġconceptŪonġetġlaġvŪsŪonġūurŪdŪqueġd’Ab Ya‘lā

relatives à ses Aḥkām.

L’ŪnterventŪonnŪsmeġduġcalŪfeġdansġlesġmosquéesġconsŪsteġnonġseulementġàġcontrôlerġ lesġdoctrŪnesġenseŪgnéesġmaŪsġaussŪġàġnommerġl’Ūmām dans les mosquées, dans un contexte marquéġparġlaġrésurgenceġdeġl’ŪslamġtradŪtŪonalŪsteġauxġdépensġduġratŪonalŪsmeġexercé par les mu‘tazilites et certains acharites ou hanafites.

C’estġdansġceġcontexteġdeġluttesġthéologŪques et de polémiques entre les différentes écolesġdeġpenséeĪġqu’uneġnouvelleġlectureġdeġlaġrisāla al-qādiriyya a été faite dans le palais califien, sous le calife al-Qā’ŪmĪġenġprésenceġd’uneġassembléeġdeġdocteursġdeġlaġLoŪġdontġAb Ya‘lā725.

Ilġs’agŪtġd’uneġprofessŪonġdeġfoŪġquŪġdéfŪnŪssaŪtġlaġdoctrŪneġoffŪcŪelleĪġconformeġd’aŪlleursġ auxġ Ūdéesġ tradŪtŪonalŪstes.ġ D’ŪnspŪratŪonġ hanbalŪteĪġ enġ d’autresġ termes.ġ LadŪteġ doctrŪneġ condamnait non seulement le chiisme sous toutes ses formes, maŪsġaussŪġleġmu‘tazŪlŪsmeġetġ mêmeġl’acharŪsmeġdontġlesġposŪtŪonsġétaŪentġdénoncéesġcommeġreprésentantġunġdangereuxġ compromŪsġavecġleġmu‘tazŪlŪsme726.

Dans ce contexte, aussi bien al-Māward que le cadi hanbalite soutŪennentġqueġc’estġauġ calŪfeġ qu’Ūncombeġ laġ nomŪnatŪonġ deġ l’Ūmām dans les grandes mosquées et que cette autorŪsatŪonġestġnécessaŪreġpourġexercerġl’Ūmāmat727.

724 Cf. al-Māwardī, A kām, pp. 236-237; cf. Ab Ya‘lā, A kām, p. 210.

725 Sur le contexte politique, voir ici le premier chap. de la première partie. 726 Ibid.

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QuantġauġcontrôleġexercéġparġleġcalŪfeĪġsurġl’enseŪgnementġdoctrŪnalġdŪspenséġdansġlesġ mosquées, les deux juristes affirment : « Quand les partisans des différentes écoles sont à discuter sur des questions à propos desquelles les recherches personnelles (ijtihād) sont permŪsesĪġonġn’aġpasġàġsuscŪterġdesġobstaclesġàġleurġdŪscussŪonġ[…] maŪsġs’ŪlġsurvŪentġquelquesġ

polémistes (munāzi‘)ġ ayantġ déūàġ touchéġ àġ desġ questŪonsġ surġ lesquellesġ lesġ recherchesġ

personnelles ne sont pas toléréesĪġ onġ l’empêcheġ deġ seġ lŪvrerġ àġ celles-ci et elles lui sont interdites […] s’ŪlġpersŪste [...] ŪlġŪncombeġauġcalŪfeġd’employerġlesġmoyensġdeġrépressŪon »728.

Derrière les similitudes conceptuelles précitées entre les deux juristes, concernant la confusion entre le pouvoir politique et religieux, il y a une différence de principe notable entre les deux auteurs.

Contrairement au juriste chafiite, le cadi hanbalite exige du savant ou du juriste nommé par le calife, la connaissance des différents sens du Coran (awjuh al-qur’ān), les chaînes de

transmetteurs authentiques (ṣaḥ ḥa) et la tradition du prophète (sunna).ġEnġl’occurrenceĪġAb

Ya‘lā persiste et signe sur ces principes traditionalistes, comme dans le chapitre de la judicature (voir supra)Īġ dansġ unġ contexteġ marquéġ parġ laġ résurgenceġ deġ l’Ūslamġ traditionaliste729.

Lorsque le cadi hanbalite demande impérativement la connaissance des chaînes de transmetteurs authentiques et de la sunna, par les savants, il fait référence à la science du

hadith (‘ŪḌḍġaḌ-ḥadit).ġC’estġdŪreġl’ŪmportanceġdeġcetteġscŪenceġchezġleġcadŪġhanbalŪte dans son

traŪté.ġIlġs’agŪtġduġprŪncŪpeġmaūeurġquŪġfondeġleġtexteġd’Ab Ya‘lā.

IlġconvŪentġdeġsoulŪgnerġàġcetġégardġqu’Ab Ya‘lā rapporte ces traditions uniquement par des transmetteurs hanbalites ; alors que le juriste chafiite ne cite guère les chaînes de transmetteurs (voir supra).ġ Ilġ s’agŪtġ deġ l’uneġ desġ dŪfférencesġ substantŪellesġ entreġ lesġ deuxġ

Aḥkām.

Aussi le cadi hanbalite met-Ūlġl’accentġsurġlesġconnaŪssancesġfondéesġsurġlaġtransmŪssŪonġ orale pour réfuter non seulement le texte de son rival chafiite mais aussi les courants rationalistes dont les connaissances sont fondées sur une attitude critique et philosophique.

728 Ibid. p. 238; ibid.

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