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Le concept de matrifocalité et les courants de pensée

III. La maternité adolescente : une entrée contestée dans l'adultéité

III.4. Le concept de matrifocalité et les courants de pensée

Le concept de matrifocalité fait toujours l'objet de débats au sein de la communauté scientifique. La sociologie nie son existence au motif de la dénonciation de l'idéologie raciste, sexiste, bourgeoise,

88Les groupes d’origine indienne et les petits blancs (Martinique) qui connaissent des conditions économiques analogues

à celles où la matrifocalité apparaît présentent une plus grande stabilité des foyers, l’homme y est prépondérant. Il est possible que la définition des fonctions de l’homme et de la femme concorde avec celles de la société dominante, ce qui demanderait à être vérifié ( J. Benoist, 1979 ; R.T. Smith, 1970).

ethnocentrique, qui aurait présidé au façonnement de la notion et des analyses dont elle a fait l’objet (Giraud, 1999).

L’expression « famille matrifocale »89 apparaît en 1956 dans l’étude menée par Raymond Thomas

Smith au Guyana et publiée dans son ouvrage « The negro family in British Guiana ». Le processus de reproduction se focaliserait dans les relations de filiation et de descendance, dans lequel les normes institutionnalisées de l’alliance ne sont pas essentielles, contrairement au lien parental. Toute forme de cohabitation permettant la procréation devient suffisante (présence ponctuelle d’un homme au foyer, relations type « visiting » ou encore ami). Ce sont les femmes en tant que mères qui deviennent focus des relations, que la maison soit conduite ou non par une femme.

Ce terme a ensuite été repris par les chercheurs qui l'ont préféré à matricentral ou « dominé par une

femme » afin d’insister sur la position de la femme qui, en tant que mère, devient un point de

focalisation et de convergence des relations à l’intérieur des maisonnées. La matrifocalité se fonde sur la dyade mère-enfant et sur la force de ce lien (André, 1987). La femme-mère occupe une position centrale. C’est la figure stable autour de laquelle se rassemble la maisonnée. Le lien père- enfant est distendu, voire inexistant. L'attache des enfants à leur mère prévaut sur la liaison au père marginale ou absente (André, 1987 ; Bonniol, 1981).

Certains auteurs (Charbit, 1987, 1981 ; Vallée, 1965) caractérisent les foyers matrifocaux par la résidence sous le même toit de trois générations en lignée maternelle (grand-mère, mère, enfants en bas âges), dans lesquels les partenaires masculins sont inexistants ou ne vivent pas dans le même foyer, et qu'ils visitent occasionnellement. Cette organisation est qualifiée de structurale par Lionel Vallée (1965). Les relations affectives et continues se produisent principalement entre parents consanguins de la lignée maternelle (Charbit et Bertrand, 1985).

Ces ménages dits complexes n'ont jamais traduit une représentativité statistique (Cazenave, 1992). Ils n'ont jamais constitué une norme. L'intérêt qu'ils ont suscité repose sur leur originalité. Mais ils sont toujours restés marginaux. A la fin des années 1990, on dénombrait 20% de ménages dits complexes90 (Cazenave, 1997).

En raison de l’évolution contemporaine des modes de vie liés à l’urbanisation, elle-même à l’origine du déplacement des populations depuis les zones rurales, ces foyers se rencontrent de plus en plus rarement. Ils demeurent statistiquement marginaux.

89Ce terme provient du latin « mater » mère, et de « focus » foyer. 90Contre 6% en métropole (Cazenave, 1997).

La famille matrifocale a également donné lieu à des recherches dans le champ de la psychologie. Dans cette approche, la famille matrifocale serait avant tout une réalité psychique, dans laquelle l’agencement matrifocal prévaut, que le père et la mère soient tous deux présents ou non. L’image maternelle constitue le pôle focal de la structure familiale, habitée par la mère en tant que personne psychique. Focal est le signifiant de la structure, la désignation d’une convergence dont la mère est le pôle attractif. La mère focale serait au principe même du dispositif (André, 1987). Livia Lesel (1995), préfère définir la matrifocalité comme une entité familiale où chaque terme s’aménage d’un point de vue psychologique libidinal autour du pôle maternel. Malgré la prédominance de la mère, la fonction paternelle existe que le père soit ou non physiquement présent.

Ces approches permettent de relativiser la position des tenants d’une maisonnée regroupant la lignée maternelle en l’absence d’un homme, et qui contestent l'existence de ce type d'organisation au motif de sa faible représentativité. Il est important de prendre en compte la prédominance de l’axe maternel vis-à-vis des enfants qui se retrouve dans le modèle matrifocal qui structure fondamentalement les relations intrafamiliales. Dans certains foyers, l’homme ne réside pas en continu auprès de la femme qui partage le toit familial avec ses enfants. Ce type de relation ponctuelle mais continue, définit l’une des modalités de la relation homme/femme qui prend un trait conjugal par sa régularité (André, 1987 ; Smith, 1956 ). Marié ou concubin, l’homme entretient une liaison qui accompagne en parallèle une union légitime. Cela introduit à une autre dimension de l’organisation familiale matrifocale autour de l’instabilité des unions qui a, entre autre conséquence, des naissances de pères différents.

A côté de la matrifocalité structurale, Lionel Vallée (1965) développe le principe d’une matrifocalité fonctionnelle dont l’unité de base consiste en une famille nucléaire. Là encore les pouvoirs, l’autorité, les décisions, l’affectif sont du ressort de la mère, ce qui a pour conséquence un affaiblissement relatif du rôle masculin. Cette option individuelle agit sur le fonctionnement du groupe familial quelle que soit sa structure interne. L’absence de l’homme père-mari n’est pas une condition ou une caractéristique nécessaire de la famille matrifocale fonctionnelle. La matrifocalité fonctionnelle répond à la définition de la famille puisqu’elle apparaît à l’intérieur de la famille nucléaire, qu’il y ait ou non mariage. Elle présente les caractéristiques également suggérées par d’autres auteurs (Bonniol, 1981) :

- Elle est une concentration des forces de fonctionnement dans la lignée maternelle, d’où une marginalité de la lignée paternelle,

- c’est une alternative culturelle, une option individuelle relevant de facteurs sociologiques, culturels et historiques,

- elle ne traduit pas une norme idéale, elle ne fait pas concurrence à la norme établie par la société qui repose sur la famille nucléaire,

- ce n’est pas une forme sociale désirée pour elle-même,

- ce n'est pas une organisation familiale structurellement pathogène.

Que conclure de ces différentes approches du concept de matrifocalité, de sa persistance, de son originalité ? La famille Guadeloupéenne d'organisation matrifocale existe et se perpétue dans sa spécificité autour de la mère « poto mitan »91, expression populaire signifiant que la mère est considérée comme un élément stable et dévoué, définitivement présente à ses enfants, et que toutes les relations transitent par elle. Stephanie Mulot (2013 : 163) définit également « [..] la

matrifocalité comme un mode relationnel – et non comme une structure – déterminant la construction du genre et l'expérience d'une parentalité qui sacralise les mères et disqualifie les pères. Cette dynamique reste marquée par des représentations héritées de la période esclavagiste »92. Cette famille a traversé les siècles. Ce modèle familial a un fonctionnement propre, qui ne peut être superposé à la famille nucléaire qui est idéalisée, et recherchée. Le père-mari y occupe une place qu'il s'agira de mieux comprendre, au côté d’une mère-épouse omniprésente qui « éblouit ». Dans cette position paternelle originale quelles formes revêt la référence au masculin dans la famille afro-américaine lorsqu'elle s'organise autour de la mère ? Qu’est-ce qui est transmis du père et par qui ? Cet aspect fera l’objet d’un plus long développement.