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F i g 6.13 : Résultats du cadre de Cardington

Chapitre 8 ELEMENTS SOLIDES

8.2 ELEMENTS SOLIDES 3D

Lorsqu'on indiquait, au paragraphe précédent, que les éléments solide sont d'utilisation restreinte, on a bien précisé que c'était vrai pour les calculs traitant les équations d'équilibre statique. En ce qui concerne les aspects liés aux problèmes thermiques, l'élément solide diffusif est évidemment abondamment utilisé. Comme le traitement du problème thermique a été discuté en détail au chapitre 4, il n'y a pas lieu de revenir ici sur les questions liées au type d'élément utilisé.

Concernant les questions liées à l'équilibre de la structure, une des raisons principales qui limitent fortement l'utilisation de l'élément solide a déjà été évoquée au chapitre 3 ; elle a trait aux lois constitutives. Ce n'est pas tant la formulation des lois constitutives qui pose problème. Par certains égards la formulation est plus simple en cas de sollicitation triaxiale que dans le cas restreint d'un état plan. C'est surtout au niveau de l'identification expérimentale des paramètres des lois que se pose le problème essentiel.

L'examen de la littérature devrait permettre d'apporter certaines réponses en ce qui concerne l'acier, car les pièces à caractère tridimensionnel soumises à des températures élevées ne sont pas rares dans des applications de type mécanique. On doit cependant garder à l'esprit que les aciers utilisés pour ces pièces mécaniques travaillant à température élevée sont très différents des aciers de construction ordinaire, mais aussi le fait que l'échelle de temps est souvent très différente. Il n'y a aucune commune mesure entre la durée de fonctionnement des aubes d'une turbine et la durée d'un incendie. De plus, les cas où il est nécessaire d'étudier la répartition des contraintes et la transmission des efforts en tenant compte de l'aspect tridimensionnel sont assez rare dans les bâtiments.

En ce qui concerne le béton, les résultats expérimentaux sont encore à établir pour des sollicitations triaxiales et des températures représentatives de ce qui se produit en cas d'incendie. Les informations provenant des recherches liées à la sécurité des enceintes de confinement des réacteurs nucléaires sont difficilement exploitables. En service, les températures sont de loin inférieures à celles qui sont induites par un incendie. En cas d'accident, l'échelle de temps est encore fort différente, de l'ordre de plusieurs dizaines d'heures au moins, voir [KI93] par exemple. De plus, les épaisseurs des parois en question, de

l'ordre de deux mètres, et la présence, dans certains cas, d'une peau d'étanchéité intérieure métallique, le liner, donnent à presque tout le matériau de la structure un caractère confiné vis-à-vis des échanges hydriques. Le comportement du matériau est tout différent de celui qu'il aurait dans une structure de bâtiment où les épaisseurs caractéristiques sont de l'ordre du décimètre, ce qui permet au matériau d'avoir des échanges avec l'air ambiant pendant toute sa durée de vie précédant l'incendie et, surtout, durant l'incendie. Les recommandations les plus récentes de la RILEM sur les méthodes d'essais à température élevée marquent d'ailleurs très clairement la distinction entre deux manières de procéder, sealed ou unsealed, suivant qu'on cherche à caractériser l'un ou l'autre des deux comportements [RI97].

On a expliqué que certaines approximations avaient été introduites lors de la modélisation du béton en état plan de contrainte à haute température. On a, par exemple, utilisé le critère d'écoulement de Von Mises plutôt que celui de Drucker-Prager. Pour l'état plan de contrainte, on dispose de certains résultats d'essais expérimentaux qui permettent d'apprécier le degré d'approximation. En état triaxial, par contre, il n'est pas possible d'estimer le degré d'exactitude d'un critère de rupture pour lequel on opterait, puisqu'on ne dispose d'aucun résultat d'essai. D'après les connaissances acquises sur le comportement du béton à température ambiante, il est fort probable que la surface de Von Mises ne conviennent plus du tout pour représenter le comportement triaxial du béton à température élevée. En effet, l'incompressibilité des déformations plastiques associées à cette surface est en totale contradiction avec le comportement expérimental où on remarque que le cisaillement admissible avant rupture augmente avec la contrainte hydrostatique. L'une des surfaces les plus employées pour représenter le comportement triaxial du béton à 20°C est celle du modèle proposé initialement par Willam et Warnke [WI74], et quelque peu reformulé par Chen [CH88]. Ce modèle est caractérisé par 5 paramètres dont 2 sont accessibles par des essais uniaxiaux, la résistance à la traction ft et la résistance à la compression fc, 1 est accessible par

un essai biaxial, la résistance en compression-compression fbc, et les deux derniers

nécessitent des essais triaxiaux pour caractériser le confinement. Ces essais triaxiaux doivent être réalisés pour deux valeurs différentes de l'angle de Lode afin de caractériser la non symétrie de la surface par rapport à l'axe hydrostatique. Dans nombre de publications, on donne à ces deux derniers paramètres des valeurs qui paraissent arbitraires. Elles sont en tout cas rarement justifiées, si ce n'est par la force de l'habitude, la référence à des publications antérieures ou, dans le meilleur des cas, à quelques essais anciens.

Tout calcul d'une structure soumise à des températures élevées qui serait basé sur un modèle où le comportement triaxial serait extrapolé à partir des seuls essais biaxiaux, en utilisant une surface de Drucker-Prager, serait pure spéculation.

Connaissant les difficultés importantes, le temps nécessaire et le coût des essais uniaxiaux à haute température, considérant les difficultés énormes rencontrées par Ehm pour réaliser ses essais biaxiaux, on peut imaginer les problèmes à résoudre avant d'obtenir des résultats d'essais triaxiaux auxquels on puisse accorder une certaine confiance.

Même en se limitant à des lois constitutives très simples, une autre difficulté apparaît, liée au nombre de degrés de liberté de la structure à étudier. Si on compare une structure plane comptant N noeuds dans chaque direction à une structure tridimensionnelle comptant aussi N noeuds dans chaque direction, on constate que le nombre de D.D.L. de la structure

passe de 2 N², pour la première à 3 N³, pour la seconde. Si le temps de calcul est proportionnel au carré du nombre de D.D.L., le rapport des temps nécessaires est de 9 N6 / 4 N4 = 2.25 N². Cette valeur ne tient pas compte de l'augmentation de la largeur de bande créée par le passage à la troisième dimension. Pour une petite structure ne comptant qu'une vingtaine de noeuds dans chaque direction, le temps de calcul est multiplié par 1000. Bien entendu, ce rapport existe aussi pour des structures qui sont analysées de manière élastique à température ambiante mais, en cas d'incendie, la résolution du problème est menée par un processus pas-à-pas avec itérations d'équilibre à chaque pas. Il n'est pas rare, pour des problèmes courants, de devoir résoudre environ 200 fois le système d'équations pour simuler une heure d'exposition à l'incendie. Considérant 10 minutes comme ordre de grandeur du temps de calcul nécessaire pour résoudre un problème 2D, on arrive en multipliant par 1000, à une semaine pour un problème 3D !

Or, ce nombre de 20 éléments dans chaque direction est un minimum en-dessous duquel il n'est plus de structure analysable. L'exemple de la colonne en béton armé circulaire présenté au paragraphe 4.4 est une exception. En se limitant au cas d'une charge parfaitement centrée et en ne prenant pas le flambement en compte, on a pu profiter de la symétrie longitudinale, en plus de la symétrie circonférencielle. En réalité, la partie de la structure étudiée ne constitue pas vraiment un corps 3D mais s'apparente plus à un état plan de déformation. A Zurich, Borgogno a tenté d'étudier le comportement local d'un hourdis précontraint alvéolé près de son appui. Le nombre de 20 éléments sur l'épaisseur du hourdis paraît raisonnable. Longitudinalement, si on s'interdit, comme il convient, d'utiliser des éléments trop allongés, il faut probablement en compter le double pour s'écarter suffisamment de la zone perturbée. Transversalement, il existe plusieurs plans de symétrie verticaux passant, alternativement, au centre des âmes et au centre des alvéoles. Il semble qu'une vingtaine d'éléments puissent aussi convenir pour représenter la partie d'un hourdis qui va d'un plan alvéolaire à un plan d'âme voisin. Se pose alors la question des conditions aux limites. Si, sur la figure 8.1, l'arrête GF constitue l'appui, aucune condition de déplacement ne sera imposée à la face inférieure GFC, à la face supérieure ABDE, ni à l'extrémité libre du hourdis DEFG. Quelles conditions faut-il imposer à la face ABC où on a fait la coupure avec le reste du hourdis ? Peut-on y imposer la condition cinématique de Bernouilli et une répartition de contraintes de cisaillement parabolique sur la hauteur, en comptant sur le fait que cette face soit suffisamment éloignée de la zone d'intérêt, c'est-à-dire l'appui ? Il serait en tout cas assez coûteux d'étendre la discrétisation jusqu'au centre du hourdis, là où se trouve un plan de symétrie. Les conditions à imposer sur les faces latérales EBCF et GDA sont les plus importantes. Si on bloque totalement les déplacements horizontaux, on fait naître dans le hourdis un frettage énorme qui résulte de la dilatation empêchée. Quelques calculs simples montrent que, pratiquement, il n'existe jamais de structure environnante assez rigide pour assurer un tel bridage. Faut-il alors imposer une condition cinématique de type Bernoulli sur chacune des deux faces ? Ce faisant, on empêche l'apparition des déformations de cisaillement transversal qui, selon certaines hypothèses, pourraient jouer un rôle dans le mode de rupture de cette zone d'appui. Pour y avoir accès, il faudrait idéalement représenter la moitié de la largeur de toute la dalle, c'est-à-dire peut-être 3 mètres ou plus dans la direction de l'axe GF ! Y penser, c'est déjà y renoncer.

Fig. 8.1 : Extrémité de hourdis alvéolé

Cet exemple montre que, pour maintenir la taille du problème dans des limites acceptables, il est nécessaire de poser des hypothèses sur les conditions limites aux endroits où on a effectué des coupes. Comme ces hypothèses ont une influence directe sur les résultats, celui-ci peut varier du tout au tout en fonction des choix qui ont été posés et il est souvent difficile d'être sûr de la validité absolue des hypothèses admises.

Des deux raisons mentionnées pour expliquer les difficultés qui restent à résoudre pour envisager la modélisation volumique des structures soumises au feu, c'est celle ayant trait au manque de données expérimentales qui est la plus forte.

En effet, concernant la taille des problèmes et les temps du calcul, il est toujours possible de s'armer de patience et d'attendre, soit que les simulations se déroulent durant le nombre de jours nécessaires sur les ordinateurs actuels, soit que les fabricants mettent à notre disposition des machines au rapport performance/prix encore plus élevé. L'évolution dans ce sens ne s'est jamais interrompue depuis l'avènement de l'informatique et on n'en imagine pas encore la fin. De manière plus pratique, on pourrait aussi avoir recours à des techniques de résolutions spécifiquement adaptées aux gros systèmes d'équation, voire à des super- ordinateurs vectoriels. Quelles que soient les solutions que l'on pourrait adopter pour s'affranchir des temps et des coûts de calcul, la méconnaissance du comportement réel du béton en situation triaxiale aux températures élevées est absolument rédhibitoire. Si, à l'heure actuelle, aucune recherche n'a été entreprise pour répondre aux questions posées sur le comportement du béton, c'est probablement parce que la demande n'existe pas. De telles recherches constitueraient certainement un défit sur le plan expérimental et la modélisation théorique poserait certainement des problèmes théoriques très difficiles, propres à attirer l'intérêt des scientifiques. Le coût de ces travaux, et le fait que leur finalité les apparente plus à de la recherche appliquée, rend très improbable la libération des fonds nécessaires de la part des seuls pouvoirs publics. Or, les intérêts privés qui devraient impérativement être associés à

ce type de recherche semblent estimer, probablement à raison, qu'il existe encore bon nombre de problèmes à résoudre en cas d'incendie, même dans le domaine du comportement des structures dites simple, avant de s'attaquer à celui-là. A quoi servirait de modéliser le comportement 3D d'une zone restreinte de la structure à l'heure où, par exemple, il n'existe pas encore de méthode vraiment satisfaisante pour le dimensionnement des colonnes en béton armé ?

Car, à supposer que les deux obstacles soient levés, aussi bien celui du comportement des matériaux que celui du temps de calcul, on n'entrevoit même pas la possibilité dans un avenir prévisible de calculer l'ensemble d'une structure ou d'une sous structure à l'aide d'éléments solides 3D. A tout dire, on n'en voit pas l'intérêt non plus. Ce genre de simulation sera toujours réservé à des travaux de recherche visant à mieux appréhender un mode de résistance ou de rupture local. Ce sont les éléments orientés qui resteront d'application pour les modélisations de structures à réaliser dans des cas concrets. Voilà peut-être aussi une des raisons pour lesquelles l'intérêt des constructeurs, au sens large, ne se porte pas sur la modélisation volumique.

Les considérations précédentes expliquent pourquoi l'élément solide 3D a surtout été développé dans le programme SAFIR en vue de réaliser des calculs thermiques et pourquoi, vraisemblablement, il en sera encore ainsi dans le futur.