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C.3 Le Droit à la Ville à Cape Town : actions politiques et ré-appropriations civiques

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 55-57)

Dans le chapitre précédent j’ai exposé ce qui fait de Cape Town une ville militante : si la volonté politique de bâtir une ville plus inclusive (notamment pour les informal settlements) n’a pas atteint le niveau espéré par les défenseurs du Droit à la Ville, on observe de nombreuses associations/organisations, mouvements populaires et ONG locales très dynamiques, et qui luttent pour mieux intégrer les populations les plus démunies dans le système urbain de la Mother City. Comment alors expliquer cette dissonance si forte à Cape Town, entre des acteurs publics ayant échoué à réduire les inégalités spatiales, sociales et raciales, et une société civile (en partie) militante ?

Le néolibéralisme mis en avant par le gouvernement post-apartheid est souvent mis en avant comme élément de réponse (Peet, 2002 ; Bond, 2005). L’autorité publique serait alors incapable de mettre en place une politique urbaine inclusive qui réduirait l’informalité et la précarité, persistantes dans les quartiers nécessiteux du pays. Pourtant, ce n’est pas tant le néolibéralisme en soi qui est critiqué, mais la posture adoptée par l’Etat dans sa politique urbaine. Car si la distribution des services urbains (et leur privatisation) est souvent mise en avant comme argument militant, la planification urbaine a aussi son rôle à jouer dans la production - ou la réduction - des inégalités (Miraftab, 2007 ; Didier et al. 2009 ; cités dans Morange, 2011). Les autorités publiques montrent pourtant certains signes de bonne volonté afin de fournir les services de base aux populations les plus démunies, non en fonction de leur solvabilité mais de leurs besoins. Mais la rationalité gestionnaire des gouvernements locaux et leur manque de connaissance des quartiers informels, constituent un frein à la mise en œuvre d’une politique urbaine ambitieuse (Parnell, Pieterse ; 2010).

Pour contrebalancer la posture de l’autorité publique, les militants d’une ville plus inclusive se réfèrent alors au Droit à la Ville (DALV). Néanmoins, ce n’est pas la théorie d’Henri Lefevbre qui est reprise : c’est sa formule, remaniée et adaptée au contexte sud-africain qui est utilisée. Le DALV devient pluriel, et s’accompagne de différents droits : droit à la liberté de circulation, droit aux services urbains, à la sécurité, à un environnement sain. Deux décennies après la fin de l’apartheid, les droits politiques semblent acquis, ce qui a pour effet de reporter le débat sur d’autres enjeux économiques et sociaux. La ré-appropriation du concept de DALV s’inscrit également dans une perspective d’un Developmental State, où l’Etat adopte une

politique interventionniste très forte, position défendue par les militants du DALV en Afrique du Sud.

Cette stratégie est pourtant critiquée pour sa tendance à voir le développement de manière linéaire et progressiste (Rist, 1996). La transformation de la société passe donc par l’Etat, ce qui tranche radicalement avec la vision de Lefebvre qui dénonçait l’action étatique sur la ville - qualifiée de bureaucratique et déshumanisante (Paquot, 2009 ; Costes,2010). Ce positionnement fait du DALV sud-africain un cas à part, en faveur d’un interventionnisme étatique fort (Morange, 2011). La lutte pour atteindre cet idéal continue à Cape Town, mais les militants d’hier ne sont pas nécessairement ceux d’aujourd’hui. L’apartheid était un système raciste facilement identifiable par ses détracteurs et dont la lutte était facilitée par le caractère évidemment injuste du régime. L’Afrique du Sud post-apartheid est une démocratie et un Etat de droit, ce qui rend bien plus complexe l’identification de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Les causes à défendre sont alors bien plus variées et surtout, entraînent plus de conflits entre les communautés. On peut prendre l’exemple du township de Gugulethu, où les rapports entre quartiers formels et informels sont parfois difficiles. En mai 2017, des résidents de maisons formelles ont ainsi protesté contre la mise en place de services urbains de bases dans l’informal

settlement de Tambo Square situé à proximité, invoquant le désir de voir se développer des

infrastructures communautaires plutôt que des shacks. On voit bien ici la désunion qui opère entre les habitants d’un même espace géographique, mais qui vivent dans deux espaces sociaux différents. Difficile alors de dire qui - entre ces habitants de maisons formelles et les habitants de shacks - a raison ou tort, car chaque groupe social dispose de sa propre représentation du DALV (même si l’un vit dans des shacks, l’autre des maisons). Une chose est pourtant certaine : les deux communautés symbolisent l’échec du gouvernement et de la municipalité à bâtir des quartiers intégrés et véritable «  post-apartheid  », car la ségrégation s’opère toujours - et s’accentue même à l’intérieur des townships et des quartiers informels.

politique interventionniste très forte, position défendue par les militants du DALV en Afrique du Sud.

Cette stratégie est pourtant critiquée pour sa tendance à voir le développement de manière linéaire et progressiste (Rist, 1996). La transformation de la société passe donc par l’Etat, ce qui tranche radicalement avec la vision de Lefebvre qui dénonçait l’action étatique sur la ville - qualifiée de bureaucratique et déshumanisante (Paquot, 2009 ; Costes,2010). Ce positionnement fait du DALV sud-africain un cas à part, en faveur d’un interventionnisme étatique fort (Morange, 2011). La lutte pour atteindre cet idéal continue à Cape Town, mais les militants d’hier ne sont pas nécessairement ceux d’aujourd’hui. L’apartheid était un système raciste facilement identifiable par ses détracteurs et dont la lutte était facilitée par le caractère évidemment injuste du régime. L’Afrique du Sud post-apartheid est une démocratie et un Etat de droit, ce qui rend bien plus complexe l’identification de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Les causes à défendre sont alors bien plus variées et surtout, entraînent plus de conflits entre les communautés. On peut prendre l’exemple du township de Gugulethu, où les rapports entre quartiers formels et informels sont parfois difficiles. En mai 2017, des résidents de maisons formelles ont ainsi protesté contre la mise en place de services urbains de bases dans l’informal

settlement de Tambo Square situé à proximité, invoquant le désir de voir se développer des

infrastructures communautaires plutôt que des shacks. On voit bien ici la désunion qui opère entre les habitants d’un même espace géographique, mais qui vivent dans deux espaces sociaux différents. Difficile alors de dire qui - entre ces habitants de maisons formelles et les habitants de shacks - a raison ou tort, car chaque groupe social dispose de sa propre représentation du DALV (même si l’un vit dans des shacks, l’autre des maisons). Une chose est pourtant certaine : les deux communautés symbolisent l’échec du gouvernement et de la municipalité à bâtir des quartiers intégrés et véritable «  post-apartheid  », car la ségrégation s’opère toujours - et s’accentue même à l’intérieur des townships et des quartiers informels.

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Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 55-57)

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