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Le débat public : entre positions libertaires et protectionnistes

Les pratiques des adolescents sur les médias audiovisuels et

1.3. Les contenus sexuels nuisibles pour les enfants dans le débat public européen

1.3.1. Le débat public : entre positions libertaires et protectionnistes

audiovisuels sexuels pour les enfants. Nous tenons à préciser les raisons qui nous ont conduite à exclure les données relatives à la pornographie enfantine de notre analyse initiale. Nous pensons que cet argument, largement traité dans le cadre de notre terrain d’enquête, se réfère à des enjeux de nature différente par rapport au sujet de la réception de la pornographie dans la société occidentale par les adolescents. Bien que nous n’excluions pas de notre analyse les débats parlementaires sur ces questions, nous croyons qu’à ce stade, ces données distrairaient l'attention de notre objet d’étude. Ce n’est pas tant au problème de la maltraitance des enfants par les adultes, comme dans le cas de la pornographie juvénile, que nous voulons consacrer notre énergie, mais plutôt à l'éducation à l'utilisation correcte des médias, même par rapport à leur corps et à la sexualité.

1.3.1. Le débat public : entre positions

libertaires et protectionnistes

Le potentiel innovant d'Internet était déjà visible dans sa phase initiale de conception. Dès lors, il constituait « une technologie trop courageuse », un « projet trop coûteux » et « une initiative trop risquée pour être englobée par des organisations orientées vers le profit ». À l’époque, les agences gouvernementales américaines, les universités et les centres de recherche ont donné naissance à un espace de liberté. Plus tard, cet environnement fondé sur des idéologies libertaires transformera divers secteurs de la société contemporaine107. Cependant,

la rapidité et le pouvoir communicatif de la Toile ont constitué, dès sa première apparition, une préoccupation même pour les organes de contrôle de l'État, puisque Internet est devenu un thème de débat politique international. La structure des technologies en ligne empêchait une censure au niveau national, qui ne passait pas par les routeurs américains où les contenus étaient collectés. Cette limite technologique a fait que le principe de la liberté d'expression, consacré

107 Comme souligné par Manuel Castells dans son livre Galassia Internet, la Toile nait comme la « probable

intersection entre la Big Science, la recherche militaire et la culture libertaire ». CASTELLS, Manuel. The Internet Galaxy. Reflections on the Internet, Business and Society. New York : Oxford University Press, 2001. p. 33.

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par le premier amendement de la Constitution américaine, a été indirectement étendu à d'autres pays occidentaux. Comme Castells l'affirme :

« La seule façon de contrôler l'Internet était de ne pas être sur le Web, et ce fut rapidement un prix trop élevé pour les pays, soit pour des opportunités commerciales, soit pour accéder à des informations globales. En ce sens, Internet a déstabilisé la souveraineté nationale et le contrôle de l’État. »108

Aux États-Unis, une initiative du Congrès et du ministère de la Justice – appelée Communication Decency Act (1995) – a tenté de limiter la liberté d'expression en ligne pour défendre la protection des enfants contre les contenus sexuels nuisibles. Cependant, l’année suivante, cette décision a été déclarée inconstitutionnelle selon l'idée que « le chaos était la base de la liberté ». Une tentative infructueuse ultérieure a été le Child Online Protection Act (COPA) en 1998, visant à proposer des solutions techniques pour la protection des enfants aux fournisseurs même de ces sites ; il s’agit, par exemple, de mots de passe, de vérification de l'âge par carte de crédit, etc. Dans ce texte, la définition des contenus dangereux et nuisibles se limitait au contenu sexuellement explicite, et les solutions proposées étaient technologiques selon une approche nord-américaine, déjà adoptée pour la télévision. Le COPA a été présenté en 1998 par le Congrès et approuvé par la présidence de Bill Clinton. Néanmoins, il a été jugé inconstitutionnel par la Cour de Philadelphie et par la Cour fédérale des États-Unis à l'initiative d'un groupe de militants. La décision a été notifiée dans le premier amendement de la Constitution américaine, qui défend la liberté d'expression. En 2003 seulement, la Cour suprême de Washington a accepté la première limitation de la liberté d'expression en ligne dans les bibliothèques publiques, grâce à des filtres pour la protection des enfants. Cependant, une telle initiative n’est pas étendue aux espaces privés109.

L'idée d'une société du risque, théorisée par Ulrich Beck110, guide le discours sur la

protection de l'enfance vis-à-vis des objets technologiques, avec une attention à la production sociale du risque mise en place par l’industrie culturelle. Selon cette interprétation, les médias sont des producteurs de risques potentiels111. D’autre part, les représentations médiatiques en

Europe influencent la perception d’une prévalence du risque. Cet élément a été mis en évidence par une analyse de contenu relative à la couverture médiatique dans quatorze pays européens

108 Ibidem.

109 FRAU-MEIGS, Divina. Socialisation des jeunes et éducation aux médias. Du bon usage des contenus et

comportements à risque. Toulouse : Érès, 2011. p. 83-84.

110 BECK, Ulrich (1992). Risk society: Towards a New Modernity, London : Sage Publications.

111 JEHEL, Sophie. Parents ou médias, qui éduque les pré-adolescents? Enquête sur leurs pratiques TV, jeux vidéo,

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participant à EUKidsOnline112. De ce fait, l’inquiétude publique peut très facilement se

transformer en panique morale113. Cependant, les préoccupations vis-à-vis de la pornographie

changent beaucoup d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre114. Les récits transmis par les

médias concernent la diffusion de contenus sexuels illégaux produits et diffusés par les adolescents eux-mêmes115. Le débat public aborde trois contenus sexuels nuisant gravement

aux enfants : matériel d'abus, cyberharcèlement et pornographie en ligne116.

L’ère cyberiste, qui succède à l’ère moderniste et postmoderniste, crée un sentiment d’insécurité vis-à-vis des médias, lié à plusieurs facteurs. On assiste alors au « triomphe de la culture visuelle », à la « coévolution croissante entre l’homme et les médias », et au « déplacement des médias d’une société du spectacle (plus ou moins gratuite) vers une société du service (plus ou moins payante) »117. Selon Divina Frau-Meigs, l'émergence de nouveaux

risques exige de rénover les formes de prévention dans un contexte socioculturel libéral118. La

sociologue attribue la prédominance d'une tendance protectionniste à plusieurs facteurs, tels que :

« la nouveauté de l'outil, la présence de contenus en ligne nuisibles et facilement accessibles, ainsi qu'un écho des événements actuels liés aux crimes réels »119.

1.3.2. Les contenus sexuels nuisibles pour les enfants