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Enfance, adolescence et jeunesse vues d’une perspective sociologique

Les pratiques des adolescents sur les médias audiovisuels et

1.1. L’usage des médias audiovisuels en ligne par les enfants et les adolescents

1.1.1. Enfance, adolescence et jeunesse vues d’une perspective sociologique

Parmi les pères fondateurs de la sociologie, Durkheim et Tocqueville ont analysé la condition de l’enfant par rapport au processus de civilisation et d’éducation de la société48.

Durkheim souligne le caractère social de l’éducation qui est donc un processus de socialisation, comme il le précise dans cet extrait :

« L’enfant, en entrant dans la vie, n’y apporte que sa nature d’individu. La société se trouve donc, à chaque génération nouvelle, en présence d’une table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveaux frais. Il faut que, par les voies les plus rapides, à l’être égoïste et asocial qui vient de naitre, elle en surajoute un autre, capable de mener une vie morale et sociale. Voilà quelle est l’œuvre de l’éducation. »49

L’enfant est, selon Durkheim, un « être asocial » parce qu’il ne connait pas les lois et les normes établies par la société50.

Avec la modernité, le nouveau statut de l’enfant s’est trouvé au centre de nombreuses études51. Une première étude sur l’apparition de l’idée d’enfance a été menée par Philippe

Ariès en 1973. L'auteur analyse le passage d’une société traditionnelle à une société évoluée dans laquelle l’enfant et l’adolescent sont distingués de l’adulte52. Jean-Claude Chamboredon

45 SOUCHON, Michel. La télévision des adolescents. Revue française de pédagogie, vol. 11, 1970.

46 OBSERVATOIRE DE L’ENFANCE EN FRANCE, LANGOUET, Gabriel (dir.). Les jeunes et les médias en

France. Paris : Hachette, 2000. p. 41.

47 BOVILL, Moira, LIVINGSTONE, Sonia. Bedroom Culture and the Privatization of Media Use. In

LIVINGSTONE, Sonia, BOVILL, Moira (dir.). Children and Their Changing Media Environment: A European Comparative Study. Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum Associates, 2001. p. 179-200.

48 CICCHELLI, Vincenzo, DE MICCIO, Luana. L’enfant des pères fondateurs. Analogies et apories chez

Tocqueville et Durkheim. In SIROTA, Régine (dir.). Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 13.

49 DURKHEIM, Émile. Éducation et sociologie. Paris : Presses Universitaires de France, 1985 [1re éd. 1922] cité

par Olivier Galland dans Sociologie de la jeunesse. Paris : Armand Colin, 2009 [1re éd. 1991], p. 40. 50 Ibidem. p. 41.

51 SIROTA, Régine (dir.). Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes: Presses Universitaires de Rennes,

2006. p. 13.

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(1973) emprunte une expression de Freud. Il nomme l’enfance une « adolescence infinie, interminable », car les limites d’âge sont de moins en moins définies. Dans cette période de la vie, on gagne l’indépendance par le biais de processus d’individuation53. Pierre Bourdieu en

1980 affirme que « la jeunesse n’est qu’un mot » et précise que la définition de la jeunesse ne correspond qu’à un équilibre d’oppositions entre groupes d’âge, les plus jeunes et les plus vieux. En France, la sociologie de la jeunesse naît de deux courants dans les années 1960. Une tendance est plus psychologique et psychosociale, l’autre est culturaliste et fonctionnaliste nord-américaine. L’entrée dans la vie adulte se caractérise dans la sociologie de la jeunesse par le début de la vie professionnelle, la sortie de la famille d’origine et le mariage54. Parmi les

phénomènes qui ont fait l'objet d'enquêtes dans le domaine de la sociologie de la jeunesse, la formation du couple et la culture juvénile ont occupé une place cruciale55. Dans la Convention

des droits de l’enfant de 1989, l’individualisation obtenue par les femmes s’étend aux enfants avec la reconnaissance de leurs droits56. Dans les débuts de la sociologie de l’enfance, la

socialisation occupait une place centrale, autant dans le monde francophone que dans celui anglophone. À cet égard, la sociologie française a consacré un espace particulier aux médias57.

L’exemple de la Convention des droits de l’enfant met en évidence la tension permanente entre « protection » et « libération ». De Singly décrit des situations où l’enfant agit comme un « roi » à la maison, parce qu’il peut décider en mettant en scène un « monde à l’envers »58.

Le rapport entre morale et permissivité par rapport aux mœurs sexuelles dans la vie juvénile est commenté par Olivier Galland. Dans les années 1980, les résultats des enquêtes relèvent une permissivité plus élevée parmi les jeunes, notamment par rapport à la morale sexuelle sur des sujets comme l’avortement, l’homosexualité, etc.59. Dans le processus de vieillissement, les

individus tendent à être moins permissifs. Les jeunes sont moins influencés par les normes respectées par les adultes. Selon le sociologue de la jeunesse, le libéralisme juvénile repose sur la liberté de choix, indépendamment des conventions sociales, morales ou religieuses. Cela est évident surtout dans les mœurs sexuelles et les opinions sur la sexualité. À cet égard, l’auteur prend acte d’une tension chez les jeunes entre morale privée et publique, laquelle :

53 SINGLY, de, François. Enfants, adultes : vers une égalité de statuts ?. Paris : Universalis, 2004. 54 Ibidem, p. 45-52.

55 Ibidem, p. 16. 56 Ibidem. 57 Ibidem, p. 22.

58 SINGLY, de, François. Les adonaissants. Paris : Armand Colin, 2006. p. 43.

59 STOETZEL, Jean. Les valeurs du temps présent : une enquête européenne. Paris : Presses Universitaires de

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« pourrait signifier la fin d’une idéologie libertaire issue des années 1960, qui mêlait indissolublement demande de liberté dans le domaine des mœurs, critique des institutions et rejet de l’autorité »60.

Enfin, Galland conclut avec une réflexion sur les contrecoups négatifs de la liberté croissante, comme un durcissement des relations parmi les jeunes. Au-delà de ces réflexions sociologiques, au cours de la thèse, nous alternons l’usage des termes « enfant », « adolescent » et « jeune ». Tous ces mots – selon les différentes définitions – se réfèrent à un groupe d’âge étendu compris entre 15 et 35 ans. Nous les distinguons selon les classes d’âge et les contextes. Par exemple, dans les sections où nous avons adopté le répertoire linguistique du secteur juridique, nous avons utilisé le mot « mineur ». D’autre part, l’âge limite établi pour le passage à l’âge adulte change d’un pays européen à l’autre. Pour les références à certaines études scientifiques, nous avons privilégié le terme « jeune ». L'utilisation du mot « jeune » étend le groupe cible de notre thèse, en incluant même les majeurs de 15 ans61 ; par conséquent, nous

ne l’adoptons que pour décrire des phénomènes sociaux étendus à une génération au sens large. Le débat politique emprunte notamment le mot « enfant » en se concentrant sur leur protection et leur éducation.

Un cadre plus clair des tranches d’âge associées aux différents termes de « jeune », « adolescent » et « enfant » est proposé dans la classification suivante, qui regroupe les définitions de plusieurs agences des Nations Unies.

60 GALLAND, Olivier. Sociologie de la jeunesse. Paris : Armand Colin, 2009 [1re éd. 1991], p. 202-203.

61 Les jeunes sont inclus dans les groupes d’âge entre 15 et 24 ans, entre 15 et 32 ans ou entre 15 et 35 ans, selon

les différentes définitions de la jeunesse proposées par les agences des Nations Unies et regroupées dans le tableau 1 (fiche d’information de l’ONU DESA).

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Organisation Âge

Secrétariat des Nations Unies/UNESCO/OIT Jeunes : 15-24 ans ONU/Habitat (Fonds pour la jeunesse) Jeunes : 15-32 ans

UNICEF/OMS/FNUAP Adolescents : 10-19 ans ; Jeunes individus : 10-24 ans ; Jeunes : 15-24 ans

UNICEF/Convention des droits de l’enfant Enfants âgés de moins de 18 ans ; Jeunes : 15-35 ans Tableau 1. Les âges des adolescents et des jeunes selon la Stratégie du PNUD pour la

jeunesse 2014-201762

Le groupe cible de la thèse reste celui déclaré dans le titre : les adolescents âgés entre 15 et 19 ans. Tout en étant consciente que les phénomènes abordés touchent également des tranches d’âge proches, de l’enfance (0-9 ans) et de la première adolescence (10-14 ans), nous retenons que les dernières années de l’adolescence (15-19 ans) sont les plus affectées par la diffusion des contenus sexuels en ligne63.

62 Définition des Nations Unies (Stratégie du PNUD pour la jeunesse 2014-2017 : Autonomisation des jeunes pour

un avenir durable, New York : PNUD, 2014).

63 La distinction entre première adolescence (10-14 ans) et dernière adolescence (15-19 ans) reprend celle de

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1.2. La réception des contenus sexuels