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Des pratiques éducatives rigoureuses et exigeantes

L'application des principes de réputation et de respectabilité imprègne l'éducation, et est guidée par quelques règles. Aussi il est important de voir les pratiques éducatives déployées dans les familles matrifocales, le plus souvent monoparentales, dirigées par la mère247, notamment la soumission des enfants, la difficulté d’expression, l’importance de l’instruction.

II.1. La soumission des enfants

Pour obtenir la soumission des enfants à l’autorité maternelle, l’éducation est coercitive en même temps qu'affective. L'éducation accorde encore une place importante aux châtiments corporels (Lefaucheur et Mulot, 2012). La position de chef de famille de la mère l'oblige à être claire, sinon quelquefois tranchante, et à recourir aux punitions corporelles248 si nécessaire. L’absence du père génère une difficulté dans l’autorité, qui complique la tâche éducative de la mère (Charbit, 1987).

Olga (RV 15), restée célibataire, mère de huit enfants, déclare « J’ai élevé mes enfants et quand je

donnais des ordres c’était moi seule […]. Et jusqu’à maintenant, quand je parle pour eux, ils m’obéissent ». Elle n’hésitait pas à corriger les enfants par « On bon raklé . Je n’ai jamais manqué un cuir chez moi, jusqu’à maintenant j’ai un cuir sur mon armoire. […] Quand je passais la raclée à un enfant c’était pour le faire tenir droit ».

Maria expose son expérience ainsi : « Quand j’avais 15 ans ma maman me donnait des coups. Je

trouvais ça normal ». Puis elle ajoute que le parent doit savoir se limiter, et qu’elle sort traumatisée

de cette expérience, qu’il aurait suffit que sa mère lui parle, « lui explique les choses. Je ne

méritais pas les coups qu’on m’a donnés ».

247Stéphanie Mulot (2000) a montré dans sa recherche qu'en famille matrifocale, les mères se plaignent d'assumer les

fonctions paternelles et maternelles en l'absence des pères du dispositif familial, façon pour elles de se valoriser.

248Lors de l'exercice professionnel d'assistante sociale en établissement scolaire, les descriptions par les élèves des

corrections infligées n'avaient rien de comparable avec certaines violences parentales infligées aux enfants en métropole par leur niveau de gravité.

II. 2. Les paroles circulent peu de la mère à l'enfant

Les adultes s’astreignent à ne pas manifester ouvertement leurs sentiments. Ils sont économes de paroles249, de contacts physiques, sauf avec les très jeunes enfants250 (Attias-Donfut, 1997).

Tendresse ou souplesse équivalent à de la faiblesse. Les enfants doivent savoir « se tenir », « dwet

mem » (se tenir droit, comme le dit Eliette, RV14) dans un microcosme où le regard du voisinage

exerce un contrôle social251. Il est important d’avoir des enfants « bien élevés », d’où la rigueur du dressage éducatif (Migerel, 1987).

Certains jeunes, comme Maria, souffrent d'avoir reçu trop de coups que le peu de manifestations affectives ou de dialogues ne compense pas. Mais malgré leur rudesse, les mères sont pardonnées par la reconnaissance de leur courage, et leur présence, même s'il est attendu un peu plus de compréhension.

Maria l'exprime ainsi : « Mais ma maman elle nous a éduqué, nous a donné à manger, logé. C’est

la seule qu’on a, on n’a pas le choix. […] Quand on crie après les adolescents, on les punit, il faut quand même savoir écouter. Ma maman elle ne fait pas ça. C’est sa maison, ses enfants, elle est à la tête de tout cela ».

II.3. L’importance accordée à l’instruction pour l'entrée dans la vie adulte

Le contexte économique des familles monoparentales rend le quotidien éprouvant. Les mères souhaitent que leurs enfants connaissent une vie moins difficile garantie par des revenus suffisants. Elles croient en l’ascension sociale par l’instruction. Elles n’admettent pas que leurs enfants, particulièrement leurs filles, ne donnent pas la priorité aux études alors qu’elles-mêmes n’ont souvent pas eu cette possibilité. Elles ont pour leurs enfants des espoirs de réussite qu'elles devront souvent confronter à des réalités moins prestigieuses. Alors elles soutiennent l’action de l’école.

249Les mamans ne pensent pas à parler à leur enfant lorsqu’il est petit, elles déclarent « mais c’est un bébé » (Santé 1, Dr

P.).

250Les petits restent longtemps près du corps de leur mère, cherchant le sein sous le corsage (Santé 1, Dr P). Dès trois

ans les enfants sont jugés responsables de leurs actes et à ce titre peuvent être corrigés (interview Mme Migerel).

251Stéphanie Mulot (2000) évoque la place des contraintes imposées au corps, qu'il s'agisse du maintien ou de la vêture,

Olga (RV14) explique : « Avec toute ma malheureusité, je les ai envoyés partout. Avant de partir je

leur disais […] tu vois le cuir est là ! La maîtresse vient pour me dire tu as fait telle chose, c’est avec moi que tu auras affaire » (Olga, RV15).

La réticence aux activités ludiques est marquée face à la revendication parentale permanente de travail ou d’occupation scolaire (Flagie, 1981). Les jeux entre amis ne sont pas autorisés. Mais ces mères ne mesurent pas toujours la distance entre l’enseignement dispensé et les contraintes pour les enfants qui ne trouvent pas dans l'environnement familial les conditions matérielles pour étudier. Il ne peut être consacré un endroit dédié à l'étude, dans ces petites maisons exposées au bruit et à la chaleur, ou ces appartements exigus.

Les mères interrogées sur la scolarité de leurs enfants ont toutes pu préciser le niveau d’études atteint, la qualification obtenue par chacun, alors qu’il est difficile de se repérer dans une institution qu’elles-mêmes ont souvent quittée à l’âge de 14 ans.

L'ambition de réussir est transmise aux jeunes filles. Les entretiens avec les mères adolescentes montrent que le projet scolaire est bien intégré. Elles n’imaginent pas leur avenir sans un travail. Au cours de leur récit, elles ont toutes établi une relation entre une formation qualifiante et l’accès à l’emploi qui leur permettra d’élever leur enfant dans de bonnes condition. Leur grossesse s’étant produite en cours de scolarité, elles tiennent à obtenir un diplôme, soit par un retour au lycée, soit par des stages.

De même, au cours des entretiens menés auprès de groupes de jeunes filles, la plupart insistait sur la nécessité pour la femme d’avoir un emploi afin de ne pas devoir compter sur le compagnon pour assurer le quotidien du foyer, se référant à leur expérience familiale. Pour elles, seule une bonne qualification professionnelle acquise à l’école favorise l’accès à l’emploi.

Lors de la rencontre, Eliette (RV14) revient de nombreuses fois sur la scolarisation de ses enfants252. Elle montre sa volonté d’envoyer à l'école tous ses enfants malgré son coût et les efforts

qu’elle a dû consentir pour leur offrir cette éducation. Elle parle de ses initiatives pour soutenir leur réussite : « J'ai acheté toutes les cyplodies pour les enfants. J’ai acheté "Tout l'univers",

encyclopédie. A ce moment là, ça me coûtait, c'était 4000 et monnaie. Mais tous les mois je fais des ti jobs et au lieu de payer 200 F par mois, je paie 300 F. Pour augmenter. Après j'ai acheté à

France Loisirs encyclopédie, j'ai acheté fables de La Fontaine pour les enfants. J'ai beaucoup de livres ».

Ainsi, par ces pratiques éducatives, les jeunes gens perçoivent la division des genres qui implique la responsabilité maternelle dans la direction du foyer. Être une femme, c’est souvent assumer les enfants face au vide paternel. C’est faire preuve du courage nécessaire pour affronter un quotidien précaire. C’est enfin être une femme respectable et le donner à voir.

Mais le discours ne s’accorde pas toujours avec les actes. En effet, la mère est porte-parole d’une loi qui n’est pas sienne. Son comportement, ses actes, sa vie sont en contradiction avec les interdits qu’elle énonce. Elle encourage à la réussite sociale mais ne parle que le créole. Elle invite à une respectabilité qu’elle-même ne peut afficher. Elle ne peut être convaincante dans sa position ambiguë vis-à-vis de la loi (Ducosson, 1981). « Ces paroles d’obéissance, de mise en garde,

d’ordre, sont claironnées par des mères dont toute la vie est à l’inverse du modèle déployé en exemple de bonne vie » (Ducosson, 2005 : 65)253.

Cela ne les empêche pas d’élever leurs enfants dans la religion catholique, ou selon les préceptes d’églises sectaires. « Alors que la religion réprouve les naissances illégitimes, la mère célibataire

va à l’église, et adore Dieu . Elle ne se sent pas en contradiction puisque la naissance c’est la vie »

(Migerel , 2004).

Olga (RV15) a donné à tous ses enfants une instruction religieuse, les emmenant à la messe chaque dimanche. Des prières étaient récitées quotidiennement. Les enfants de Rose (RV16) ont également été élevés dans la religion catholique : « Je les ai élevés comme moi aussi [j'ai été élevée], car je

suis catholique. Ils sont baptisés, confirmés, renoncés. Je marchais avec les enfants à l’église, j’ai emmené mes cinq enfants vers le Bon Dieu. Personne ne pouvait dire "maman je suis grand, je veux faire ça". Personne n’est grand ! c’est moi qui vous donne à manger ! » (Rose, RV16).