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La confiance à l’épreuve de la structure et de la taille du réseau

Section 2. L'encastrement relationnel et structural de M. Granovetter

2.2. Encastrement et confiance dans les relations marchandes

2.2.3. La confiance à l’épreuve de la structure et de la taille du réseau

A la différence du capital humain qui est attaché au savoir et aux connaissances propres à l’individu, le capital social n’existe qu’au travers des relations de l’individu avec les autres membres du réseau (Coleman, 1988, p. S101). Ainsi, cette ressource mobilisée par les individus pour faciliter les échanges avec le reste de la communauté est fonction de la structure et de la taille du réseau.

Si l’on considère que le capital social d’un individu dépend de la force des liens qu’il détient avec les autres membres du groupe, on en déduit que plus la densité du réseau est forte, plus son capital social est élevé. Partant de ce principe, il est manifeste que la forme prise par le réseau vient directement agir sur le capital social des individus à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, la position des individus dans le réseau est rarement la même pour tous. Certains individus ont une position plus profitable dans le réseau car ils assurent le « pont104»

102 Le Monde (16 décembre 2008).

103 Dans ce système, les investisseurs étaient rémunérés grâce à l’apport effectué par de nouveaux investisseurs et non par le produit des placements effectués.

104

Un pont correspond à une : « ligne dans un réseau, qui constitue le seul chemin possible reliant deux points » (Granovetter, 1973, p. 1364).

entre différents groupes. Ce type de position leur procure davantage de capital social car ils arrivent à mobiliser plus facilement les membres des groupes en profitant notamment de « structural holes » (Burt, 1992). Les absences de relations procurent à celui qui joue l’intermédiaire une autonomie en matière de contrôle de flux d’information et de coordination des actions entre les groupes (Burt, 1995, p. 602). De ce fait, l’acteur qui détient un réseau où de nombreux trous structuraux sont recensés profitera d’un capital social supérieur au reste des individus des groupes.

M. Granovetter parle, quant à lui, de : « liens faibles » (Granovetter, 1973) pour caractériser les relations assez éloignées qui permettent d’obtenir des informations utiles à l’intérieur d’un réseau de liens forts. Il se base notamment sur une enquête réalisée à Boston sur des cadres et des techniciens dans laquelle il établit que les individus privilégient dans leur recherche d’emploi les informations obtenues par contacts personnels plus que par d’autres moyens formels. Dans cette étude, on découvre que les emplois sont majoritairement obtenus grâce aux liens faibles (anciens camarades d’université, anciens collègues) plutôt que par l’intermédiaire de liens forts (famille, amis). Ce constat se justifie par la fonction de « pont » que jouent les liens faibles. Ils assurent à l’individu l’accès à une information différente de celle obtenue dans son groupe (Granovetter, 1973, p. 1371). Les liens faibles permettent aux individus de profiter d’opportunités de mobilité en passant d’un réseau à un autre, participant à une plus grande cohésion entre les groupes.

Ensuite, il ressort que certaines structures sociales, selon qu’elles sont ouvertes ou fermées, sont plus ou moins propices à l’apparition de comportements respectueux de normes élaborées par la communauté. En partant de situations simples, J. Coleman souligne ainsi que les structures sociales fermées encouragent plus facilement l’apparition de normes et leur respect par les individus, que dans le cas de structures ouvertes (Coleman, 1988, p. S105). L’explication se trouve dans la force de la contrainte différente selon la forme de la structure. Dans le cas de structures ouvertes, face à la défection d’un des membres du réseau, l’effet de réputation n’a pas vraiment d’impact et il n’est pas évident que le réseau applique une sanction collective. Cette dernière ne peut provenir que de l’individu auprès duquel le « traître » a créé une obligation (Coleman, 1988, p. S 108). A l’inverse, dans le cas d’une structure fermée, une sanction peut être envisagée en cas de non respect des normes établies. On peut en conclure que le capital social des individus aura plus tendance à s’accroître dans

les structures fermées par rapport aux structures ouvertes car les acteurs auront la possibilité de se coordonner pour sanctionner un membre déviant.

Enfin, la taille du réseau joue elle aussi sur la capacité des relations sociales à favoriser la confiance dans la vie économique. Ainsi, un réseau très dense, comme on peut le rencontrer dans les communautés restreintes, se caractérise par de nombreux liens tissés entre les membres. Il est donc plus difficile pour l’un des membres d’avoir un comportement opportuniste sans encourir le risque d’être sanctionné immédiatement par le reste du groupe. Cependant, à mesure que la taille du groupe progresse, la cohésion entre les membres est plus délicate en raison d’une fragmentation du réseau (Granovetter, 1990, p. 100). Dès lors, il faut s’attendre à ce qu’il y ait plus de comportements opportunistes dans les grands groupes que dans les petites communautés où les rapports personnels sont plus présents. Dans la mesure où le respect de la norme de réciprocité (Coleman, 1988, p. S102) est fonction de la confiance de voir B rendre à A le crédit que celui-ci lui avait accordé dans le passé, une diminution du coût de retrait rend plus fragile le mécanisme de réciprocité (Mantzanivos, 2008, p. 132).

On voit dans la perspective développée par M. Granovetter que les relations sociales ne sont pas cantonnées à un rôle marginal ou perturbateur, comme le pensent les économistes orthodoxes. Au contraire, les relations sociales y sont interprétées comme une des conditions nécessaires à l’apparition de la confiance sans pour autant constituer une barrière définitive aux agissements opportunistes.

Finalement, les réseaux de relations personnelles peuvent être pensés comme des ordres sociaux spécifiques qui assurent un arbitrage permanent entre confiance et opportunisme lors de la réalisation des échanges marchands.

En définitive, en considérant que l’action économique est encastrée dans des réseaux permanents de relations personnelles, M. Granovetter s’oppose véritablement à une conception atomisée du comportement économique des agents, jugée insuffisante pour rendre compte de la diversité des marchés. Il privilégie une approche qui analyse la manière dont la structure des relations interpersonnelles affecte les comportements économiques et construit les institutions économiques (Granovetter, 2000, p. 204).