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Les approches scientifiques

Les grossesses adolescentes sont constatables dans de nombreux pays. Cette problématique rencontre l'intérêt de chercheurs issus de différentes disciplines scientifiques. Il est nécessaire d'identifier ces disciplines et de voir comment chacune l'aborde.

III.1. L'évolution du discours médical

Depuis longtemps la maternité a fait l'objet d'une attention soutenue de la part du corps médical en raison des risques auxquels sont exposés la mère et l'enfant. La littérature médicale a largement

abordé l'analyse obstétricale des grossesses adolescentes29. La prise en charge de la grossesse s'est

progressivement médicalisée, elle fait l'objet d'un suivi, et l'enfantement se déroule en milieu

28Les pays scandinaves globalement plus permissifs en ce qui concerne la sexualité des mineurs (Daguerre, Nativel,

2004), présentent un faible taux de grossesses précoces. L’attitude libérale de la société , la qualité de l’éducation sexuelle dispensée, l’accès facilité aux contraceptions et à l’IVG, agissent favorablement sur les taux de fécondité (Ros, 2000 ; Cloutier, 2003).

hospitalier le plus souvent. Aussi, les études les plus nombreuses concernant la maternité adolescente relèvent du champ médical. Mais le regard porté a évolué au cours du temps. Jusqu’à la fin 1990, les publications concernant les mères adolescentes et leurs enfants faisaient état de conséquences funestes. Le corps médical exhortait à éradiquer ces grossesses perçues comme dangereuses. C'est un tableau alarmiste qui était dressé, quoique prudent dans sa formulation. En effet, c’est plus de risques supposés dont il était fait état que de conséquences avérées, vérifiées par des études documentées. Il était dit que l’enfant pouvait présenter un moins bon développement cognitif, un moins bon niveau d’études. Il risquait de présenter des problèmes comportementaux durant l’enfance, de se livrer à des activités criminelles plus fréquentes. Concernant la jeune mère il était mentionné des risques de symptômes dépressifs, d’infanticides, de mortalité maternelle périnatale. Concernant le bébé, étaient évoqués un petit poids de naissance, une prématurité, un risque de mortalité infantile, de retard de développement en lien avec les carences en soins (Aujoulat, Libion et al, 2007 ; Galland, Terrise, 2000).

Progressivement des études biologiques ont cherché à vérifier ces affirmations en interrogeant la corrélation entre l’âge de la mère et la survenue de pathologies. Le croisement d'une population témoin de jeunes femmes accouchant d’un premier enfant à un âge considéré comme normal à une population d’adolescentes, n’a pas permis d’affirmer que les facteurs de risques étaient accrus en cas de grossesse précoce (Charlotte Le Van, 1998 ; Lordier-Brault, 1990). D'autres études ont pu établir l’absence d’un risque particulier lié à la grossesse précoce ou à l’accouchement. L'enquête menée en Guadeloupe (Levy et al, 1992) parvient aux mêmes conclusions tout en observant une

précocité physiologique pubertaire des jeunes mères30.

Il est à présent admis que, à niveau socio-économique égal, lorsque la grossesse précoce bénéficie

d’un suivi régulier31, elle présente le même pronostic que pour les mères plus âgées (Daguerre et

Nativel, 2004 ; Trémentin, 2003 ; Alvin, 2000 ; Levy et al, 1992).

Si la survenue de pathologies intéressant les grossesses adolescentes ne peut être contestée, elles ne leur sont pas spécifiques. L'âge n'est pas seul en cause. La plus grande vulnérabilité provient d’un manque de suivi, ou d'un suivi tardif avant et pendant la grossesse, expliqué par l’origine socioculturelle des jeunes filles, souvent issues d'un milieu défavorisé (Daguerre et Nativel, 2004 ; Trémentin, 2003). Fréquemment, les jeunes filles enceintes tardent à se faire suivre médicalement,

301/3 a eu ses règles avant 12 ans, contre 9% du groupe témoin.

31En France, environ 12% des grossesses adolescentes sont déclarées tardivement. 25 à 40% des adolescentes ne

comme cela a pu être constaté lors de cette recherche. La raison est souvent en relation avec la clandestinité de la grossesse qui conduit les jeunes filles à des révélations tardives, liées aux craintes

des réactions de l'entourage, au jugement, au déni, à l’absence de symptômes… ( Cloutier, 2003)32.

Le Dr. Lewin déclare dès 1987 que grossesse et jeune âge ne sont pas synonymes de « catastrophe

biologique »33. Le problème des adolescentes n'est presque plus médical, mais moral et social, c'est-

à-dire culturel. Dans la plupart des cultures traditionnelles préoccupées par la fertilité ou l’aptitude à

la procréation, les jeunes filles donnent naissance à leur premier enfant à partir de 15 ans (Chapelier, 2001).

III.2. L’énonciation d’une immaturité psychique

Cette représentation médicale alarmiste des maternités adolescentes reste ancrée dans les esprits. La maternité adolescente continue à être perçue comme une difficulté quand elle survient dans le parcours de vie adolescent. Si les préoccupations du corps médical se portent moins sur le risque biologique, les professionnels adhèrent au consensus socioculturel dominant, présent dans la littérature, qui conforte une contre-indication morale par l’argument d’un danger grave pour l’enfant (Alvin, 2000). Psychologues et psychiatres joignent leurs voix pour discuter la légitimité sociale de ces grossesses adolescentes.

En France métropolitaine comme en Guadeloupe, les craintes s’orientent sur le devenir de la jeune mère et son enfant, sur leur évolution en raison des fragilités psychiques attribuées à la période adolescente. La grossesse est considérée comme un enjeu médico-social par la complexité du suivi qu’elle nécessite, et comme un enjeu psychologique par la menace sur l’épanouissement affectif qui caractérise l’adolescente (Marcelli, Alvin, 2000). Il ressort des publications une inadéquation entre l’être adolescent et la parentalité, au motif que le sujet se construit en tant que personne à cette période, par remaniement identitaire fondamental, dans un contexte de changements cruciaux. La grossesse à ce moment là du parcours de vie, constituerait une menace potentielle pour l’adolescence, et le travail psychique qui permet au sujet de s’établir dans sa subjectivité et dans son corps (Marcelli, Alvin, 2000). Ignacio Melo (2006) compare la grossesse adolescente à une crise en raison de l'irruption d'un fragment du réel dans le processus d'adolescence qui contraint la jeune fille à une réorganisation de sa vie psychique.

3210% des adolescentes cachent leur grossesse jusqu’à l’accouchement.

Malgré l'analyse de ces incompatibilités décriées entre la construction de l'être adolescent et l'accès à la parentalité, des grossesses surviennent. La parentalité précoce, subie, voulue consciemment ou non, relèverait de processus psychologiques inhérents à l’adolescente ou à son histoire. Marcelli (2000) retient trois niveaux d’interprétation à la logique de l’inconscient dans laquelle s’inscrit la grossesse : la vérification de l’intégrité du corps et des organes de reproduction ; l’enfant comme comblement des carences de l’enfance ; la prise de risque, quasi conduite ordalique, afin de mettre son corps en danger. Dans cette approche, adolescence et maternité sont conçues comme deux formes de crise identitaire, dont la rencontre peut provoquer une collusion conflictuelle, deux moments de nouveauté absolue qui par définition n’ont pu être expérimentés jusqu’alors (Konicheckis, 2006). La crise normale d’adolescence, qui suppose une lutte conjointe entre des exigences biologiques et psychologiques, se superpose à la crise normale de la grossesse (Ponce de León, 2012). La simultanéité de ces deux moments est comparable à un court-circuit, celui du passage de l’adolescence au statut de mère, conféré par anticipation (Fourment-Aptekman, 2007). Dans ce contexte de grand désordre, l’adolescente va devoir affronter le double défi de devenir parent tout en devenant adulte. Satisfaire les besoins de son enfant en même temps que les siens représente une performance hors du commun (Charbonneau, 2006). Ce défi s'opère sur fond de tension psychique. Pour plusieurs auteurs, par la grossesse, l’adolescente « met à mal » son enfance, la tue, « attaque » sa mère avec qui elle a eu souvent de mauvaises relations dans l’enfance (Trémentin , 2003 ; Marcelli, 2000 ; Guy 1990).

Ces études associent la parentalité précoce à des traumatismes de l’enfance, dans un milieu carencé au plan éducatif et affectif, qui engage particulièrement la mère de l’adolescente. L’enfant est supposé tout combler, tout réparer, compenser des angoisses dépressives, une sensation d’abandon, des violences, des négligences (Salin, 2004). La mésentente familiale, les conflits, perturberaient certaines enfances qui reconduisent les échecs : social, parental, conjugal (Pourchez, et Dupe, 2011 ; Nuissier, 1999). Ces analyses montrent combien les grossesses précoces ne peuvent être rapportées à la spécificité supposée de l’adolescence, à une classe d’âge présumée univoque dans ses pratiques sociales et ses dispositions psychiques. Il n’existe pas une pratique sociale adolescente identique, dont participeraient tous les jeunes (Le Van,1998).

Ainsi, les recherches concernant les maternités adolescentes dans nos sociétés contemporaines, ont pris acte qu'il n'existe pas de risques spécifiques médicaux à donner naissance à un âge précoce. Par contre la question continue à faire débat parmi les chercheurs en psychologie de l'adolescent. Cette période de développement majeure parait incompatible avec la responsabilité d'un enfant. Pourtant,

la mise en perspective des bouleversements psychiques qui surviennent à l'adolescence avec la