• Aucun résultat trouvé

Les formes d’engagement sont multiples, de la participation à quelques réunions publiques à l’animation d’activités envers les enfants dans le cadre du programme

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 120-124)

Emthonjeni. Pour certains, c’est une opportunité comme une autre de se former et l’espoir d’une

rémunération. Pour d’autres, la collaboration avec VPUU est une pierre de plus dans leur

militantisme et leurs luttes quotidiennes pour faire de leur lieu de résidence, un lieu de vie.

C O N C L U S I O N

Le régime de l’apartheid, par sa détermination à fragmenter physiquement et socialement la population, a profondément marqué l’Afrique du Sud. Les populations non- blanches, et en particulier les Noirs, ont été ségréguées et stigmatisées pendant des décennies. Rejetés de la ville (et de la société en général), des « zones » d’habitat leur ont été construites en périphérie - les townships. L’exclusion spatiale n’est pourtant pas suffisante aux yeux des dirigeants du régime suprémaciste, d’où la création d’homelands, les bantoustans, où les Noirs sont privés de leur nationalité sud-africaine et livrés à une fausse autonomie dans des espaces ruraux sous-équipés. Le régime fut d’ailleurs défini par l’ONU comme crime contre l’humanité, auquel Jacques Lévy a ajouté le qualificatif de crime contre l’urbanité (Houssay-Holzschuch, 2013). De cette injustice et ce déni d’urbanité sont nées les premières formes de luttes anti-160

apartheid dans les townships, devenus symboles de la vie urbaine Noire. La fin de l’apartheid signe la victoire du combat idéologique et de l’arrivée au pouvoir de l’ANC. L’élection de Nelson Mandela, figure phare de la libération, est alors porteuse d’espoirs pour les millions de sud- africains opprimés par l’apartheid ; l’espoir de bâtir une société déracialisée, plus juste et des villes inclusives.

23 ans plus tard, le constat est plutôt amer : si de nombreux progrès ont été faits, notamment pour aider les plus démunis, la société sud-africaine est toujours aussi racialement divisée et les inégalités socio-économiques se sont davantage creusées, conséquences de la politique libérale des gouvernements post-apartheid (Seekings et Nattrass, 2005 ; Gibson, 2011 ; Harvey, 2000 ; cités dans Morange, 2011). L’inertie des mécanismes socio-économiques favorise également le maintien des hiérarchies de l’apartheid : les Blancs ont gardé un capital économique élevé , disposent des emplois les mieux qualifiés et vivent dans des quartiers-161

citadelles sécurisés (Marcuse, 2009) ; les Noirs vivent pour la plupart dans des townships ou des bidonvilles. Une partie infime d’entre eux appartient désormais à l’élite noire bâtie par le Black Economic Empowerment, tandis que la classe moyenne noire se développe petit à petit.

Luttes non militaires, n’oublions pas que les populations Noires se sont confrontés aux armées coloniales

160

néerlandaises et britanniques lors des Guerres cafres (1779-1879), dont la célèbre de bataille d’Isandhlwana, l’une des plus grandes défaites coloniales britanniques.

Tous les Blancs ne sont pas aisés, on peut en voir certains mendier ou vivre dans des maisons précaires - dans des

161

C O N C L U S I O N

Le régime de l’apartheid, par sa détermination à fragmenter physiquement et socialement la population, a profondément marqué l’Afrique du Sud. Les populations non- blanches, et en particulier les Noirs, ont été ségréguées et stigmatisées pendant des décennies. Rejetés de la ville (et de la société en général), des « zones » d’habitat leur ont été construites en périphérie - les townships. L’exclusion spatiale n’est pourtant pas suffisante aux yeux des dirigeants du régime suprémaciste, d’où la création d’homelands, les bantoustans, où les Noirs sont privés de leur nationalité sud-africaine et livrés à une fausse autonomie dans des espaces ruraux sous-équipés. Le régime fut d’ailleurs défini par l’ONU comme crime contre l’humanité, auquel Jacques Lévy a ajouté le qualificatif de crime contre l’urbanité (Houssay-Holzschuch, 2013). De cette injustice et ce déni d’urbanité sont nées les premières formes de luttes anti-160

apartheid dans les townships, devenus symboles de la vie urbaine Noire. La fin de l’apartheid signe la victoire du combat idéologique et de l’arrivée au pouvoir de l’ANC. L’élection de Nelson Mandela, figure phare de la libération, est alors porteuse d’espoirs pour les millions de sud- africains opprimés par l’apartheid ; l’espoir de bâtir une société déracialisée, plus juste et des villes inclusives.

23 ans plus tard, le constat est plutôt amer : si de nombreux progrès ont été faits, notamment pour aider les plus démunis, la société sud-africaine est toujours aussi racialement divisée et les inégalités socio-économiques se sont davantage creusées, conséquences de la politique libérale des gouvernements post-apartheid (Seekings et Nattrass, 2005 ; Gibson, 2011 ; Harvey, 2000 ; cités dans Morange, 2011). L’inertie des mécanismes socio-économiques favorise également le maintien des hiérarchies de l’apartheid : les Blancs ont gardé un capital économique élevé , disposent des emplois les mieux qualifiés et vivent dans des quartiers-161

citadelles sécurisés (Marcuse, 2009) ; les Noirs vivent pour la plupart dans des townships ou des bidonvilles. Une partie infime d’entre eux appartient désormais à l’élite noire bâtie par le Black Economic Empowerment, tandis que la classe moyenne noire se développe petit à petit.

Luttes non militaires, n’oublions pas que les populations Noires se sont confrontés aux armées coloniales

160

néerlandaises et britanniques lors des Guerres cafres (1779-1879), dont la célèbre de bataille d’Isandhlwana, l’une des plus grandes défaites coloniales britanniques.

Tous les Blancs ne sont pas aisés, on peut en voir certains mendier ou vivre dans des maisons précaires - dans des

161

Les townships (dont l’image s’est toutefois modérément améliorée) en tant qu’espaces ségrégués ont laissé place aux informal settlements, espaces urbains les plus marginalisés de 162

l’Afrique du Sud post-apartheid.

Situés aux marges des townships et des centres urbains - mais aussi dans les interstices urbaines entre les quartiers - ces informal settlements (que l’on appellerait bidonvilles en France) concentrent chômage de masse, conditions de vie précaires et insécurité. Malgré leur étiquette sociale de « zones pauvres », ce sont des espaces de vie pour des milliers de sud-africains, qui en s’installant d’eux-mêmes dans ces quartiers, ont revendiqué leur Droit à la Ville, et plus généralement leur droit à « habiter la ville », à la pratiquer et à se l’approprier.

Les politiques post-apartheid ont indéniablement montré une volonté d’améliorer les conditions de vie des populations les plus démunies, mais l’absence d’une politique urbaine inclusive reproduit d’une part les mécaniques de ségrégation résidentielle de l’apartheid (les Noirs restent dans les townships, les Blancs restent dans les quartiers centraux ou péri-centraux aisés) et laisse de nombreux citadins de côté, et d’autre part aggrave dans certains cas la ségrégation sociale dans les townships (en favorisant la concurrence formel/informel) et l’insécurité.

L’action publique est également vivement critiquée et dénoncée par les mouvements sociaux, qui réclament une ville plus juste et une politique de logements plus efficace, pour sortir de la précarité des millions de sud-africains. Ironiquement, la ville se caractérise une grande richesse humaine de ces inégalités socio-économiques, grâce à un nombre croissant d’associations, d’ONG et de collectifs citoyens très actifs. Dépassé devant les nombreux défis qui lui font face, les pouvoirs publics délèguent alors une partie de leurs responsabilités aux organisations à but non lucratif, qui se sont démultipliées depuis la démocratisation du pays. Acteurs majeurs du développement urbain et social, ces organismes sont alors très présents dans les quartiers démunis, et certains d’entre eux ont parfois tendance à devenir des plate- formes de «  volontourisme ». Car avec la ré-intégration de l’Afrique du Sud dans le système économique mondial, le tourisme est devenue une manne importante du pays, ayant pour conséquence la venue massive de jeunes étrangers, souvent occidentaux et souvent Blancs, venus faire de «  l’humanitaire  » tout en expérimentant les safaris locaux, les randonnées de montagne et les clubs branchés de Cape Town.

Ils le sont toujours

Les townships (dont l’image s’est toutefois modérément améliorée) en tant qu’espaces ségrégués ont laissé place aux informal settlements, espaces urbains les plus marginalisés de 162

l’Afrique du Sud post-apartheid.

Situés aux marges des townships et des centres urbains - mais aussi dans les interstices urbaines entre les quartiers - ces informal settlements (que l’on appellerait bidonvilles en France) concentrent chômage de masse, conditions de vie précaires et insécurité. Malgré leur étiquette sociale de « zones pauvres », ce sont des espaces de vie pour des milliers de sud-africains, qui en s’installant d’eux-mêmes dans ces quartiers, ont revendiqué leur Droit à la Ville, et plus généralement leur droit à « habiter la ville », à la pratiquer et à se l’approprier.

Les politiques post-apartheid ont indéniablement montré une volonté d’améliorer les conditions de vie des populations les plus démunies, mais l’absence d’une politique urbaine inclusive reproduit d’une part les mécaniques de ségrégation résidentielle de l’apartheid (les Noirs restent dans les townships, les Blancs restent dans les quartiers centraux ou péri-centraux aisés) et laisse de nombreux citadins de côté, et d’autre part aggrave dans certains cas la ségrégation sociale dans les townships (en favorisant la concurrence formel/informel) et l’insécurité.

L’action publique est également vivement critiquée et dénoncée par les mouvements sociaux, qui réclament une ville plus juste et une politique de logements plus efficace, pour sortir de la précarité des millions de sud-africains. Ironiquement, la ville se caractérise une grande richesse humaine de ces inégalités socio-économiques, grâce à un nombre croissant d’associations, d’ONG et de collectifs citoyens très actifs. Dépassé devant les nombreux défis qui lui font face, les pouvoirs publics délèguent alors une partie de leurs responsabilités aux organisations à but non lucratif, qui se sont démultipliées depuis la démocratisation du pays. Acteurs majeurs du développement urbain et social, ces organismes sont alors très présents dans les quartiers démunis, et certains d’entre eux ont parfois tendance à devenir des plate- formes de «  volontourisme ». Car avec la ré-intégration de l’Afrique du Sud dans le système économique mondial, le tourisme est devenue une manne importante du pays, ayant pour conséquence la venue massive de jeunes étrangers, souvent occidentaux et souvent Blancs, venus faire de «  l’humanitaire  » tout en expérimentant les safaris locaux, les randonnées de montagne et les clubs branchés de Cape Town.

Ils le sont toujours

162

Ces organisations ne sont - heureusement - pas majoritaires, et l’on observe de nombreuses ONG qui mettent en place des projets réfléchis et efficaces dans les townships et les informal settlements. C’est le cas de VPUU, qui opère dans toute la région de Cape Town pour développer les conditions de vie des communautés précaires et faire diminuer la violence dans les informal settlements. Avec une vision holistique du développement urbain, VPUU met ainsi en place différents programmes en collaboration avec les habitants, dont le projet Emthonjeni qui consiste à la construction d’espaces publics dans un informal settlement de Khayelitsha, Monwabisi Park. Bâtis pour renforcer l’éducation scolaire des enfants et favoriser les activités sociales de la communauté, ces espaces sont - certes peu nombreux - appréciés et appropriés par les résidents, qui ont d’ailleurs un véritable rôle de conception et de gestion de projet. L’informalité associée à leur conditions de vie est ici contrebalancée par une reconnaissance des pratiques urbaines et sociales, et l’implémentation de bâtiments communautaires formels. Bien sûr, tout n’est pas parfait : des obstacles liés à la responsabilité de l’espace, les conflits d’usages ou encore des formes d’engagement déséquilibrées sont présents, mais ils ne ternissent pas assez les efforts considérables consentis, et l’amélioration (en partie) des conditions de vie des habitants de Monwabisi Park. L’informal settlement est ainsi vu comme un espace urbain à part entière et non comme un abcès urbain destiné à être traité comme nuisible. Mais l’implication de VPUU en devient presque trop importante, ayant ainsi tendance à supplanter la municipalité (et donc ses responsabilités) dans le quartier. 


En définitive, le chemin parcouru est déjà grand : celui à parcourir l’est encore plus. Le travail des ONG dans les informal settlement est considérable, mais insuffisant sur le long terme sans un véritable appui - notamment financier - de la part des autorités publiques nationales et locales. Le changement souhaité par les organismes militants doit également passer par une évolution des mentalités, avec une déracialisation sociale soutenue par le gouvernement. Cela s’applique également au milieu académique et aux professionnels de l’urbain (urbanistes, sociologues et architectes), qui sont amenés à repenser leurs méthodes de travail et leurs fonctionnements, en rééquilibrant par exemple la composition raciale des équipes de travail ou en prenant du recul sur le vocabulaire employé.


Je prendrai l’exemple pour conclure de Monwabisi Park, dont les récents projets de développement urbain, couplés aux années de luttes des résidents pour faire reconnaître leurs droits à habiter, en font plus un quartier embryonnaire plutôt qu’un informal settlement : les dés sont jetés pour la reconnaissance et l’acceptation de ces espaces urbains et de leur urbanité.

R É F É R E N C E S

B I B L I O G R A P H I Q U E S

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 120-124)

Documents relatifs