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Les critiques adressées au modèle d’encastrement de M. Granovetter

Section 2. L'encastrement relationnel et structural de M. Granovetter

2.3. La nécessité de dépasser l’encastrement « réticulaire »

2.3.1. Les critiques adressées au modèle d’encastrement de M. Granovetter

2.3.1. Les critiques adressées au modèle d’encastrement de M. Granovetter.

Le positionnement scientifique de M. Granovetter explique en partie les critiques dont il a été l’objet au sein même de la sociologie. Sa volonté de pénétrer le cœur de l’analyse économique pour soulever les limites de la théorie néoclassique a visiblement amené M. Granovetter à trop se focaliser sur l’économie marchande (a). Par ailleurs, son souhait de s’inscrire dans un entre-deux théorique l’a conduit à réduire ses premiers travaux sur l’encastrement des échanges marchands à la seule structure du réseau de relations personnelles (b).

a) L’économie ne se limite pas au seul principe marchand.

M. Granovetter incarne l’opposition de la sociologie économique à l’idée d’une autonomisation du comportement économique dans les sociétés modernes (Granovetter, 1985, p. 482). Alors que l’économie orthodoxe se réfère à une situation imaginaire caractérisée par l’absence de relations sociales, M. Granovetter démontre la nécessité de considérer l’influence des réseaux de relations sociales sur les phénomènes économiques. Ce positionnement théorique va cependant conduire M. Granovetter à circonscrire ses travaux à l’étude de la construction sociale des marchés et à délaisser d’autres formes d’échange comme ceux rencontrés dans l’économie sociale et solidaire.

Cette critique, présente dans la sociologie francophone, a d’ailleurs été reconnue par M. Granovetter dans son : « Introduction pour le lecteur français » (Granovetter, 2000). Il cite, à

ce propos, le reproche que lui fait J-L. Laville quant à sa : « recherche en termes

d’encastrement sur l’économie de marché moderne [qui] implique que le marché est le seul principe agissant dans ce type de société […] » (Granovetter, 2000, p. 38). M. Granovetter

poursuit alors en soulignant l’intérêt de l’approche plurielle de l’économie réalisée par la sociologie francophone. En effet, il s’avère pour lui intéressant de penser que l’action économique ne se cantonne pas au seul échange marchand mais implique à ce titre d’autres principes, comme la redistribution ou la réciprocité105

.

En faisant cette première mise au point, M. Granovetter accepte finalement de se rapprocher de la sociologie économique francophone en élargissant la notion d’encastrement « réticulaire » à l’encastrement politique (Granovetter, 2000, p. 39).

b) Une pluralité de configurations.

Le reproche majeur qui est fait à M. Granovetter est d’avoir opté pour une vision trop étroite de la notion d’encastrement en se focalisant sur les contraintes exercées par le réseau de relations sociales. Or, s’il est important de regarder le rôle joué par l’encastrement structural, ce dernier doit être complété par l’idée que l’ensemble des actions conduites par les individus, y compris les actions économiques, évolue à partir de configurations multiples : sociales, politiques, cognitives, institutionnelles.

Pour P. Bourdieu, le fait de déplacer le niveau d’analyse de l’agent économique à celui du réseau, n’a finalement que peu d’intérêt, car ce type d’approche interactionniste ignore : « la

contrainte structurale du champ […] faisant ainsi disparaître tous les effets de structure et toutes les relations objectives de pouvoir » (Bourdieu, 1997, p. 55). Dans sa réponse, M.

Granovetter évoque un malentendu dans l’interprétation de ses travaux. Pour lui, l’analyse en termes de réseaux sociaux n’ambitionne pas de traiter ce niveau d’étude en dehors de son cadre social. Il regrette d’ailleurs la tendance de certains travaux sur les réseaux sociaux à se concentrer sur des détails au détriment de problématiques sociologiques plus générales (Granovetter, 2000, p. 35).

Par ailleurs, en se fixant pour cadre d’analyse le réseau, M. Granovetter semble avoir évacué de ses travaux les contraintes culturelles exercées sur l’action sociale des individus (Barber,

105

On retrouve la distinction opérée par K. Polanyi entre les trois pôles présents dans les sociétés : l’économie marchande, l’économie non marchande et l’économie non monétaire.

1995, p. 406). V. Zelizer106 souligne à ce titre que la culture n’est introduite par M. Granovetter que de façon exceptionnelle dans des situations : « qui sont d’évidence un défi à

la rationalité économique, tel le système du pourboire » (Zelizer, 1992, p. 10). Il préfère

retenir, à l’époque (Granovetter, 1981), l’hypothèse d’action rationnelle orientée vers des buts différents à celle de l’application systématique de règles culturelles. Il explique à ce sujet que sa réticence à intégrer dans son explication les aspects culturels est en partie liée à son parcours universitaire en tant que doctorant à l’université d’Harvard. A cette époque, M. Granovetter était en : « rébellion contre ce qui représentait alors l’orthodoxie dominante en

sociologie, à savoir les travaux de Talcott Parsons » (Granovetter, 2000, p. 34). Cette

dissidence organisée autour du professeur H. White s’est alors traduite par une approche sociologique focalisée sur le fonctionnement des réseaux sociaux. Ce positionnement intermédiaire du niveau mésoéconomique constituait la nouvelle voie de recherche à développer pour M. Granovetter. Elle supprimait le risque de cantonner l’étude des actions sociales aux seules incitations individuelles, vidées de toutes contraintes sociales. Mais, dans le même temps, elle permettait de proposer une analyse nouvelle qui n’était plus tenue de faire référence aux valeurs, symboles, normes et aux éléments de culture appliqués au niveau de la société pour appréhender les comportements économiques.

Toutefois, il semble que M. Granovetter soit depuis revenu sur cette position et se soit rangé derrière la proposition de V. Zelizer qui consiste à concilier l’approche socio-structurelle et la dimension culturelle (Zelizer, 1992, p. 10). Il en donne une illustration concrète en réalisant la critique de son article sur les « modèles de seuils » dans son : « Introduction au lecteur

français » (Granovetter, 2000). Il admet que le souhait pour un individu de participer avec les

membres de son groupe à une émeute n’est pas nécessairement le résultat d’un calcul coûts-avantages mais qu’il peut être, au contraire, guidé par des normes culturelles (Granovetter, 2000, p. 40). L’évolution de la posture de M. Granovetter est donc très significative. Elle lui permet désormais d’élargir sa définition de la notion d’encastrement de l’action économique en y ajoutant l’impact des forces politiques et culturelles.

106 V. Zelizer est considérée comme un des auteurs principaux de la Nouvelle Sociologie Economique (Swedberg, 1997, p. 166). Nous aurons l’occasion de revenir sur ses travaux lors de l’analyse de l’encastrement institutionnel informel (section 5).