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C.2 Cape Town, ville engagée ?

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 52-55)

Dans le chapitre précédent j’ai démontré que l’Afrique du Sud - et plus particulièrement le township - est marquée par l’empreinte du militantisme et de l’engagement citoyen né pendant l’apartheid. Cet esprit de lutte a perduré après l’élection de Nelson Mandela : les causes ont évolué et se sont adaptées aux nouveaux (et anciens) défis de l’Afrique du Sud post- apartheid. Toutefois, l’intensité de l’engagement n’est pas homogène sur le territoire national. Les espaces urbains par exemple, sont plus propices (sans en faire une généralité) au développement d’actions militantes que les espaces ruraux, du fait de leur poids démographique et par conséquent d’une plus grande probabilité de l’existence de causes à défendre. Comme j’ai pu le montrer précédemment, les townships (ainsi que les informal

settlements) sont également des lieux forts dans la symbolique et l’historique du militantisme

sud-africain. Parmi ces lieux, se sont des personnes qui ont mis en avant l’esprit de lutte de la nation arc-en-ciel : Nelson Mandela et Desmond Tutu bien sûr, mais aussi Joe Slovo et Steve Biko. Parmi les personnes marquantes du militantisme on peut également citer Irène Grootboom, connue pour sa victoire historique face à l’État sud-africain devant la Cour constitutionnelle. Femme coloured, elle a en effet fait reconnaître que le gouvernement n’avait pas respecté ses engagements en accord avec la constitution, de fournir des logements adéquats aux habitants de l’informal settlement de Wallacedene à proximité de Cape Town. Cette victoire historique donna ainsi un support légal aux actions militantes du droit au logement.

On peut d’ailleurs observer plusieurs organisations militantes à Cape Town, qui prennent la forme d’ONG ou d’associations de résidents. L’une des plus actives est Ndifuna Ukwazi, crée par Zackie Achmat , dont l’objectif est de défendre la justice spatiale, de promouvoir l’accès 59

universel à un logement abordable, décent et durable. L’organisation souhaite également favoriser la mixité sociale, raciale, religieuse et politique dans les différents quartiers de la ville. Financée principalement par des fondations et des dons de particuliers, Ndifuna Ukwazi s’oppose régulièrement aux projets urbains de la municipalité de Cape Town qui selon eux, privent les populations défavorisées de terrains pour bâtir des logements abordables, favorise la spéculation foncière et la mise à l’écart des populations pauvres en périphérie (Zinn, 2014).

Activiste sud-africain, connu pour avoir été le co-fondateur de la Treatment Action Campaign (lutte contre le VIH) et

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I-C.2 Cape Town, ville engagée ?

Dans le chapitre précédent j’ai démontré que l’Afrique du Sud - et plus particulièrement le township - est marquée par l’empreinte du militantisme et de l’engagement citoyen né pendant l’apartheid. Cet esprit de lutte a perduré après l’élection de Nelson Mandela : les causes ont évolué et se sont adaptées aux nouveaux (et anciens) défis de l’Afrique du Sud post- apartheid. Toutefois, l’intensité de l’engagement n’est pas homogène sur le territoire national. Les espaces urbains par exemple, sont plus propices (sans en faire une généralité) au développement d’actions militantes que les espaces ruraux, du fait de leur poids démographique et par conséquent d’une plus grande probabilité de l’existence de causes à défendre. Comme j’ai pu le montrer précédemment, les townships (ainsi que les informal

settlements) sont également des lieux forts dans la symbolique et l’historique du militantisme

sud-africain. Parmi ces lieux, se sont des personnes qui ont mis en avant l’esprit de lutte de la nation arc-en-ciel : Nelson Mandela et Desmond Tutu bien sûr, mais aussi Joe Slovo et Steve Biko. Parmi les personnes marquantes du militantisme on peut également citer Irène Grootboom, connue pour sa victoire historique face à l’État sud-africain devant la Cour constitutionnelle. Femme coloured, elle a en effet fait reconnaître que le gouvernement n’avait pas respecté ses engagements en accord avec la constitution, de fournir des logements adéquats aux habitants de l’informal settlement de Wallacedene à proximité de Cape Town. Cette victoire historique donna ainsi un support légal aux actions militantes du droit au logement.

On peut d’ailleurs observer plusieurs organisations militantes à Cape Town, qui prennent la forme d’ONG ou d’associations de résidents. L’une des plus actives est Ndifuna Ukwazi, crée par Zackie Achmat , dont l’objectif est de défendre la justice spatiale, de promouvoir l’accès 59

universel à un logement abordable, décent et durable. L’organisation souhaite également favoriser la mixité sociale, raciale, religieuse et politique dans les différents quartiers de la ville. Financée principalement par des fondations et des dons de particuliers, Ndifuna Ukwazi s’oppose régulièrement aux projets urbains de la municipalité de Cape Town qui selon eux, privent les populations défavorisées de terrains pour bâtir des logements abordables, favorise la spéculation foncière et la mise à l’écart des populations pauvres en périphérie (Zinn, 2014).

Activiste sud-africain, connu pour avoir été le co-fondateur de la Treatment Action Campaign (lutte contre le VIH) et

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qui critique régulièrement la politique menée en matière de santé par l’ANC.

Des manifestations, des tables rondes, des ateliers participatifs et des campagnes militantes sont ainsi régulièrement organisées, à l’image de « Reclaim the City » vaste campagne militante organisée depuis 2014. Néanmoins, Nidfuna Ukwazi n’est pas qu’une organisation de contestation de rue : elle est divisée en plusieurs organes internes d’études et de recherches tels qu’un service juridique, un groupe de chercheurs en politiques urbaines et en économie ainsi que des responsables politiques locaux.

Au militantisme s’ajoute ainsi une véritable équipe de recherche qui s’attèle à proposer des solutions, des modèles d’organisation urbaine afin de non seulement améliorer les conditions de vie des quartiers pauvres et accorder des logements à tous, mais également de créer une ville inclusive, au-delà du schéma simpliste de centre-périphérie. L’organisation est aujourd’hui devenue un emblème de la lutte urbaine en Afrique du Sud et entretient avec la ville de Cape Town une relation de contre-pouvoir fort. On peut également citer les Grootboom

Memorial Dialogues, qui font intervenir le Social Justice Coalition et l’Africa Centre for Cities sur

la défense de l’urban land justice, et proposent une série de conférences/débats sur plusieurs thématiques de l’urbanisme.

Mais la plus grande démonstration du militantisme à Cape Town demeure la Western

Cape Anti-Eviction Campaign (AEC). L’AEC est une organisation née d’un mouvement populaire

en novembre 2000, qui milite contre les évictions, les coupures d’eaux et d’électricité, les violences policières et pour la construction de maisons dans les informal settlements de Cape Town . L’AEC est l’un des plus anciens mouvements sociaux de la génération post-apartheid et 60

se caractérise par son autonomie revendiquée vis à vis des ONG locales et des partis politiques. Elle est par contre membre de la Poor People’s Alliance, qui regroupe les plus grands mouvements de contestation de l’Afrique du Sud (Abahlali baseMjdondolo, Landless People’s

Movement, The Rural Network), célèbre pour son slogan No Land! Lo House! No Vote! qui

appelle les citoyens Sud-Africains à boycotter les élections municipales, provinciales et nationales. Associé à des dizaines d’associations de résidents des townships - aussi opposées aux évictions - l’une des plus grandes victoires du mouvement fut de faire accepter au DA (qui dirige la province du Western-Cape) un moratoire pour mettre fin aux évictions (même si dans les faits, les évictions continuent).

Le mouvement, hostile aux attaques récurrentes attaques xénophobes qui ont lieu dans les townships, avait

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Cape Town dispose ainsi de plusieurs organismes militants en faveur d’une meilleure intégration des populations dans le système urbain. Via l’appui du milieu académique (notamment l’ACC), les luttes urbaines sont alors régulièrement mises en avant lors de conférences ou d’événements publics, à l’image de l’utilisation de l’Open House (voir fig 13.) dans le centre de Cape Town comme lieu de revendication. Ce dynamisme militant citoyen est néanmoins contrebalancé par la politique de développement des informal settlements, beaucoup plus timide. Une étude d’avril 2017 réalisée par l’International Budget Partnership (IBP), analyse ainsi le budget métropolitain 2017/2018 de Cape Town, et montre que la part allouée aux informal settlements et aux backyard shacks demeure mince. Alors que 20 % de la population de Cape Town vit dans un logement précaire dans des quartiers informels, 3,3 % du budget métropolitain est alloué au développement et à la réhabilitation de ces espaces urbains (Van der Westhuizen, 2017). Ces chiffres illustrent le décalage entre le dynamisme des organisations militantes de Cape Town et la volonté politique et les moyens déployés pour construire une ville véritablement post-apartheid.

Fig.13. Plaque située en dessous de l’Open House, espace d’expression libre mis en place par le gouvernement provincial

Cape Town dispose ainsi de plusieurs organismes militants en faveur d’une meilleure intégration des populations dans le système urbain. Via l’appui du milieu académique (notamment l’ACC), les luttes urbaines sont alors régulièrement mises en avant lors de conférences ou d’événements publics, à l’image de l’utilisation de l’Open House (voir fig 13.) dans le centre de Cape Town comme lieu de revendication. Ce dynamisme militant citoyen est néanmoins contrebalancé par la politique de développement des informal settlements, beaucoup plus timide. Une étude d’avril 2017 réalisée par l’International Budget Partnership (IBP), analyse ainsi le budget métropolitain 2017/2018 de Cape Town, et montre que la part allouée aux informal settlements et aux backyard shacks demeure mince. Alors que 20 % de la population de Cape Town vit dans un logement précaire dans des quartiers informels, 3,3 % du budget métropolitain est alloué au développement et à la réhabilitation de ces espaces urbains (Van der Westhuizen, 2017). Ces chiffres illustrent le décalage entre le dynamisme des organisations militantes de Cape Town et la volonté politique et les moyens déployés pour construire une ville véritablement post-apartheid.

Dans le document Lieux de vie, lieux de luttes (Page 52-55)

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