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Parmi les formes d’encastrement que l’on peut distinguer lors de l’analyse de l’action économique, l’encastrement politique met en évidence l’incidence de la sphère politique sur la prise de décisions des individus. La prise en compte de l’encastrement politique passe alors par l’étude des relations de pouvoir accordées par le système politique (3.1). De plus, elle implique de ne pas limiter l’analyse de l’action économique au seul phénomène marchand mais d’avoir une conceptualisation plurielle de l’économie où les principes du marché, de redistribution et de réciprocité sont imbriqués entre eux (3.2).

118 On peut citer pour l’aspect politique la référence à la pluralité des modalités de l’échange (Le Velly, 2002, p. 43) tandis que l’aspect cognitif est abordé à travers le rôle des outils dans la formation de la connaissance des agents économiques (Le Velly, 2002, p. 41).

119 On retrouve la conception de l’encastrement politique de S. Zukin et P. Di Maggio (1990).

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Ce type d’approche a été véritablement développé selon M. Granovetter par la : « nouvelle sociologie

économique francophone » (M. Granovetter, 2000, p. 39).

121 La qualification d’« informelle » provient de la distinction effectuée par D. North dans sa présentation du concept d’institution (North, 1994). Cette catégorie correspond à la définition de l’institution culturelle présente chez R. Le Velly (2002). On utilisera par la suite les deux termes de façon identique.

3.1. L’influence de la sphère politique sur le comportement économique.

Pour S. Zukin & P. Di Maggio, la référence à l’encastrement politique permet de décrire : « la

manière par laquelle les institutions économiques et les décisions sont formées par une lutte pour le pouvoir qui implique les acteurs économiques et les institutions non marchandes, telle que l’état à un niveau national et local, les groupes d’intérêt et les classes sociales » (Zukin

& Di Maggio, 1990, p. 20). Par conséquent, il s’agit d’intégrer dans l’analyse des comportements économiques le rôle joué par les autorités publiques pour modifier le cadre des relations marchandes (Hardy & al., 2005, p. 281).

Ce type d’analyse, notamment présent dans la sociologie économique marxiste122, remet au cœur de l’analyse sociologique l’influence des structures sociales stables et les relations objectives de pouvoir accordées par le système politique (Bourdieu, 1997, p. 55). Dès lors, toute explication reposant sur un monde dans lequel les marchés existeraient indépendamment de toute action publique ne peut être qu’erronée. L’Etat n’est pas uniquement un : « régulateur chargé de maintenir l’ordre et la confiance » (Bourdieu, 1997, p. 59). Il contribue directement dans le champ économique à l’élaboration de l’offre et de la demande123. De part son action, il peut, par exemple, procurer des avantages aux entreprises en élaborant des règlements, en soutenant l’investissement124 de secteurs jugés stratégiques pour le devenir du pays. Cette intervention décisive de la puissance publique agit par conséquent plus ou moins directement sur les rapports de force entre les acteurs économiques. D’où l’existence d’une compétition accrue entre ces acteurs pour obtenir un pouvoir d’action sur l’Etat qui permet de modifier à son avantage les règles du jeu.

L’analyse des liens étroits qui unissent l’économie et l’Etat contribue à décrire les modalités de la construction sociale des marchés. C’est ce que met en évidence l’étude de l’émergence des nouvelles industries aux Etats-Unis réalisée par N. Fligstein (2001). Alors que la représentation de l’économie américaine repose bien souvent sur l’idée de la libre entreprise, dans laquelle l’intervention publique est limitée, la réalité est toute autre, avec un Etat fédéral

122 R. Swedberg rappelle que de nombreux travaux néo-marxistes sur l’Etat soulignent les interactions entre les milieux d’affaires et l’Etat dans certaines situations (Swedberg, 1994, p. 168)

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Pour P. Bourdieu, le champ économique est habité plus qu’aucun autre champ par : « l’Etat qui contribue, à

chaque moment, à son existence, à sa persistance, mais aussi à la structure des rapports de force qui le caractérise » (Bourdieu, 2000, p. 25)

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Le grand emprunt lancé par l’Etat et présenté par le Président de la République le 15 décembre 2009 constitue un exemple actuel de ce type d’intervention publique.

qui intervient de façon continue dans l’économie et ce de trois façons. Tout d’abord, il élabore le cadre juridique qui détermine le niveau de fiscalité, les rapports sociaux ou bien encore le niveau de concurrence. Puis, il agit directement en achetant des produits pour soutenir l’activité des entreprises. Enfin, il participe au financement des recherches privées et universitaires ainsi qu’au développement d’infrastructures publiques utiles pour les entreprises (Fligstein, 2001, p. 4).

Cette implication des pouvoirs publics dans le fonctionnement des entreprises et des marchés se retrouve aussi dans le programme de recherche de la Socio-Economie125. L’hypothèse centrale de ce programme, assez proche de la Nouvelle Sociologie Economique, consiste à considérer que les économies sont enfouies au sein d’une société qui contient des institutions spécifiques éthiques et politiques. A titre d’illustration, A. Etzioni propose d’expliquer le niveau de concentration industriel non pas comme le seul résultat de changements dans les stratégies économiques mais aussi comme le reflet de modifications dans les activités politiques des acteurs économiques (Etzioni, 1986a, p. 16).

3.2. La nature plurielle de l’économie.

A la différence de l’encastrement étayage de M. Granovetter, limité à une économie marchande (Laville, 2004, p. 13), la référence à l’encastrement politique permet de s’intéresser à une économie dite : « plurielle ». En ce sens, les travaux de la nouvelle sociologie économique francophone (Granovetter, 2000, p. 39) semblent partager la même définition de la notion d’encastrement que celle utilisée par K. Polanyi pour décrire la diversité des principes économiques126

. Ainsi, à la différence de la branche anglo-saxonne de la Nouvelle Sociologie Economique qui se focalise sur les échanges marchands, le courant

125 La Socio-Economie, qui trouve son origine dans les travaux fondateurs d’A. Etzioni, doit sa naissance en grande partie à la volonté d’avoir une approche des problématiques économiques interdisciplinaires. En effet, face à la complexité du comportement économique, l’erreur du paradigme néoclassique repose sur le principe de mono-dimensionnalité du sujet humain. Pour éviter cet écueil, le programme proposé par la Socio-Economie cherche à avancer dans la compréhension du comportement économique à travers une large palette de disciplines académiques (économie, sociologie, histoire, droit, anthropologie, philosophie). Il ne s’agit pas d’analyser l’économie en circuit fermé mais au contraire dans ses interactions, enracinements et complémentarités avec le monde social et politique, les institutions, la culture, les émotions, les valeurs. Par exemple, A. Etzioni démontre que le niveau de concentration industriel est déterminé en partie par l’ampleur avec laquelle le domaine économique est isolé de celui du politique (Etzioni, 1986a, p. 16)

126 J.L. Laville opère un rapprochement entre les thèses développées par K. Polanyi et M. Mauss. Selon lui, M. Mauss : « reconnaît la pluralité des formes de propriété et insiste sur le fait que l’organisation économique est

francophone insiste sur la poursuite de l’approche substantive de K. Polanyi en s’intéressant à la pluralité des formes prises par l’économie : marchande, non marchande et non monétaire (Lévesque & al., 1997). Cette approche fournit ainsi une clé de lecture plus exhaustive pour appréhender l’économie en dépassant sa seule vision marchande afin d’y ajouter deux autres pôles économiques.

Elle propose d’intégrer le principe de redistribution propre à l’économie non marchande et mise en œuvre par l’action publique. A cela s’ajoute, un dernier pôle, caractérisé par une économie non monétaire, regroupant à la fois le principe d’administration domestique et celui de la réciprocité. On retrouve, dans ce dernier pôle, toute une partie de l’économie liée à la pratique du don et contre-don, à l’autoproduction.

Dès lors, et bien que l’économie marchande apparaisse désormais comme le pôle principal pour réguler les comportements économiques, l’approche plurielle rappelle que ces mêmes comportements peuvent être orientés par des principes de redistribution et de réciprocité, les trois pôles étant imbriqués. Le cas de l’entreprise sociale est à ce titre révélateur de cette hybridation entre les trois pôles. Dans ce type d’entreprise, l’action d’entreprendre, qui est née d’une initiative citoyenne, n’est pas déterminée par la recherche du profit mais par la volonté d’apporter un service à la collectivité. Toutefois, la pérennité de l’entreprise sociale passe par le développement d’échanges marchands et l’obtention d’un financement public (Laville & Nyssens, 2003).

A travers la pluralité des principes, on retrouve clairement l’héritage de la thèse de K. Polanyi, reposant sur l’utopie d’une économie désencastrée dans les sociétés industrielles. En effet, face à la tendance, dans nos sociétés modernes, au désencastrement de l’économie autorisé par une sphère marchande grandissante, les acteurs n’ont de cesse d’agir afin d’assurer le réencastrement de l’économie en développant notamment le secteur associatif ou en élaborant un : « Etat social protecteur » (Laville, 2002, p. 49).

L’implication de la sphère politique dans une économie plurielle démontre finalement que la compréhension de l’action économique passe nécessairement par la description des luttes politiques existant entre les acteurs afin d’obtenir un niveau de pouvoir suffisant pour influencer les structures sociales.