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C.1 Aperçu des mouvements sociaux et militantisme en Afrique du Sud

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 48-52)

Le militantisme sud-africain prend forme pendant l’apartheid, consistant avant tout à dénoncer et lutter contre le racisme et la ségrégation du régime. Il prend tout d’abord logiquement racine dans les townships, où résident les populations opprimées par l’apartheid.

La géographie des townships est également propice au développement du militantisme anti-apartheid : localisés souvent en périphérie des centres urbains, leur isolement relatif est mis à profit par les mouvements de résistance pour organiser leurs luttes. Il n’est pas donc pas surprenant que l’ANC - aujourd’hui premier parti politique du pays - soit né dans les townships dans les années 1910. Jusque dans les années 1960, le Congrès national Africain (ANC) utilise ainsi des méthodes non-violentes pour lutter contre l’apartheid : pétitions, manifestations, lettres ouvertes, boycott. Ce dernier moyen est d’ailleurs l’un des plus utilisé par le mouvement (Lodge, 1983), avec notamment le boycott des transports en commun, de magasins ou de produits liés à l’apartheid. Lieu de l’oppression raciale, le township devient une véritable arme spatiale de lutte contre l’apartheid et le cœur de l’identité noire (culturelle, religieuse et politique). 


A partir des années 1980, les dirigeants de l’ANC - toujours classée comme organisation terroriste - veulent rendre les townships ingouvernables pour le régime de l’apartheid et en faire des «  zones libres  ». Cette stratégie prend la forme d’expérimentations sociales dans le township, devenu une véritable forteresse gardée par les troupes gouvernementales mais régie par l’ANC. On peut citer par exemple la mise en place de tribunaux populaires (people’s courts), s’inspirant du système de justice traditionnel africain, où plaignant et accusé défendent leurs cas devant les aînés et le chef . Vols, cambriolages, rixes et divers conflits étaient jugés, et les 57

condamnations prenaient souvent la forme de travaux d’intérêt général. Malgré son intérêt social, ce dispositif a eu tendance à dévier vers la violence et aux affrontements entre factions concurrentes (Schärf, Ngcokoto ; 1990 , cités dans Houssay-Holzschuch 1998). D’autres expérimentations voient le jour, à l’image des associations de résidents (qui sont d’ailleurs toujours d’actualité) qui représentent de véritables structures politiques hiérarchisées, qui

Ibid

I-C Formes de résistance et militantisme pour une ville plus inclusive

I-C.1 Aperçu des mouvements sociaux et militantisme en Afrique du Sud

Le militantisme sud-africain prend forme pendant l’apartheid, consistant avant tout à dénoncer et lutter contre le racisme et la ségrégation du régime. Il prend tout d’abord logiquement racine dans les townships, où résident les populations opprimées par l’apartheid.

La géographie des townships est également propice au développement du militantisme anti-apartheid : localisés souvent en périphérie des centres urbains, leur isolement relatif est mis à profit par les mouvements de résistance pour organiser leurs luttes. Il n’est pas donc pas surprenant que l’ANC - aujourd’hui premier parti politique du pays - soit né dans les townships dans les années 1910. Jusque dans les années 1960, le Congrès national Africain (ANC) utilise ainsi des méthodes non-violentes pour lutter contre l’apartheid : pétitions, manifestations, lettres ouvertes, boycott. Ce dernier moyen est d’ailleurs l’un des plus utilisé par le mouvement (Lodge, 1983), avec notamment le boycott des transports en commun, de magasins ou de produits liés à l’apartheid. Lieu de l’oppression raciale, le township devient une véritable arme spatiale de lutte contre l’apartheid et le cœur de l’identité noire (culturelle, religieuse et politique). 


A partir des années 1980, les dirigeants de l’ANC - toujours classée comme organisation terroriste - veulent rendre les townships ingouvernables pour le régime de l’apartheid et en faire des «  zones libres  ». Cette stratégie prend la forme d’expérimentations sociales dans le township, devenu une véritable forteresse gardée par les troupes gouvernementales mais régie par l’ANC. On peut citer par exemple la mise en place de tribunaux populaires (people’s courts), s’inspirant du système de justice traditionnel africain, où plaignant et accusé défendent leurs cas devant les aînés et le chef . Vols, cambriolages, rixes et divers conflits étaient jugés, et les 57

condamnations prenaient souvent la forme de travaux d’intérêt général. Malgré son intérêt social, ce dispositif a eu tendance à dévier vers la violence et aux affrontements entre factions concurrentes (Schärf, Ngcokoto ; 1990 , cités dans Houssay-Holzschuch 1998). D’autres expérimentations voient le jour, à l’image des associations de résidents (qui sont d’ailleurs toujours d’actualité) qui représentent de véritables structures politiques hiérarchisées, qui

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gèrent différents aspects de la vie quotidienne du township (conflits entre voisins, entraide financière). Par le militantisme, le township devient un lieu d’innovation sociale.

Toutefois, les partis politiques tels que l’ANC ne sont pas les seuls acteurs de la lutte anti- apartheid. Le mouvement anti-régime s’organise selon plusieurs types d’organisations :

-

les syndicats

-

les organisations communautaires (notamment celles liées aux instances religieuses)

-

les organisations de quartiers dont les revendications résonnent avec le Droit à la Ville (droit à la propriété, meilleure distribution des équipements urbains, développement local des townships).

- les organisations de jeunes ou étudiantes, qui servent surtout à mobiliser les jeunes populations pour manifester et organiser des actions anti-apartheid.

-

les organisations de professions libérales (avocats, médecins).

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les organisations d’experts et d’académiciens (souvent Blancs) : économistes, sociologues, géographes, architectes qui militent pour la dissolution du système ségrégatif et des droits civiques et sociaux égaux.

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les médias alternatifs (presse écrite clandestine notamment).

Au départ non-violente, la lutte anti-apartheid est aussi marquée par des épisodes armés, allant de l’attaque de raffineries et d’installations militaires par des activistes à de véritables massacres comme à Soweto en 1973 ou à Sharpeville en 1960 par les forces gouvernementales. Face aux militants anti-régime, l’Etat ne lésinait pas sur les moyens, jusqu’à imposer un état d’urgence très strict en 1986, ce qui a en partie affaibli le mouvement jusqu’en 1989 (Robins, 2008). L’abrogation des lois ségrégationnistes et le délitement de l’apartheid marquent la victoire de l’ANC politique, mais la crise sociale sud-africaine n’est pas pour autant terminée. D’ailleurs, la mise en place de la nouvelle démocratie ne signe pas l’arrêt du militantisme sud-africain.

La nouvelle démocratie doit à partir des cendres de l’apartheid bâtir un nouveau pays réunifié tout en continuant de se développer. Car les années de boycott international, couplées aux coûts exorbitants du régime de l’apartheid et à son système de redistribution inégalitaire, mettent l’Afrique du Sud de 1994 dans une position difficile. Le gouvernement adopte alors un dispositif d’ajustement structurel, qui vise à réduire le déficit public, contenir l’inflation et développer le secteur privé afin de maintenir (et accentuer) les services publics. Dans cette nouvelle perspective, la démocratisation de l’Afrique du Sud passe aussi par la mise en place

d’une politique de recouvrement, grâce aux nouveaux contribuables. Mais les inégalités de revenus sont alors colossales, et les coûts liés aux services urbains ne sont pas (ou ne peuvent pas) toujours être payés par les contribuables - notamment dans les townships. Pour y remédier, le gouvernement post-apartheid a recours à des moyens parfois drastiques : coupures d’accès aux services d’eau et d’électricité, voire dans les cas les plus extrêmes, à des expulsions. Dans tous les cas, ce sont les plus démunis qui demeurent les plus pénalisés. La politique adoptée par le gouvernement, en vertu d’un certain pragmatisme économique, ne fait pas que des satisfaits : on a pu observé des actions - parfois violentes - à la fin des années 1990, de protestation envers l’Etat.

Au fil des années les causes se multiplient, de l’égalité des sexes (et des identités sexuelles), à la lutte contre le VIH/SIDA - véritable fléau dans le pays - et la corruption, et pour un meilleur accès à l’éducation. La question du logement, et plus largement du foncier occupe également une place importante au cœur des mouvements militants. Dès les années 1980 des soulèvements populaires avaient eu lieu dans les townships, où des organisations citoyennes prirent l’initiative de défier l’État en organisant des « invasions illégales » de logements (Crankshaw, Parnell, 2000). Et si les mouvements sociaux post-apartheid ne sont pas de la même ampleur que dans les années 1980, l’Afrique du Sud demeure un pays fondamentalement protestataire. Les gouvernements post-1994 avaient pourtant tenter de neutraliser les conflits sociaux, mais ils ont au final été incapables de contenir la contestation via les organismes reconnus par l’Etat, ni d’empêcher les revendication socio-raciales post-apartheid.

L’Afrique du Sud contemporaine a ainsi connu plusieurs grèves de masse et des manifestations de grandes ampleurs, avec dans certains cas des dénouements dramatiques comme le massacre de Marikana, où 34 ouvriers miniers sont abattus par la police en 2012. Après la fin de l’apartheid, le militantisme reste ainsi très présent dans la société sud-africaine, en particulier dans les quartiers noirs. Comme j’ai pu le montrer dans les chapitres précédents, les villes sud-africaines post-apartheid sont des espaces où des dizaines de quartiers pauvres et sous-équipés subsistent en périphérie des pôles urbains - et souvent à proximité des townships. Des organisations citoyennes (associations notamment) dénoncent alors un abandon de ces quartiers défavorisés, au profit des quartiers centraux où se concentrent les emplois et les richesses (Gervais-Lambony (dir), 2014). On peut citer le cas d’Abahlali baseMjondolo , 58

organisme militant originaire de Durban ou encore de Ndifuna Ukwazi, ONG militante de Cape

Voir Partie II, chapitre B-3

d’une politique de recouvrement, grâce aux nouveaux contribuables. Mais les inégalités de revenus sont alors colossales, et les coûts liés aux services urbains ne sont pas (ou ne peuvent pas) toujours être payés par les contribuables - notamment dans les townships. Pour y remédier, le gouvernement post-apartheid a recours à des moyens parfois drastiques : coupures d’accès aux services d’eau et d’électricité, voire dans les cas les plus extrêmes, à des expulsions. Dans tous les cas, ce sont les plus démunis qui demeurent les plus pénalisés. La politique adoptée par le gouvernement, en vertu d’un certain pragmatisme économique, ne fait pas que des satisfaits : on a pu observé des actions - parfois violentes - à la fin des années 1990, de protestation envers l’Etat.

Au fil des années les causes se multiplient, de l’égalité des sexes (et des identités sexuelles), à la lutte contre le VIH/SIDA - véritable fléau dans le pays - et la corruption, et pour un meilleur accès à l’éducation. La question du logement, et plus largement du foncier occupe également une place importante au cœur des mouvements militants. Dès les années 1980 des soulèvements populaires avaient eu lieu dans les townships, où des organisations citoyennes prirent l’initiative de défier l’État en organisant des « invasions illégales » de logements (Crankshaw, Parnell, 2000). Et si les mouvements sociaux post-apartheid ne sont pas de la même ampleur que dans les années 1980, l’Afrique du Sud demeure un pays fondamentalement protestataire. Les gouvernements post-1994 avaient pourtant tenter de neutraliser les conflits sociaux, mais ils ont au final été incapables de contenir la contestation via les organismes reconnus par l’Etat, ni d’empêcher les revendication socio-raciales post-apartheid.

L’Afrique du Sud contemporaine a ainsi connu plusieurs grèves de masse et des manifestations de grandes ampleurs, avec dans certains cas des dénouements dramatiques comme le massacre de Marikana, où 34 ouvriers miniers sont abattus par la police en 2012. Après la fin de l’apartheid, le militantisme reste ainsi très présent dans la société sud-africaine, en particulier dans les quartiers noirs. Comme j’ai pu le montrer dans les chapitres précédents, les villes sud-africaines post-apartheid sont des espaces où des dizaines de quartiers pauvres et sous-équipés subsistent en périphérie des pôles urbains - et souvent à proximité des townships. Des organisations citoyennes (associations notamment) dénoncent alors un abandon de ces quartiers défavorisés, au profit des quartiers centraux où se concentrent les emplois et les richesses (Gervais-Lambony (dir), 2014). On peut citer le cas d’Abahlali baseMjondolo , 58

organisme militant originaire de Durban ou encore de Ndifuna Ukwazi, ONG militante de Cape

Voir Partie II, chapitre B-3

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Town qui concentre son action sur des campagnes anti-évictions et en faveur d’une ville plus inclusive, notamment via le logement pour tous (voir fig.11 et 12).

Mais alors que Soweto est reconnu internationalement comme étant le berceau du militantisme sud-africain, peut-on également qualifier Cape Town - ville mère du pays et de l’apartheid - comme une ville engagée ? Certes Cape Town dispose également de townships ayant abrités (et encore aujourd’hui) un esprit engagé, à l’image de Khayelitsha ou Gugulethu, mais il faut rappeler que la ville demeure un bastion du DA (Democratic Alliance), principal parti d’opposition du pays, aux idéologies conservatrices. C’est à partir de ce questionnement que je discuterais le caractère militant de Cape Town dans le chapitre suivant, en exposant les enjeux, les atouts et les limites des organismes engagées de la ville inclusive.

Fig.11. Militants du mouvement “Reclaim the City” protestants contre la vente du site de Tafelberg et réclamant des logements pour les plus démunis. Auteur : Mary-Anne Gontsana

Fig.12. Exemple de support graphique militant, dans le cas présent focalisé sur la faible part budgétaire de la municipalité dédiée aux toilettes dans les informal settlements de Cape Town et le manque de sanitaires dans

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 48-52)

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