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Conception d’Algebra Mystery

8.2. Contraintes contextuelles

Figure 4. Passage du langage naturel au langage algébrique en s’aidant d’une représentation concrète du problème

Pour pouvoir plus finement évaluer l’impact de la conception du jeu per se sur les performances durant le jeu et sur les scores au post-test, le jeu a été conçu de manière à pouvoir être pris en main sans assistance extérieure. Différentes aides intégrées dans le jeu (tutoriels, aide textuelle, aide-mémoire) ont été élaborées afin de garantir l’autonomie des élèves lors de l’utilisation d’Algebra Mystery et de faciliter leur apprentissage. De même, le jeu a été prévu pour être joué en solo et non sous la forme d’un jeu multijoueur afin de limiter le nombre de variables susceptibles d’avoir un impact sur l’effet du jeu bien que la collaboration et les interactions sociales peuvent être bénéfiques pour l’apprentissage lors de l’utilisation d’un jeu vidéo (Sanchez, 2011).

8.2. Contraintes contextuelles

La population ciblée par Algebra Mystery est composée d’adolescents âgés de 13 à 16 ans pour lesquels le contenu pédagogique abordé par le jeu fait partie du programme de mathématique. Le jeu a été prévu pour une utilisation en contexte scolaire, lors du cours de mathématique. Les caractéristiques de cette population et le contexte d’utilisation du jeu ont eu une incidence sur certains choix de conception.

8.2.1. Public-cible

L’algèbre élémentaire est abordée à un âge où la motivation intrinsèque à apprendre est en général plus faible qu’au niveau primaire. Les adolescents sont plus enclins que des élèves plus jeunes à douter de la valeur du travail scolaire et de leurs compétences à réussir. Ils sont à un âge où ils attendent des tâches davantage centrées sur l’élève, qui ont plus de sens pour eux ; ils aspirent à plus de choix, d’autonomie et d’indépendance, à moins d’accent sur les notes et les évaluations. Ces besoins sont pourtant le plus souvent en décalage avec les exigences propres au contexte de l’enseignement secondaire (Rathunde & Csikszentmihalyi, 2005).

Un environnement de jeu, dans la mesure où il est perçu par ses utilisateurs comme motivant et engageant, peut représenter une alternative intéressante aux activités traditionnelles d’enseignement

Problème

mathématique Simulation

Equation : y = ax + b Aide à la mise en équation

Langage naturel Représentation concrète Représentation abstraite

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96 notamment pour des adolescents en butte à des difficultés en mathématique souvent récalcitrants à entrer dans les apprentissages en raison d’échecs répétés et d’un faible sentiment de compétence (Pelgrims & Cèbe, 2010). En rendant les répétitions possibles, en permettant aux élèves d’identifier en temps réel les erreurs de manière non traumatisante grâce à un feedback immédiat non empreint de jugement de valeur, le jeu vidéo pédagogique rend l’acceptation des règles du jeu plus facile par les élèves en difficulté et peut les aider à se réconcilier avec l’apprentissage scolaire (Wastiau et al., 2009). Inclure des encouragements et un guidage par le biais d’un agent pédagogique (Moreno &

Mayer, 2005), fournir des indices lors de la résolution des problèmes, sont aussi des moyens d’aider les élèves les plus faibles à rester engagés et motivés dans l’activité quelles que soient les difficultés rencontrées. Un jeu sérieux peut contribuer à accorder l’autonomie dont ont besoin les adolescents pour leur développement en mettant à leur disposition un environnement au sein duquel ils disposent d’un certain contrôle à travers le nombre d’actions envisageables et la possibilité de rectifier leurs actions sans laisser de traces.

Le niveau préalable d’expérience en matière de jeux vidéo du public-cible détermine aussi la manière dont est envisagée la conception d’un jeu vidéo pédagogique et peut avoir une influence sur sa réception. Au sein de la nouvelle génération de jeunes adolescents, la pratique des jeux vidéo est très répandue : environ deux tiers des jeunes en Suisse âgés de 12 à 19 ans, interrogés dans le cadre de l’étude James (Willemse et al., 2014), déclarent jouer à des jeux vidéo. Dans la tranche d’âge qui nous intéresse (14-15 ans), on trouve 77% de joueurs. Les jeux les plus prisés parmi les jeunes sont les First and Third Person Shooter (comme Call of Duty, Battlefield) suivis des jeux d’action et d’aventure (Assasin’s Creed, GTA, Zelda) et du jeu de simulation Minecraft ; arrivent en 3ème position les jeux de sport tandis que les autres genres de jeux (les jeux occasionnels, les jeux de rôle, de stratégie, etc.) sont moins souvent mentionnés.

Les adolescents au bénéfice d’une forte expérience des jeux vidéo peuvent avoir certaines attentes par rapport aux jeux sérieux qui risquent d’être déçues. La réalisation d’un jeu conçu et développé dans le cadre d’un projet de recherche ne peut rivaliser avec les moyens dont dispose l’industrie des jeux vidéo, sans oublier que ses objectifs ne sont pas les mêmes. Il peut en résulter une certaine frustration ou déception qui peut être en partie prévenue en précisant clairement les objectifs du jeu lors de son introduction en classe. Cependant, les jeux vidéo de grande envergure ne sont pas les seuls à avoir du succès auprès des jeunes, certains jeux occasionnels (casual games), bien qu’aux règles simples et d’une durée de jeu limitée comme le sont la plupart des jeux sérieux, sont aussi prisés par un grand nombre d’adolescent(e)s.

Les statistiques relatives à la fréquence d’utilisation des jeux vidéo par les adolescents reflètent aussi une forte hétérogénéité parmi cette population : tous les jeunes ne jouent pas et parmi les joueurs, tous n’apprécient pas les mêmes genres de jeux. Les apprenants ne sont pas forcément des joueurs chevronnés et il convient alors de concevoir des jeux sérieux accessibles aussi bien à des non joueurs qu’à des initiés (Michael & Chen, 2006). En revanche, la quasi-totalité des jeunes a aujourd’hui l’habitude d’utiliser des interfaces interactives, téléphones portables, ordinateur ou tablettes, et ne devrait donc pas avoir de problèmes de prise en main des fonctionnalités communes à tout environnement informatisé.

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97 La question du sexe est déterminante par rapport à l’expérience dans les jeux vidéo et le type de jeux apprécié. Les garçons (89%) sont nettement plus nombreux que les filles (51%) à jouer aux jeux vidéo parmi les jeunes âgés de 12 à 19 ans (Willemse et al., 2014) bien que le fossé semble se combler au fil des ans (Joiner et al., 2010). Les différences d’habitudes de jeux des filles et garçons sont marquées : les garçons choisissent en plus grand nombre que les filles des jeux agressifs, t(164,57) = 4.69, p < .001 (Colwell & Payne, 2000), tandis que ces dernières sont plus portées sur l’interaction sociale, le récit, les personnages et des activités dont l’issue est plus ouverte (Klawe, 1998). La vitesse de progression dans les niveaux et le nombre d’énigmes résolues seraient aussi plus élevés parmi les garçons (Klawe, 1998) sans doute parce que ceux-ci sont plus portés sur la compétition et la perspective de gagner que les filles. Les garçons consacrent aussi en moyenne un plus grand nombre d’heures aux jeux vidéo, jouent sur de plus longues périodes de temps et de manière moins fragmentée que leurs homologues féminins. Par exemple, selon l’étude de Winn et Heeter (2009), les garçons âgés de 12-15 ans (middle school) passent en moyenne 8 heures par semaine à jouer contre 2.85 heures pour les filles et 86.5% des garçons jouent 1 heure et plus par session de jeu alors que seules 21.9% des filles sont dans ce cas de figure. Celles-ci choisiraient de préférence des jeux occasionnels sur téléphones mobiles qui sont adaptés à de courtes périodes de jeux. Ces résultats sont consistants dans différents pays et pour différents groupes d’âge (Joiner et al., 2010).

Le choix du genre de jeu, de la fiction, des mécaniques de jeu à privilégier doit donc aussi tenir compte de ces différences d’habitudes de jeu chez les garçons et les filles. Certains auteurs suggèrent, dans l’optique de réaliser des jeux sérieux non sexistes, d’inclure des personnages féminins positifs (Mitchell & Savill-Smith, 2004), de concevoir plus d’interactions fondées sur des activités, d’imaginer des situations de « conflit » qui ne se résument pas à juste perdre ou gagner le jeu (Amory, 2007) voire de proposer aux filles de concevoir leurs propres environnements de jeu comme un moyen d’amener celles-ci à s’intéresser plus aux technologies et à l’informatique (Kafai, Heeter, Denner, & Sun, 2008).

8.2.2. Contexte scolaire

Lors de la conception d’un environnement de jeu destiné à être testé en classe surgissent des contraintes liées directement au contexte scolaire. La durée des sessions de jeu doit être en adéquation avec le découpage des horaires scolaires, et le contenu en lien avec le curriculum (Becker, 2008; Michael & Chen, 2006; Wastiau et al., 2009). La longueur du jeu est calculée de telle sorte à pouvoir être joué durant le temps prévu pour l’expérimentation, de manière que les élèves les plus rapides ne finissent pas trop vite et que les plus lents arrivent suffisamment loin dans le jeu pour pouvoir être en mesure d’évaluer l’éventuel bénéfice sur le plan de l’apprentissage.

Le contenu du jeu a été aussi défini en lien étroit avec le programme scolaire en mathématique afin d’obtenir plus facilement l’assentiment des enseignants à participer à l’expérience, pour pouvoir nous appuyer sur certains pré-requis en mathématique, et pour que le contenu pédagogique soit situé dans la zone proximale de développement des élèves. Le lieu et les conditions d’utilisation du jeu, en salle d’informatique durant un cours de mathématiques, ont conduit à la conception d’un logiciel qui génère automatiquement à chaque session de jeu des problèmes aux données différentes pour éviter que les élèves soient tentés d’obtenir auprès de leur voisin la solution aux problèmes ou aux

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98 équations à résoudre, ce qui, par ailleurs, offre l’avantage pour les utilisateurs de pouvoir rejouer le jeu avec des données à chaque fois nouvelles.

Le contexte d’utilisation du jeu sérieux détermine aussi la perception qu’en ont les utilisateurs : en contexte scolaire, la dimension pédagogique d’un jeu sérieux paraîtra plus évidente que dans un autre contexte, comme celui d’un festival du jeu. Mais le contexte d’utilisation d’un jeu pédagogique en classe est aussi particulier puisque les élèves ont l’obligation d’utiliser un environnement de jeu alors que, par définition, le jeu devrait relever d’un acte purement volontaire et libre (Caillois, 1958). Par ailleurs, pour les besoins de l’expérimentation, les élèves sont tenus de jouer individuellement en étant tous regroupés dans la même salle, alors qu’en moyenne les filles sont plus réticentes à jouer en présence de garçons, et que jouer en solo face à l’ordinateur correspond plus à la façon de jouer des garçons, qui se mettent en compétition pour atteindre le plus rapidement possible la fin d’un niveau ; à l’inverse, les filles préfèrent en moyenne s’entraider pour surmonter les différentes épreuves ludiques (Klawe, 1998). Devoir satisfaire à ces différentes exigences d’ordre contextuel peut évidemment avoir un impact différencié sur la motivation et l’engagement des joueurs.

L’évocation de ces différentes contraintes d’ordre théorique, contextuel, culturel, social ou scolaire, met en évidence les difficultés et obstacles auxquels est confronté le concepteur d’un jeu sérieux dont l’utilisation est prévue dans le cadre d’une recherche quasi-expérimentale, dans des conditions bien spécifiques qui ne sont pas forcément optimales pour tous les joueurs. Elle souligne aussi la nécessité d’évaluer un jeu sérieux au cours de son développement, dans un processus de conception itératif, afin d’aboutir à un jeu de qualité malgré des exigences qui peuvent parfois paraître inconciliables.