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L'entraide, les contributions solidaires

L’isolement maternel, la précarité des conditions de vie, sont compensés par un système de solidarité à la fois familial et de voisinage254 qui s’exprime sous forme de temps de travail, de

vivres, d’hébergement. La solidarité255 aux Antilles est historique, même si ses modes d’expression

ont connu des changements ces dernières années. Malgré l’évolution de la famille, son dispersement, ou encore les mutations économiques, les liens de la famille élargie restent forts. En Guadeloupe, les solidarités sont toutes d’origine rurale. L’urbanisation récente a provoqué une interpénétration de la ville et de la campagne, où des valeurs culturelles modernes et exogènes se sont mêlées aux traditions. Les échanges de produits de la terre sont courants et constants, car les liens avec la campagne ne sont jamais rompus (Lanoir L’Etang, 2005). Ces soutiens sont importants car le revenu moyen256 par unité de consommation dont disposent les mères seules est

inférieur d’environ un quart à celui dont disposent les mères qui vivent en couple (Lefaucheur, 1993). Quel que soit le degré de misère, le partage existe, la tradition culturelle de solidarité maintient une protection élémentaire (Attias-Donfut, 1997). Il est culturellement admis que l’on n’abandonne pas quelqu’un dans la détresse. L’entraide familiale repose sur l’obligation qui interdit d’abandonner un proche, même lorsque la pauvreté est telle que chacun est d’abord préoccupé de sa propre survie. Cette solidarité « basique » selon l’expression de Lanoir L’Etang, s’appuie sur l’économie du don et l’économie informelle caractérisées par les liens sociaux de proximité, notamment les produits agricoles qui passent de main en main (Lanoir l’Etang, 2005).

III.1. Une vie de proximité, l’exemple du « lakou »257

En zone rurale ou péri-urbaine, les familles vivent souvent en voisinage en raison de la propriété en indivision des terrains, achetés par les générations précédentes, hérités et partagés.

Fondé au départ sur des liens de parenté, le lakou accueille aussi des gens extérieurs. Lieu de socialisation et de lien social, il s’y échange des biens et des services. La résidence en voisinage

254Un proverbe dit « an ka malè premyé fanmi a-w sé vwazen a-w » (En cas de malheur ta première famille c’est ton

voisin).

255« La solidarité et l’entraide, formes de résistance à la condition d’esclave, ont permis le déploiement d’un

humanisme original, né de la rencontre de nombreux particularismes culturels issus les uns de l’Afrique, les autres d’Europe, et d’Asie » (Lanoir L’Etang L. Réseaux de solidarité dans la Guadeloupe d’hier et d’aujourd’hui, Paris : L’Harmattan, 2005, p.121).

256Revenu disponible par unité de consommation : ensemble des revenus du foyer, diminués des impôts et des

cotisations sociales et divisés par un coefficient dépendant du nombre et de l’âge des personnes composant le foyer.

257Le lakou (la cour en créole) unité sociale composée de cases avec leurs dépendances et les espaces fonctionnels sur

lesquels se regroupent les membres de la famille du premier propriétaire du terrain qui les fait venir. Ce groupement est généralement commandé par la maison paternelle dont il porte le nom (Flagie, 1981 ; Lanoir l’Etang, 2005).

favorise une entraide multiforme. Cette organisation sociale qui existait dans les plantations subsiste en zone urbaine, est une invention de formes d’échanges de proximité, adaptés à la modernité (Lanoir L’Etang, 2005).

Dans le « lakou », la solidarité s’inscrit dans le cadre théorique de l’économie solidaire (Flagie, 1981). Les principaux domaines d’échanges sont non monétaires, en relation avec l’habitat, les aides en travail et en nature, la prise en charge des enfants. Cette solidarité se retrouve également dans des lotissements récents. Les pratiques co-éducatives soulagent les mères ponctuellement, ou durablement si nécessaire. Les liens de voisinage recoupent les liens d’amitié (Lanoir l’Etang, 2005).

III.2. La co-éducation et la circulation des enfants

La solidarité de voisinage se retrouve au sein de la parentèle, particulièrement à l'endroit des enfants. Les membres de la famille et de la parenté sont tous en droit d’exercer une certaine discipline, investis d’une autorité vis-à-vis des enfants. Il se trouve toujours un membre de la famille ou une voisine pour garder un enfant dont la mère doit se rendre disponible, sans contrepartie financière.

Aux Antilles, le « confiage » ou « fosterage »258 des enfants à une autre famille, apparentée ou amie, est courant. Cette pratique contribue à alléger les charges éducatives et économiques. Flexible, gratuite, la circulation résidentielle transpose les solidarités à la famille élargie au gré des occupations et des besoins. Pratique non stigmatisante, rarement officialisée par une adoption simple, elle appartient à une logique solidaire (Attias-Donfut, 1997).

En Guadeloupe, le taux de garde occasionnelle et/ou régulière par les parents des jeunes est très élevé, exercée essentiellement par leurs mères, sans conjoint. Une importante minorité (23%) se substitue aux jeunes parents pour élever ses petits enfants (Attias-Donfut, 1997). Le confiage peut être occasionnel259 ou définitif. Il existe une règle implicite selon laquelle on ne laisse pas un enfant

sans toit, quel que soit son âge, et si modestes soient les conditions d’habitat.

258Le confiage ou fosterage n’implique pas de changement d’identité, ni même souvent de changement de localité

géographique. L’enfant peut être élevé dans la même cour que son parent, par sa grand-mère, ou un frère du père, dans une case distincte. L’opération est réversible.

259C’est aussi une façon d’éloigner un adolescent de fréquentations réprouvées. Le départ se fait vers la métropole où

presque toutes les familles des Antilles y ont des relations, familiales ou amicales. Anna (RV4) et Brigitte (RV1) ont toutes les deux été envoyées en métropole pour les soustraire à leurs relations avec des garçons.

Les faits de circulation d’enfants ont été évoqués de nombreuses fois lors des entretiens menés dans le cadre de cette étude, tant par les adultes que par les jeunes eux-mêmes. Ces confiages peuvent prendre différentes formes :

a) Confiage occasionnel :

Olga (RV15) a pu trouver le soutien d’une voisine pour surveiller les enfants lorsqu’il n’y avait pas école alors qu’elle se rendait à son travail.

b) Confiage à moyen terme :

Rose (RV16) a recueilli l’enfant de son frère, né d’une union de type ami, dès la naissance et jusqu’à l’âge de 7 ans. Puis il a vécu quelques années avec son père, en France métropolitaine, avant d’être confié à sa grand-mère paternelle.

Nathalie (RV11) parle de la personne qu'elle nomme sa deuxième mère : « Cette dame-là je la

connais depuis que j’ai huit mois. C’est une bonne amie de ma maman. Car ma mère n’est pas Guadeloupéenne, elle est Dominicaise et quand elle est arrivée en Guadeloupe, elle avait pas les moyens pour acheter du lait ni… elle a connu Ghislaine qui avait une garderie alors elle me surveillait. Elle l’aidait, et comme ma maman n’avait pas les moyens pour s’occuper de moi. Quand j’avais cinq ans, j’habitais avec une autre dame à P., qui s’est occupée de moi pendant deux ans. Après, ma mère m’a reprise. Quand elle m’a reprise, j’étais tout le temps chez Ghislaine. Jusqu’à ce que sa situation soit bonne, puis je suis retournée avec elle. Et j’ai toujours été avec Ghislaine, je me sens plus proche d’elle, ça passe mieux avec elle qu’avec ma maman. Pour moi c’est comme si c’était elle ma mère. Et moi je lui dois beaucoup… ». Les liens d’attachement

perdurent souvent entre l’enfant confié et la personne qui l’a gardé. Nathalie ajoute « je dis toujours

que Ghislaine c’est ma deuxième mère. On ne peut pas remplacer sa maman, mais c’est ma deuxième mère. J’aime cette dame-là ».

c) Confiage définitif :

Patrick, le troisième enfant de Solange (IM2) est confié dès sa naissance à sa grand-mère paternelle. Solange le reçoit quelquefois, mais il n’a jamais été à sa charge. La mère de Valérie (RV8), lors de son départ en métropole pour trouver un emploi, confie ses deux aînés à sa mère, à qui elle envoie un peu d'argent réinvesti dans l’amélioration de l’habitat.

III.3. La persistance des « kou d'min »

Les pratiques solidaires ne se résument pas au soutien alimentaire et éducatif. Le kou d’min, forme cardinale de l’entraide, continue à se pratiquer au sein des familles, particulièrement pour la construction et l’aménagement des maisons (Attias-Donfut, 1997). Il s’agit d’organisations communautaires, fragmentaires, constituées des voisins et des membres de la maisonnée (Benoît, 1978). Seule et peu argentée, la mère de famille pourra agrandir sa maison, l’aménager, faire préparer un peu de terre pour y cultiver quelques légumes.

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En Guadeloupe, comme les rapports sociaux de sexe sont discriminants envers les femmes et maintiennent les hommes dans des postures d'affirmation de soi, cela se reproduit dans l'éducation exercée par les mères. La notion d'autorité est exigeante, liée au faible niveau d'éducation et aux inégalités de niveau de vie. Aussi l'école est considérée comme très importante pour obtenir ensuite un emploi, particulièrement pour les filles. De même, l'appui sur les solidarités est primordial. En charge du foyer, souvent dans des conditions économiques précaires, les mères isolées peuvent compter sur la solidarité familiale et de voisinage. Les enfants sont témoins de ces pratiques culturelles qui font que l’on n’abandonne pas quelqu’un qui est dans le besoin.

Chapitre 6. LE VÉCU DE LA SEXUALITÉ DES ADOLESCENTS

Au cours de ce chapitre, la sexualité adolescente est abordée telle qu'elle est appréhendée actuellement en société occidentale, puis est mise en perspective avec ce qui est répondu par les jeunes de Guadeloupe à partir d'un questionnaire et d’entretiens collectifs menés auprès d'eux. Cela permet de comprendre la place de la sexualité dans les rapports genrés à l'adolescence, et la façon dont elle est vécue en Guadeloupe afin de révéler comment s'y produisent les conceptions à cet âge de la vie.