Chapitre 1.2 : La construction européenne
1.2.6 Effondrement soviétique, nouvelle donne européenne
Les années 60 et 70 marquent un tournant dans la guerre froide et le régime des blocs
alignés. Les deux puissances rivales sont en crise, sur fond de décolonisation. Les États-Unis
de Lyndon B. Johnson sont englués dans la guerre du Vietnam, et la société américaine divisée :
aux multiples contestations antiguerres et pacifistes s’ajoute le puissant mouvement des droits
civiques (Zinn, 2002). L’URSS de Brejnev quant à elle fait face aux revendications d’un
« socialisme à visage humain» dans ses républiques satellites d’Europe de l’Est : elle répond
par les blindés
114. Bien que les relations entre les blocs se soient détendues, Ouest et Est font
face à une certaine crise de légitimité de leur puissance tutélaire respective.
Côté soviétique, le système paraît à bout de souffle dans les années 80. Son système de
production est jugé pourrissant et gangrené par l’industrie militaire, sa structure de pouvoir
rigide, bureaucratique et corrompue. La société civile est en butte à la répression et à l’absence
d’espace publique autonome du parti unique. Symboliquement enfin, l’URSS devient de plus
en plus incapable d’inspirer ses populations qui cherchent des recours idéologiques à l’Ouest,
mais aussi dans le nationalisme ou la religion. Ce processus produit les mêmes effets dans les
républiques satellites, de plus en plus difficiles à brider, et les tentatives d’un socialisme
alternatif qui y sont nées ont été tuées dans l’œuf d’une main de fer (Besançon et ali, 1988).
L’arrivée au pouvoir de Gorbatchev et sa volonté réformatrice exprimée dans la
perestroïka
115et la glasnost
116ne permettront pas d’inverser cette dynamique (Werth, 2013). Il
apparaît que ce déclin inexorable n’a pas été réellement anticipé, ni en interne, ni parmi les
commentateurs extérieurs, sauf à de rares exceptions, notamment par George F. Kennan au
service de la pensée stratégique étatsunienne (Kozovoï, 2012).
En 1989, la République populaire de Hongrie, dirigée par des cadres réformateurs,
accepte le multipartisme, exige le départ des troupes soviétiques et ouvre sa frontière avec
l’Autriche, créant une brèche dans le rideau de fer (Krakovsky, 2017). Le parti communiste
s’auto-dissout, une transition s’amorce. La Hongrie initie le mouvement qui conduira trois ans
plus tard à la dissolution de l’URSS. La même année, le mur de Berlin s’effondre sous les coups
de masse des populations de part et d’autre, le régime de la RDA s’effondre et la réunification
allemande est proclamée l’année suivante (Berstein et Milza, 2014). En Pologne, Solidarnosc
triomphe électoralement après une décennie d’opposition extra-institutionnelle, mettant un
114 Notamment en réprimant le printemps de Prague, références citées précédemment.
115 Politique de réforme visant un regain et une réorganisation économique.
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terme à la République populaire de Pologne (Krakovsky, 2017). En Tchécoslovaquie, la
révolution de Velours démet du pouvoir le parti ; la dissolution de la Tchécoslovaquie populaire
sera suivie par la dissolution de la Tchécoslovaquie qui donnera naissance aux États voisins et
jumeaux de la République tchèque et de la République slovaque (Marès, 1995). En Bulgarie, le
parti démet Todor Jivkov et entame une transition en 1990 qui aboutit à des élections et à la
victoire de l’opposition en 1991, alors qu’un mouvement social porté notamment par des
revendications écologistes traverse le pays depuis 1987 (Krastanova, 2016). En écho négatif à
ces transitions relativement douces, c’est une révolution qui destitue et fusille les époux
Ceausescu en Roumanie et ouvre le pays meurtri à la transition (Bouillon, 2011). Les trois États
baltes s’extraient du territoire soviétique et obtiennent leur indépendance en 1990, tandis
qu’apparaissent dans le même processus les États biélorusse et ukrainien, en écho aux nouveaux
États issus du délitement soviétique dans le Caucase et en Asie. L’URSS perd un pan de son
territoire après l’effondrement en dominos de son ancien « glacis ». Le 25 décembre 1991,
Gorbatchev annonce aux Soviétiques l’autodissolution de l’URSS, qui devait fêter l’année
suivante les 70 ans de sa fondation. La Fédération de Russie nouvellement formée traversera
une forte période d’instabilité politique et sociale (Ramambason-Vauchelle, 2010).
En 1990, la Yougoslavie implose : les rivalités ethniques et nationalistes se sont
multipliées depuis 1980 et la mort de Tito dans un État composé d’une mosaïque de peuples,
de religions et de langues emmêlées, rendu un temps solidaires par la résistance puis le projet
yougoslave, avant que ne se réveillent les tensions qui mettront le feu aux poudres dès 1992
suite à l’impossible partition en nouveaux États rivaux
117souhaitant imposer leur souveraineté
sur les territoires contestés des voisins ou leur modèle culturel sur les populations (Krakowsky,
2017 ; Amin, 1994).
117 Constitution des États serbe, croate, slovène, de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro. Le Kosovo et la Macédoine ne sont à l’heure actuelle toujours pas reconnus de façon consensuelle par l’ensemble de la communauté internationale.
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La dislocation du bloc de l'Est à la fin des années 80118
La guerre froide vient d’être gagnée par le camp occidental au terme d’un demi-siècle
de tensions. Le conflit yougoslave entre 1991 et 2001 provoque la première guerre sur le
continent depuis l’armistice de 1945. La Communauté européenne n’a aucune existence en tant
que telle dans les relations internationales ou sur le volet militaire : elle a approfondi les volets
économiques sans approfondir son statut géopolitique, sujet épineux pour les souverainetés des
États-membres et chasse gardée du leader américain.
Ce sera sous la houlette de ces derniers et via l’OTAN que le camp occidental
interviendra en ex-Yougoslavie ; l’OTAN, qui perd avec l’URSS sa raison d’être, gagne avec
le conflit yougoslave de quoi légitimer son maintien en tant qu’outil militaire ; les années
futures, les États-Unis s’emploieront à l’intégration atlantique des nouveaux États
119et seront
à l’initiative des grands remaniements de la géopolitique mondiale du 20
ièmesiècle (Vaïsse,
118 Carte extraite de Hachette, Terminale Bac Pro, 2013.On notera l’imprécision de la carte quant à l’usage du terme Union européenne, effectif seulement à partir de 1993 : il faut lui préférer ici celui de CEE. De même, l’Autriche, ici colorée en bleu, ne rejoindra l’espace communautaire qu’en 1995. Nous choisissons cependant d’utiliser ce matériau pour illustrer le délitement du bloc de l’Est devant la rareté des ressources disponibles.
119 Entre 1999 et 2004, c’est presque l’ensemble des États d’Europe centrale et orientale qui formalise son adhésion à l’Alliance atlantique.