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A.1 Du bidonville à l’informal settlement : repenser l’approche de la pauvreté et de la précarité

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 58-61)

PRÉCARITÉ ET INFORMALITÉ DANS LES INFORMAL SETTLEMENTS DE CAPE TOWN

II- A.1 Du bidonville à l’informal settlement : repenser l’approche de la pauvreté et de la précarité

Selon UN-Habitat, 1,8 milliards de personnes vivent dans des slums ou des informal

settlements. Leur nombre devrait augmenter et passer à 3 milliards en 2050, en corrélation avec

la croissance de la population urbaine dans le monde. Malgré de nombreuses politiques à l’échelle mondiale pour la réduction de la pauvreté et de la précarité de l’habitat, on constate que les informal settlements et les bidonvilles continuent de s’agrandir dans des métropoles de plus en plus peuplées, en particulier dans les villes des Suds. Ce phénomène nous pousse alors à reconsidérer et à repenser notre compréhension de l’habitat informel et les politiques urbaines de réduction de la pauvreté. Cette prise de recul passe avant tout par une déconstruction de la terminologie, afin de redéfinir ce qui qualifie ces situations de pauvreté.

Ce travail de réflexion se retrouve notamment dans Rethinking Precarious Neighborhoods, publication de l’AFD sous la direction d’Agnès Deboulet (2016), qui 61 62

cherche à dépasser les visions clivantes légal/illégal et formel/informel qui ont forgé les travaux portant sur l’habitat précaire depuis les années 1970 (Agnès Deboulet, 2016). Le terme le plus souvent utilisé pour désigner ces ensembles urbains, est informal settlement‑63, mais de

nombreux chercheurs utilisent la dénomination de slum (en français « bidonville », ou « taudis »), utilisée par l’ONU depuis l’adoption des Objectifs du Millénaire (Millenium Development Goals, MDGs). A l’origine, le terme de slum était utilisé pendant la période victorienne en Angleterre pour désigner les quartiers à habitat insalubre ou à mauvaise réputation . Quant au terme de 64

«  bidonville  » (en anglais, shantytown), il fut utilisé en Europe de l’Ouest pour désigner les habitations faites de matériaux recyclés des migrants européens et nord-africains. Au fil du temps, ces termes se sont généralisés et désignent aujourd’hui des ensembles urbains auxquels

Agence Française de Développement

61

Professeure de Sociologie à l’University Paris 8 et Directrice Associée du Laboratoire Ville, Architecture, Urbanisme

62

Environnement, LAVUE-CNRS)

Traduit en français par «  implantation informelle ». Néanmoins cette dénomination est très peu utilisée dans la

63

littérature scientifique, c’est pourquoi la dénomination anglaise sera utilisée. Le terme est d’ailleurs toujours utilisé en Inde pour désigner les quartiers taudifiés

II-A Les informal settlements, espaces urbains non reconnus

II-A.1 Du bidonville à l’informal settlement : repenser l’approche de la pauvreté et de la

précarité

Selon UN-Habitat, 1,8 milliards de personnes vivent dans des slums ou des informal

settlements. Leur nombre devrait augmenter et passer à 3 milliards en 2050, en corrélation avec

la croissance de la population urbaine dans le monde. Malgré de nombreuses politiques à l’échelle mondiale pour la réduction de la pauvreté et de la précarité de l’habitat, on constate que les informal settlements et les bidonvilles continuent de s’agrandir dans des métropoles de plus en plus peuplées, en particulier dans les villes des Suds. Ce phénomène nous pousse alors à reconsidérer et à repenser notre compréhension de l’habitat informel et les politiques urbaines de réduction de la pauvreté. Cette prise de recul passe avant tout par une déconstruction de la terminologie, afin de redéfinir ce qui qualifie ces situations de pauvreté.

Ce travail de réflexion se retrouve notamment dans Rethinking Precarious Neighborhoods, publication de l’AFD sous la direction d’Agnès Deboulet (2016), qui 61 62

cherche à dépasser les visions clivantes légal/illégal et formel/informel qui ont forgé les travaux portant sur l’habitat précaire depuis les années 1970 (Agnès Deboulet, 2016). Le terme le plus souvent utilisé pour désigner ces ensembles urbains, est informal settlement‑63, mais de

nombreux chercheurs utilisent la dénomination de slum (en français « bidonville », ou « taudis »), utilisée par l’ONU depuis l’adoption des Objectifs du Millénaire (Millenium Development Goals, MDGs). A l’origine, le terme de slum était utilisé pendant la période victorienne en Angleterre pour désigner les quartiers à habitat insalubre ou à mauvaise réputation . Quant au terme de 64

«  bidonville  » (en anglais, shantytown), il fut utilisé en Europe de l’Ouest pour désigner les habitations faites de matériaux recyclés des migrants européens et nord-africains. Au fil du temps, ces termes se sont généralisés et désignent aujourd’hui des ensembles urbains auxquels

Agence Française de Développement

61

Professeure de Sociologie à l’University Paris 8 et Directrice Associée du Laboratoire Ville, Architecture, Urbanisme

62

Environnement, LAVUE-CNRS)

Traduit en français par «  implantation informelle ». Néanmoins cette dénomination est très peu utilisée dans la

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littérature scientifique, c’est pourquoi la dénomination anglaise sera utilisée. Le terme est d’ailleurs toujours utilisé en Inde pour désigner les quartiers taudifiés

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on prête différents qualificatifs : pauvreté, précarité, insalubrité, informalité voire illégalité. De nombreux chercheurs continuent d’utiliser ces dénominations, en concordance avec l’usage du terme par l’ONU, ce qui a l’avantage de leur permettre de citer les statistiques de UN-Habitat dans leurs travaux. Néanmoins, ces termes sont également utilisés pour désigner des quartiers et des populations, accompagnés de stéréotypes désobligeants, sans que les politiques publiques et les bailleurs sociaux ne s’en soucient. Ces termes sont parfois détournés et transformés en dénominations péjoratives, ou dont le sens ne correspond pas à la réalité : on citera à titre d’exemple la dénomination animalisante de « Jungle » de Calais, ou dégradante du «  camp  » de Grande-Synthe en France. On trouve d’autres dénominations, comme informal

settlement, notamment en Afrique Australe, «  habitat spontané  », «  habitat non-régulé  » ou

encore « habitat anarchique ».

L’Amérique Latine se distingue, notamment avec une propension à parler d’urbanizaciones populares soit en français, « urbanisation/habitat populaire » (Deboulet, 2016). Certains chercheurs (Perlman, Satterthwaite, Soares Gonćalves, Fawaz, 2016) ont décidé d’adopter le terme de precarious settlement/neighborhood, préférant éviter l’association à l’informalité vue comme l’opposé d’un modèle formel. Cette nouvelle dénomination présente l’avantage de ne pas s’appuyer sur un clivage sémantique et désigne avant tout le mode de fonctionnement de ces quartiers : la précarité ne s’applique par nécessairement aux matériaux utilisés pour les logements mais plutôt à la relation établie entre l’État/la collectivité et les habitants de ces quartiers ainsi que la non-garantie du statut et de la pérennité du territoire occupé (Perlman, 2016). D’autres dénominations émergent, à l’image de Habitat made by People. Ce terme est notamment défendu par Lorena Zàrate, Présidente de la Coalition Internationale de l’Habitat, pour qui changer les mots signifie changer nos concepts et nos manières de comprendre ces ensembles urbains et notre capacité (ou incapacité) à les transformer positivement (Zàrate, 2016). Ces quartiers, avant d’être qualifiés d’informels ou d’illégaux/irréguliers, sont avant tout des espaces où vivent des personnes. Marginalisés, ces lieux incarnent la volonté des milliers de personnes à avoir de droit de vivre en ville, de la construire, de changer la ville et de participer à la vie urbaine en tant que citoyen (voir fig 14.). De plus les quartiers dits « précaires », s’inscrivent dans des contextes différents et sont ainsi nommés de différentes manières : squatter settlements, favelas, shacks, villas miseria, bidonvilles, slum etc. Généralement ces termes mettent en avant les caractéristiques les plus négatives de ces quartiers et impliquent souvent des connotations péjoratives. De plus, ces

dénominations ont aussi tendance à s’appliquer aux populations de ces quartiers, qui sont généralement considérées comme étant des citoyens de second rang . Néanmoins, on 65

observe un changement chez certains chercheurs et professionnels de l’urbanisme, qui pensent que l’informalité est un modèle urbain à part entière, avec ses propres caractéristiques et logiques d’organisation , et représente une proportion importante de l’économie urbaine (Roy, 66

2005).

Ibid

65

Ananya Roy parle d’urban informality pour qualifier ce modèle.

66

Fig.14. Vue d’ensemble de l’informal settlement de Monwabisi Park, où vivent 26 000 habitants de Cape Town. Auteur : I. M’boup

dénominations ont aussi tendance à s’appliquer aux populations de ces quartiers, qui sont généralement considérées comme étant des citoyens de second rang . Néanmoins, on 65

observe un changement chez certains chercheurs et professionnels de l’urbanisme, qui pensent que l’informalité est un modèle urbain à part entière, avec ses propres caractéristiques et logiques d’organisation , et représente une proportion importante de l’économie urbaine (Roy, 66

2005).

Ibid

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Ananya Roy parle d’urban informality pour qualifier ce modèle.

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Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 58-61)

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