• Aucun résultat trouvé

RESOLUTION DU PROBLEME COUPLE DANS LE DOMAINE TEMPOREL

IV. D.2. Enrichissements des aigus

Comme les termes non-linéaires sont nourris par les interactions entre les ondes de compression et de flexion animant la corde, leur présence est d’autant plus marquée pour les notes dont le contenu spectral est riche. Il est alors évident que les notes basses sont toutes indiquées pour mettre en évidence l’influence de ces termes alors qu’elle serait fortement limitée voir inexistante sur les notes aigües. De ce fait, nous laisserons dorénavant à l’écart les notes du chevalet médium-aigus pour nous concentrer exclusivement sur la note de Do0# dont le fondamental est à 38,9 Hz. A la différence des cordes étudiées jusqu’ici, composées de cordes pleines en triplets (Figure IV–14–a), le Do0# est produit par une seule corde qui plus est filée (Figure IV–14–b). Le filage de la corde pose donc problème puisque les comportements ainsi que les matériaux de l’âme et de la gaine sont différents.

Figure IV–14 : Photographies des deux configurations de cordes présentes sur la table d’harmonie Pleyel P131. a) Triplets de cordes non filées présentes sur l’ensemble du chevalet médium-aigus ; b) Mono-cordes de basses non filées.

Le filage est une caractéristique inhérente aux cordes de basse. Cette particularité permet d’alourdir la corde afin d’atteindre les notes les plus graves, tout en limitant l’inharmonicité [Chab12]. En outre, la technique de filage permet de laisser les spires légèrement espacées de façon à augmenter la masse linéique de la corde sans la raidir outre mesure [Chab12, Conk96b]. D’après les mêmes auteurs, « une corde massive en acier de même masse linéique se comporterait comme une poutre et l’inharmonicité serait très désagréable ». Enfin, la gaine n’allant pas jusqu’aux extrémités, les conditions aux limites restent les mêmes que pour une corde non filée.

Il est alors nécessaire de déterminer les paramètres équivalents afin d’alimenter le modèle qui considère une corde homogène et uniforme. Chabassier [Chab12] passe en revue différentes stratégies permettant de retrouver ces paramètres équivalents. Celle qui est retenue se base sur une remise en cause des mesures de diamètres. Dans cette méthode, la connaissance de la fréquence de l’onde longitudinale et de la longueur vibrante permet de calculer successivement la masse volumique équivalente, le diamètre équivalent ainsi que la tension de la corde. Nous reprendrons par la suite ces paramètres équivalents déterminés pour la corde de Do0#. Les connaissant, nous nous intéressons à l’influence des termes non-linéaires sur cette note. Pour chaque simulation, l’effort injecté dans la corde est une porte d’une durée de 1ms et d’amplitude 80 Newton de manière à solliciter efficacement les aigus. Cette table d’harmonie simplifiée ne disposant pas de chevalet des basses, le positionnement du point de couplage cordes / table est ici imposé de façon arbitraire au milieu de la table dans la direction (voir Figure IV–5). Le pas de temps est le même dans les deux cas12.

Le son produit par le modèle linéaire est insuffisant en terme de réalisme et de détail dans le son. L’attaque particulière des notes basses n’est évidemment pas présente, puisque le calcul est linéaire, mais l’équilibre basses/medium/aigus est acceptable du point de vue perceptif comme le montre le spectrogramme de la pression rayonnée par cette note Figure IV–15–a. En incluant les non-linéarités, on retrouve bien une attaque clairement différente dans le son perçu. A l’inverse du calcul linéaire, le son semble assurément trop riche en aigus et on entend le meuble de manière flagrante. Bien évidement ce défaut peut être imputé directement à l’effort injecté qui n’est pas réaliste mais ce n’est cependant pas le but recherché ici. Un résultat en soit est l’enrichissement des aigus et, plus timidement, un appauvrissement des basses fréquences par l’action des non-linéarités, visibles sur le spectrogramme de la pression rayonnée Figure IV–15–b.

Figure IV–15 : Comparaison des spectrogrammes de pression rayonnée en face de la table à 1,5m par une note de Do0#. a) Calcul linéaire ; b) Calcul intégrant les non-linéarité géométrique de la corde.

Tel que nous les avons considérées, les non-linéarités sont des efforts qui excitent la corde et dont l’importance décroit à mesure que l’amplitude des ondes diminue. Ainsi, une interprétation physique de l’enrichissement des aigus est l’injection dans la corde sur des durées très courtes, d’efforts ponctuels (ou quasi-ponctuels) par le couplage entre les ondes transversales et longitudinales. Cette hypothèse se confirme en analysant la répartition spatiale de ces efforts le long de la corde à chaque pas de temps. On montre alors que les non-linéarités génèrent deux efforts qui se déplacent à la même vitesse le long de la corde. A l’instant où le marteau frappe la corde, les efforts induits par les non-linéarités sont localisés en point d’impact du marteau (Figure IV–16). Puis ces efforts se déplacent tels deux fronts d’ondes dans des directions opposées (Figure IV–17). Lorsque l’un d’eux rencontre un obstacle, comme un point d’attache de la corde (Figure IV–18) où encore le chevalet (Figure IV–19), on constate que ces efforts prennent de l’amplitude de façon significative, avant de se re-déplacer dans la direction opposée. Il en résulte alors des interférences positives lorsque les deux fronts se rejoignent (Figure IV–20). De plus, les efforts de traction / compression sont d’un ordre de grandeur bien plus important que les transversaux et ni l’un ni l’autre ne pénètre dans la longueur morte de la corde13.

13 Pour voir l’évolution des non-linéarités dans la corde, une vidéo est disponible en cliquant ici où à l’url suivante http://bentrevisan.wixsite.com/vibrasound/media.

Figure IV–16 : Efforts transversaux en haut et longitudinaux en bas dus aux non-linéarités géométriques dans la corde : début du contact marteau / corde.

Figure IV–17 : Efforts transversaux en haut et longitudinaux en bas dus aux non-linéarités géométriques dans la corde : déplacements tel des fronts d’ondes dans deux directions opposées.

Figure IV–18 : Efforts transversaux en haut et longitudinaux en bas dus aux non-linéarités géométriques dans la corde :

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2

−0.5 0 0.5

Efforts appliqués par les non−linéarités transversales

A m p li tud e [N] Axe de la corde [m] 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −200 −100 0 100 200

Efforts appliqués par les non−linéarités longitudinales

Am p li tu de [N ] Axe de la corde [m] t=3.0769e−05 s 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −200 −100 0 100 200

Efforts appliqués par les non−linéarités transversales

A m p li tud e [N] Axe de la corde [m] 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −1 −0.5 0 0.5 1

x 104 Efforts appliqués par les non−linéarités longitudinales

Am p li tu de [N ] Axe de la corde [m] t=0.0018154 s 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −200 −100 0 100 200

Efforts appliqués par les non−linéarités transversales

A m p li tud e [N] Axe de la corde [m] 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −1 0 1

x 104 Efforts appliqués par les non−linéarités longitudinales

Am p li tu de [N ] Axe de la corde [m] t=0.0019692 s

Figure IV–19 : Efforts transversaux en haut et longitudinaux en bas dus aux non-linéarités géométriques dans la corde : instant du contact avec le chevalet de la corde en , les amplitudes sont maximales.

Figure IV–20 : Efforts transversaux en haut et longitudinaux en bas dus aux non-linéarités géométriques dans la corde : les deux fronts d’efforts se déplaçant dans des directions opposées se rejoignent, des interférences globalement positives se produisent donnant de l’amplitude aux efforts.

La répartition spatiale de ces efforts est également très intéressante puisqu’elle corrobore notre hypothèse. On constate en effet que les efforts induits par les non-linéarités sont spatialement locaux, qu’ils se déplacent et qu’ils sont courts, assimilables à des injections au marteau de choc sur la corde.

Au delà de l’aspect réaliste qui dépend fortement de l’effort injecté dans la corde par le marteau, cette comparaison entre les modèles linéaires et non-linéaires démontre l’importance de ces termes sur le contenu spectral des notes jouées. En outre, cette vision en efforts produits par les non-linéarités explique comment il est possible d’alerter des fréquences hautes, allant jusqu’à plus de 10 kHz, avec des temps de contact marteau / corde relativement longs.

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2

−500 0 500

Efforts appliqués par les non−linéarités transversales

A m p li tud e [N] Axe de la corde [m] 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −2 −1 0 1 2

x 104 Efforts appliqués par les non−linéarités longitudinales

Am p li tu de [N ] Axe de la corde [m] t=0.011815 s 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −500 0 500

Efforts appliqués par les non−linéarités transversales

A m p li tud e [N] Axe de la corde [m] 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 −1 0 1

x 104 Efforts appliqués par les non−linéarités longitudinales

Am p li tu de [N ] Axe de la corde [m] t=0.012831 s

Conclusion

La résolution des équations couplées cordes / table d’harmonie dans le domaine temporel nous a permis d’adopter un nouveau point de vue pour apporter des éléments de réponses aux questions d’ordre musical. L’intérêt de ce calcul réside dans la possibilité d’estimer l’influence de modifications structurelles sur le son perçu en sus des indicateurs purement scientifiques.

Ce chapitre a permis de mettre en évidence que l’interaction entre les sous-systèmes est prépondérante et que l’étude de la table d’harmonie à elle seule rend l’interprétation des phénomènes difficile à extrapoler dans une situation réelle. Le rôle de la table étant d’amplifier le son de la corde, il est impératif de tenir compte au minimum de ces deux systèmes afin d’appréhender le problème de manière plus globale.

En outre, le son produit découle principalement de la corde avec tout de même une légère participation de la table d’harmonie dans le contenu spectral. Cette participation reste cependant peu perceptible étant donné les matériaux utilisés et il faut descendre jusqu’à des amortissements relativement faibles pour entendre de manière audible. En effet, il apparaît que l’amortissement de la table d’harmonie contrôle en première approximation la présence ou non des modes de table dans le sceptre d’écoute et seulement au second ordre la durée des partiels de la corde. La tendance générale valide que plus l’amortissement est important, moins la note ne dure sans pour autant que cette règle ne soit systématique.

L’étude menée sur l’influence des longueurs mortes soulève également des questionnements puisqu’il apparaît que des partiels peuvent disparaître sous l’action du couplage avec la table. Cette constatation doit bien entendu être confirmée mais ce phénomène est susceptible de participer aux problèmes de rayonnement dans l’extrême aigu où les notes ont un contenu spectral pauvre.

Pour clore ce chapitre, l’influence des non-linéarités permet d’apporter de l’énergie dans les aigus et ainsi enrichir considérablement le contenu spectral des notes jouées. Ce phénomène a été interprété en considérant les termes non-linéaires comme des efforts qui excitent la corde au cours du temps. De nos constatations, il ressort que ces efforts sont quasi-ponctuels, de durées très courtes et se déplacent le long des cordes.