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Une enquête auprès de personnes en situation de handicap vivant à domicile

Chapitre I. Etre pris dans le corps de l’autre

1. Une recherche articulée autour de 22 portraits

1.1. Une enquête auprès de personnes en situation de handicap vivant à domicile

Une première enquête a été mise en place auprès de 8 personnes vivant à domicile : 5 hommes et 3 femmes, âgés entre 23 et 43 ans. Les personnes ont des incapacités motrices lourdes

65 8 personnes en situation de handicap ont été accompagnées lors de la première enquête, 10 lors de la seconde et 8 lors de la troisième. Toutefois, 4 des personnes interrogées lors de la première enquête furent également

d'origines diverses. Quatre personnes sont porteuses d'une pathologie neurologique évolutive. Une personne est en situation de handicap suite à un accident. Deux personnes connaissent des incapacités motrices consécutives à une infirmité motrice cérébrale. Enfin, une personne présente une pathologie non évolutive non identifiée. Les 8 personnes vivent en milieu ordinaire, dans des contextes familiaux variés.

Ce terrain fut effectué en deux temps : au démarrage du projet de recherche (septembre 2008 à septembre 2009) auprès de 4 premiers informateurs, puis au terme des deux autres terrains d'enquête (janvier 2010 à juillet 2010) auprès de 4 autres personnes. La réalisation de ce terrain en deux étapes, en autorisant une prise de distance avec le travail amorcé avec les premiers informateurs, a permis de faire évoluer et d'enrichir l'enquête. Celle-ci a croisé différents types de données:

des séquences vidéos ayant pour objet une activité du quotidien réalisée par la personne

en situation de handicap et effectuée en présence de tiers (kinésithérapeute, infirmier, auxiliaire de vie, aide-ménagère, aidant familial...)

des entretiens de face à face filmés avec l’informateur sur un thème relatif au corps, aux

aides techniques ou à l’environnement. L’enregistrement vidéo a alors eu pour but d’articuler le discours de la personne avec la réalité décrite.

des observations ethnographiques

des entretiens de recherche semi-directifs

des entretiens de rétroaction portant sur les séquences vidéo précédemment réalisées

Le matériau disponible se compose de 52 séquences d'observation, de vidéos ou d'entretiens, d'une durée variant entre 30 minutes et 2h30. Soit un total de 73 heures réparties de la manière suivante: 11heures d'entretien de négociation, 62heures d'entretien ou d'observation dont 32 heures d'enregistrement vidéo.

Un dispositif filmique comme outil de terrain

C’est un questionnement initial autour des modalités d’enquête possibles pour accéder à des

observations et à un échange possible autour de thèmes sensibles, tels que le corps, qui a

conduit à définir un protocole de recherche s’appuyant en partie sur l’image.

En effet, le sujet même de la recherche conduit inévitablement à aborder des thématiques

les entretiens de recherche ne basculent pour autant dans une forme « d’auto-analyse

assistée » dont Bourdieu pointe le risque toujours possible66.

Par ailleurs, l’objectif fut également d’introduire une distance que je juge nécessaire avec des

habitudes d'entretien solidement ancrées dans mon exercice professionnel de travailleur

social. L’entretien de recherche en sciences humaines et l’entretien d’aide en travail social ont

des origines communes, notamment avec le case-work défini par Carl Rogers67. Ils

comportent les mêmes références à la non-directivité et à des techniques visant à favoriser le

discours de l’individu. Carl Rogers justifie et argumente lui-même ce transfert de la méthode de l'entretien non directif du domaine thérapeutique (avec pour origine la clinique psychanalytique freudienne) au domaine de la recherche. Celui-ci demeure encore un modèle

de pratique professionnelle dans la formation des travailleurs sociaux68. Si la même

qualification d'entretien non directif se retrouve donc à la fois dans le travail social et la recherche, des différences fondamentales existent entre ces deux modes d'utilisation. D'un côté, dans l'entretien thérapeutique, il y a une demande d'aide de la personne et de

changement. Tandis que de l’autre, c’est avant tout le chercheur qui est en demande

d’information.

Malgré ces distinctions, opter pour des modalités de recherche résolument différentes de

l’entretien classique m’a permis d’éviter des confusions possibles entre les positions de

travailleur social et de chercheur. Cette prise de distance fut d’autant plus nécessaire que

j’avais déjà côtoyé certains des informateurs plusieurs années en amont, dans le cadre de mon

exercice d’assistante sociale. Or, si cette situation facilitait les contacts, elle pouvait également présenter des limites.

Cette recherche d’un tiers médiateur dans le face à face avec l’autre, et la volonté d’investir

une posture d’enquête distincte de ma place de travailleur social, furent donc à l’origine d’une

réflexion épistémologique autour d’un usage possible de l’image dans le processus de recherche.

Selon Marc Henri Piault, on peut différencier dans la recherche deux modes d’utilisation de l’image : une anthropologie de l’image ou une anthropologie par l’image69

. Dans la première,

66 P. Bourdieu, « Introduction à la socioanalyse », Actes de la recherche en Sciences Sociales, 90, 1991.

67 C.Rogers, La relation d’aide et la psychothérapie, Paris 1996 ESF éditeur 11e édition ; A. Blanchet, L'entretien dans les sciences sociales, Dunod, Paris, 1985

68 C. de Robertis, Méthodologie de l'intervention en travail social : l'aide à la personne, Ed. Bayard Centurion, 2007

69

M-H. Piault, Anthropologie et Cinéma. Passage à l’image, passage par l’image, Paris, éd. Nathan Cinéma, 2000

l’image n’est qu’un outil d’observation et un support à l’analyse. C’est le regard porté par le

chercheur sur les images produites avec les personnes qui est anthropologique. A l’inverse,

dans une anthropologie par l’image, le chercheur réalise une production filmique. Les images

deviennent en elles-mêmes anthropologiques et véhiculent directement un discours

anthropologique. Dans ce cas, les questions relatives au montage, à l’orchestration des images, aux modalités des plans et des séquences priment. Si l’on reprend cette distinction,

l’utilisation qui a été faite de la caméra dans cette recherche s’inscrit dans le champ d’une

anthropologie dite de l’image. Simple moyen d’exploration, les images filmées prirent sens

lors de la phase de terrain, sans perspective finale d’une production filmée.

Selon une liste non exhaustive, les séquences filmées ont porté sur des activités de loisir (foot-fauteuil, cours de danse adapté...), associatives ou militantes, les soins ou interventions

liés à l’entretien du corps (séance de kinésithérapie, d’ostéopathie, intervention de l’infirmier, de l’auxiliaire de vie autour de l’aide aux transferts, à l’habillage, à la toilette, l’installation au fauteuil, l’entretien et les soins autour de l’appareil respiratoire ou de la trachéotomie), les actes de la vie quotidienne (les temps du repas, les déplacements extérieurs, l’utilisation des

différentes aides-techniques, les tâches ménagères), les entretiens d’embauche d’auxiliaire de

vie...

Cette première enquête devait initialement s’articuler essentiellement autour de la réalisation de ces séquences vidéo. Or, l'avancée du travail de terrain a permis de s'approprier cet outil en faisant émerger l'importance de la contextualisation des séquences filmées. Ce qui se passe avant ou après les enregistrements, ou encore les motivations qui ont conduit les personnes à

accepter de filmer certaines scènes de leur quotidien ont tout autant d’importance que le

contenu des images réalisées. Ainsi, chacune des séquences filmées ne prend sens dans

l’analyse qu’en la replaçant à la fois par rapport au champ et au hors champ, par rapport à

l’ensemble du temps de présence du chercheur et enfin par rapport à la durée du travail

ethnographique réalisé.

Cette approche expérimentale de la vidéo est également passée par une interrogation autour

des limites du recours à la caméra. J’ai ainsi peu à peu appris à questionner la pertinence ou

non de son utilisation. L'image filmée a donc progressivement pris une place différente de celle envisagée au départ. Elle est devenue un outil de terrain parmi d'autres, en articulation

avec les outils plus classiques que sont l'entretien et l'observation. Dans ce contexte, l’image

favorables à une démarche ethnographique et des rencontres régulières avec les informateurs.

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