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Cadre théorique

2. Jeu et apprentissage

2.6. Efficacité des jeux vidéo pédagogiques : que nous dit la recherche ?

Les jeux vidéo pédagogiques tiennent-ils leurs promesses en termes d’efficacité du point de vue de l’apprentissage ? Que nous dit la recherche à ce sujet ? De nombreuses études empiriques ont été menées pour évaluer l’impact des jeux destinés à l’apprentissage, que cela soit par rapport à d’autres méthodes d’enseignement ou pour mettre en évidence les éléments de conception et les conditions d’utilisation favorisant réellement l’apprentissage dans un jeu pédagogique. Pour répondre à ces questions, nous nous référerons principalement à des revues de littérature et méta-analyses qui ont mis en évidence, sur la base d’études empiriques qui s’étendent jusqu’au début des années 2010, les résultats les plus significatifs en matière d’impact des jeux vidéo pédagogiques.

Une première constatation s’impose : les chercheurs qui ont réalisé des méta-analyses et revues de littérature sur les jeux sérieux relèvent de sérieux problèmes méthodologiques dans un grand nombre d’études (Connolly et al., 2012; Hays, 2005; J. J. Vogel et al., 2006). Beaucoup de données ne sont pas utilisables ; elles sont lacunaires, fragmentées ou insuffisamment documentées, ce qui rend souvent difficile toute généralisation des résultats et conduit à éliminer un pourcentage élevé d’articles dans les méta-analyses. Les problèmes les plus souvent relevés sont l’absence de groupe de contrôle et de données statistiques de base (écart-type, moyenne, effet de taille), un flou dans les définitions (simulation versus jeu, par exemple), une taille insuffisante des échantillons, la comparaison de situations qui ne sont pas vraiment comparables, la qualité de la nature de l’évaluation de l’apprentissage, des résultats plus fondés sur des anecdotes que s’appuyant sur des méthodes rigoureuses de relevé de données, un manque de cadres d’analyse pour l’évaluation comparative et longitudinale et un nombre insuffisant de questionnaires et d’échelle validés (D. B.

Clark, Tanner-Smith, & Killingsworth, 2015; Hays, 2005; R. E. Mayer, 2014). Il manque aussi des recherches empiriques sur la capacité des jeux à faire véritablement acquérir de nouvelles connaissances de type conceptuel ou déclaratif (Habgood, 2007), et même lorsque l’efficacité d’un jeu est relevée, les caractéristiques du jeu qui contribueraient à la performance des apprenants sont insuffisamment mises en exergue (Hays, 2005). Enfin, un biais lié aux critères de publication (file drawer-effect) semble prévaloir (Sitzmann, 2011) : la taille de l’effet calculée pour mesurer l’efficacité des jeux pédagogiques est bien supérieure dans les articles publiés que dans les articles non publiés des conférences. Autrement dit, les revues privilégient les publications qui montrent l’efficacité des jeux pédagogiques au détriment des articles qui ne mettent pas en avant d’impact positif des jeux sérieux sur l’apprentissage.

2.6.1. Comparaison avec d’autres méthodes d’enseignement

Plusieurs revues de la littérature ou méta-analyses récentes portant sur des études répondant à différents critères de qualité montrent que les jeux sérieux en comparaison avec les résultats obtenus par des méthodes d’enseignement classiques, ont un impact plus important sur l’apprentissage et la rétention. Dans la méta-analyse réalisée par J. J. Vogel et al. (2006), qui synthétise les résultats de 32 études s’échelonnant entre 1986 et 2003, il apparaît que les gains cognitifs (z = 6.05) et l’attitude par rapport à l’apprentissage (z = 13.74) sont significativement supérieurs lors de l’utilisation de

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26 jeux ou simulations interactives par rapport à des méthodes traditionnelles d’enseignement (cours frontal), surtout lorsque l’apprenant a un contrôle sur la navigation dans l’environnement de jeu et qu’il joue individuellement plutôt qu’en groupe. Sur la base des résultats de 65 études menées entre 1976 et 2009, Sitzmann (2011) a montré également que les apprenants formés à travers un jeu comportant une simulation réussissaient mieux au post-test que ceux placés dans d’autres conditions d’apprentissage ; leur sentiment d’efficacité personnelle (d = .52), leurs connaissances déclaratives (d = .28) et procédurales (d = .37) ainsi que la rétention du contenu pédagogique (d = .22) étaient significativement supérieurs à ceux des participants des autres conditions expérimentales.

Connolly et al. (2012) se sont intéressés, quant à eux, à un ensemble de recherches menées entre 2004 et 2009. Les résultats de 129 études, dont 70 ont été qualifiées de grande qualité, ont été examinés. Ils révèlent que jouer à des jeux vidéo pédagogiques a un impact positif sur la motivation et, selon le type de jeux, des gains sur un plan cognitif, perceptif et affectif ainsi que des changements comportementaux sont observables. Wouters et van Oostendorp (2013), qui ont retenu 39 études menées de 1990 et 2012 (dont plus de la moitié après 2007) pour leur méta-analyse, ont trouvé que les jeux sérieux étaient plus efficaces que des méthodes conventionnelles d’enseignement aussi bien pour l’apprentissage (d = .29) que la rétention (d =.36) mais n’étaient, par contre, pas plus motivants (d =.26, p > ,05) que d’autres méthodes d’enseignement. L’absence d’une motivation plus grande est attribuée par ces auteurs à un manque de contrôle sur les actions du jeu en lien avec la théorie de l’auto-détermination (Deci, Koestner, & Ryan, 1999), à une intégration insuffisante du jeu et du contenu d’apprentissage, ou à l’apparition inopinée de pop-up qui entravaient le flow du jeu. Selon les études sélectionnées, les résultats sont donc contrastés par rapport à l’effet des jeux sur la motivation. Enfin, dans une méta-analyse fondée sur 69 études conduites entre 2000 et 2012, D. B. Clark et al. (2015) ont relevé que les étudiants plongés dans des conditions de jeu avaient obtenu sur plusieurs dimensions de bien meilleurs résultats que les étudiants soumis à des conditions expérimentales n’incluant pas de jeu, l’effet de taille étant le plus élevé pour les compétences cognitives (d = .35).

La revue de littérature effectuée par Egenfeldt-Nielsen (2005) a également mis en évidence une meilleure rétention de l'apprentissage lors de l’utilisation de jeux pédagogiques en comparaison avec des méthodes traditionnelles d'enseignement. Une rétention plus forte s’expliquerait par les nombreuses occasions qu’offrent les jeux de répéter les réponses à des informations spécifiques et de multiplier les points de vue sur un même problème. En attirant l’attention des joueurs à maintes reprises sur les mêmes contenus, l’encodage de l’information dans la mémoire à long terme serait facilité (Cameron & Dwyer, 2005). Par ailleurs, les jeux sont souvent rejoués car ils sont source de plaisir. Ils amènent donc naturellement à une pratique répétée. Tant que les joueurs ont le sentiment de pouvoir encore s’améliorer et découvrir de nouvelles stratégies à explorer, ils continuent à jouer, dans des conditions similaires mais en même temps à chaque fois légèrement différentes, qui vont contribuer à une meilleure rétention des connaissances.

Les domaines scolaires les plus prometteurs pour l’utilisation de jeux vidéo pédagogiques en comparaison avec les méthodes traditionnelles d’enseignement, sont, d’après une analyse d’études effectuée par R. E. Mayer (2014b), les sciences (d = .69) et l’apprentissage d’une seconde langue (d = .96). Pour les mathématiques, les résultats, fondés sur cinq études, ne seraient pas probants dans 2 cas sur 5 (d = .03), alors que pour l’apprentissage de la langue première et en sciences

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27 sociales le nombre d’études serait encore insuffisant pour conclure à des effets plus importants du jeu par rapport à un enseignement classique. Young et al. (2012) parviennent à des résultats en partie convergents ; selon leur revue de la littérature, les jeux sérieux seraient surtout efficaces dans l’apprentissage d’une langue, en histoire et en éducation physique (exergames), alors qu’en mathématique ou en science les résultats seraient mitigés notamment par rapport à l’effet des jeux sur la motivation. L’apprentissage des mathématiques à travers les jeux ne produirait donc pas systématiquement des effets supérieurs à d’autres méthodes d’apprentissage. D’autres variables encore ont été prises en considération dans des revues de littérature, tels que l’âge et le genre de jeu.

Selon R. E. Mayer (2014b), l’effet des jeux augmenterait avec l’âge alors que pour J. J. Vogel et al.

(2006), l’effet des jeux serait plus marqué pour tous les groupes d’âge, à l’exception des adultes, en comparaison avec des méthodes classiques d’enseignement. Le genre de jeu aurait aussi un impact sur l’apprentissage réalisé : les jeux de puzzle et quiz (d = .45) auraient un effet moins important que les jeux de simulation (d = .62) et les jeux d’aventure (d = .62) (R. E. Mayer, 2014b).

Malgré des résultats prometteurs quant à l’efficacité de certains jeux pédagogiques, de nombreux jeux destinés à l’apprentissage ne convainquent pas les pédagogues qui relèvent en matière de conception un grand nombre de faiblesses, en lien notamment avec l’ingénierie pédagogique. Le feedback, le soutien pédagogique, la progression dans le jeu et le guidage en cours de jeu seraient souvent absents, lacunaires ou mal conçus, et les objectifs pédagogiques insuffisamment définis (Gunter et al., 2008; Hays, 2005) ; les tâches à effectuer seraient souvent répétitives, reposant sur le principe d'exercices d’entraînement ne ciblant qu'une seule compétence (Kirriemuir &

McFarlane, 2004) et n’exploitant pas pleinement les potentialités des jeux fondés sur l’apprentissage.

2.6.2. Caractéristiques de jeux efficaces pour l’apprentissage

Différentes études empiriques ont mis en évidence des éléments du jeu susceptibles de renforcer ou, à l’inverse, d’affaiblir l’efficacité des jeux pédagogiques, ou ont encore contribué à identifier des éléments qui n’auraient pas de réel impact malgré ce que laisseraient supposer d’autres études non empiriques. Parmi les éléments qui pourraient avoir un impact positif sur l’apprentissage et qui nous intéressent tout particulièrement par rapport à notre recherche, citons l’étayage, les points/scores, la contextualisation (récit, réalisme visuel, la perspective du joueur) et l’immersion 3D.

Dans les études comparant une version standard d’un jeu à une version du même jeu enrichie de nouvelles caractéristiques (value-added approach), il ressort, selon la méta-analyse effectuée par (D. B. Clark et al., 2016), que lorsqu’un jeu est doté d’un étayage plus élaboré l’apprentissage est sensiblement plus important par rapport à une version simplifiée du même jeu (tailles moyennes de l’effet du jeu au post-test après ajustement des différences inter groupes au pré-test : .41). Dans les recherches prises en considération, l’étayage peut prendre la forme d’un soutien personnalisé, d’agents intelligents, de l’adaptation de l’expérience du jeu aux besoins et intérêts des apprenants et de changements structurels dans le jeu pour accroître l’effet de certaines mécaniques d’apprentissage. De même, de meilleurs résultats pour l’apprentissage sont obtenus (taille de l’effet médian de 0.68 sur la base de 7 études) lorsqu’on enrichit un jeu d’explications et de conseils qui arrivent au moment propice, en lien direct avec l’activité en cours (R. E. Mayer, 2014b). A travers

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28 un accompagnement contextualisé, les apprenants sont encouragés à se focaliser sur le contenu pédagogique, à s’en servir pour avancer dans le jeu et à faire sens des activités ludiques qu’ils sont en train d’entreprendre. Cela implique évidemment que les élèves recourent au guidage qui leur est proposé, habitude que n’ont pas tous les apprenants (Nelson, 2007), sans quoi le gain d’apprentissage ne sera pas supérieur à celui des élèves ne disposant d’aucune possibilité d’accès à une aide pédagogique.

Les élèves n’apprennent pas forcément mieux (taille de l’effet médian calculé sur 3 études : -0.06) lorsqu’ils sont en compétition et se battent pour décrocher un prix dans le jeu (R. E. Mayer, 2014b).

La compétition peut avoir un effet motivant sur les joueurs et les conduire à fournir plus d’effort pour gagner mais seulement dans la mesure où elle est perçue comme un défi à relever et n’est pas perçue comme une menace pour l’image de soi. Elle peut aussi avoir pour effet contre-productif que les joueurs soient obnubilés par la victoire, s’engagent frénétiquement dans une activité au détriment de la réflexion, et passent une partie de leur énergie à gérer leur stress (Mitchell & Savill-Smith, 2004). Dans les jeux rudimentaires intégrant des activités de type scolaires, l’ajout de badges ou de points peut cependant avoir un effet positif sur l’apprentissage (D. B. Clark et al., 2016). Le public très jeune auquel s’adressent ces jeux et leur mécanique très simple invitent peut-être à un engagement similaire à celui du contexte scolaire qui ne va pas les détourner des objectifs pédagogiques du jeu. Il est possible aussi que les encouragements sous forme de récompenses ou de scores n’ont pas l’effet négatif attendu sur la motivation intrinsèque des enfants parce que ces jeux s’adressent à une génération d’enfants déjà habitués aux mécanismes des jeux vidéo (Filsecker et Hickey, 2013).

Les méta-analyses de D. B. Clark et al. (2015) et R. E. Mayer (2014b) montrent que les joueurs n’apprennent pas toujours de manière plus efficace lorsqu’un jeu est doté d’une ligne narratrice forte contrairement à ce que pourraient suggérer certains présupposés sur la motivation et les jeux.

L’intégration d’un récit pourrait même produire l’effet inverse de l’effet escompté. Les jeux pédagogiques dépourvus de récit ou dont la dimension narrative est superficielle enregistrent des effets plus importants sur l’apprentissage que des jeux caractérisés par un récit comportant une certaine profondeur (Wouters, van Nimwegen, van Oostendorp, & van der Spek, 2013). La présence d’un récit peut distraire l’apprenant et orienter ses ressources cognitives sur des éléments qui sont éloignés du contenu d’apprentissage (Adams, Mayer, MacNamara, Koenig, & Wainess, 2012) à moins qu’il ne soit en lien direct avec l’objectif d’apprentissage et serve alors à focaliser l’attention de l’apprenant sur le contenu pédagogique.

Quelques auteurs affirment que des environnements immersifs en 3D offrent aux apprenants la possibilité d’apprendre en interagissant directement avec des objets virtuels qui pourraient amener à une meilleure compréhension conceptuelle du contenu (Bricken & Byrne, 1994) notamment grâce à des interfaces où le joueur est en vision subjective. En ne se situant pas à l’extérieur de l’environnement mais en en faisant partie intégrante à travers une complète immersion, l’apprenant vit des expériences plus stimulantes et engageantes (Riddle, 2002). Pourtant, la méta-analyse effectuée par D. B. Clark et al. (2015) ne confirme pas un effet positif sur l’apprentissage de ce qui est qualifié par ces auteurs de contextualisation (combinaison du « réalisme virtuel », du « point de vue de la caméra » et de la « pertinence et profondeur du récit »). Plus la contextualisation est marquée, plus les effets sur l’apprentissage seraient faibles. Transformer, par exemple, un jeu 2D

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29 en un jeu 3D ne contribuerait pas à un meilleur apprentissage du contenu pédagogique sans doute parce qu’un univers trop réaliste détourne l’attention de l’apprenant sur des détails inutiles à la compréhension du contenu, qui vont accaparer inutilement certaines ressources cognitives (R. E.

Mayer, 2014b).

2.6.3. Contexte pédagogique d’utilisation des jeux

Les conditions d’utilisation d’un jeu pédagogique jouent aussi un rôle déterminant quant à son efficacité. Selon Arnseth (2006), des caractéristiques spécifiques du jeu pourraient avoir moins d'effet sur l'apprentissage que le contexte pédagogique dans lequel s'insère le jeu. Dans la méta-analyse réalisée par (Sitzmann, 2011), les résultats d’études portant sur les conditions d’utilisation du jeu ont été examinées. Il en ressort que les apprenants ayant eu un accès illimité aux simulations de jeu avaient des gains d’apprentissage plus élevés que des groupes de comparaison ; de même l’apprentissage était plus important lorsque les simulations de jeu avaient été combinées avec d’autres méthodes d’enseignement. Ce sont donc des éléments essentiels à prendre en compte lors de la mise en place d’une expérimentation si l’on veut s’assurer d’obtenir des effets significatifs.

D’autres auteurs (D. B. Clark et al., 2016; Wouters et al., 2013) ont également mis en évidence l’importance de prévoir de multiples sessions de jeu plutôt qu’une unique session pour augmenter significativement les effets du jeu sur l’apprentissage. Par contre, il ne semble pas y avoir de relation entre la durée d’une session de jeu et la taille de l’effet du jeu sur l’apprentissage (D. B. Clark et al., 2016).

Les jeux pédagogiques utilisés en individuel, sans impliquer de collaboration ou de compétition, ont abouti à des acquisitions plus importantes en termes d’apprentissage (D. B. Clark et al., 2016).

Néanmoins, les jeux réunissant des apprenants sur un mode collaboratif, au sein d’équipes en compétition les unes avec les autres, ont obtenu de meilleurs résultats que ceux où les apprenants étaient mis en situation de compétition sur un plan individuel ou en groupe. Une autre condition qui augmente la taille de l’effet de l’apprentissage (d=0.75, basé sur 7 études) est la possibilité offerte aux joueurs de bénéficier d’un pré-entraînement qui permet aux joueurs de prendre connaissance des éléments d’un jeu avant de se lancer proprement dit dans le jeu ou dans le cœur du jeu. Ce pré-entraînement peut prendre des formes très diverses selon les recherches prises en considération : tutoriel vidéo visualisé avant le jeu ou présenté sur une feuille de papier, entrée très progressive dans le jeu en partant d’un niveau facile, explications préalables à travers des illustrations, contenu pédagogique fourni avant le jeu sous formes de symboles et de principes (R. E. Mayer, 2014b). On peut se demander néanmoins si, d’un point de vue méthodologique, les résultats obtenus pour la méta-analyse sont réellement comparables vu l’hétérogénéité des formes de pré-entraînement prises en considération dans la méta-analyse et si le calcul d’une taille médiane de l’effet est pertinent dans ces conditions.