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Cadre théorique

2. Jeu et apprentissage

4.4. Difficultés liées à l’utilisation de représentations externes et multiples

Les différentes recherches menées sur les bénéfices d’un environnement comportant de multiples représentations présentent des résultats mitigés (Ainsworth, 2006). Les représentations multiples ne favorisent pas toujours l’apprentissage. Mettre à disposition des apprenants deux représentations plutôt qu’une n’apporte pas forcément de meilleurs résultats. La recherche sur les environnements exploitant des REMs a révélé qu'apprendre avec des représentations multiples peut conduire à une compréhension plus profonde sous réserve que les environnements soient bien conçus, car il s’agit d’un processus exigeant sur le plan cognitif. Les apprenants doivent maîtriser les tâches cognitives qui lui sont associées pour pouvoir pleinement en bénéficier (Ainsworth, 2006; Ainsworth, Bibby,

& Wood, 1998; Meij & Jong, 2003).

Tâches cognitives requises

Pour pouvoir profiter pleinement sur le plan de l’apprentissage d’un environnement utilisant des REMs, les apprenants devraient d’abord comprendre chaque représentation unique ; ils devraient savoir, ou apprendre, comment chaque représentation encode et présente l’information. Dans le cas d’un graphique, cela signifie que l’apprenant doit en connaître les attributs, c’est-à-dire savoir à quoi correspondent les lignes, les maximums et minimums, les axes, les étiquettes, etc. Il doit être capable d’identifier les éléments significatifs et conceptuellement importants d’une représentation (Lowe, 2003) en les distinguant des éléments non pertinents ; il doit comprendre comment la représentation est reliée au domaine qu’elle représente, autrement dit être en mesure de faire le lien entre les différents éléments pertinents d’une représentation et le contenu d’apprentissage ; l'interprétation des représentations est donc une activité intrinsèquement contextualisée.

Il peut être difficile pour les apprenants d’identifier et d’interpréter correctement les aspects qui font référence au monde représenté, alors que la représentation externe ne fournit pas tous les éléments permettant d’effectuer cette opération (de Vries et al., 2009). Cette démarche est particulièrement difficile pour des novices dont la connaissance du domaine est encore incomplète (Ainsworth, 2006). Souvent, les apprenants se focalisent, dans les représentations visuelles interactives, sur les éléments qui attirent le plus l’attention mais qui ne sont pas forcément les plus pertinents (Bodemer, Ploetzner, Feuerlein, & Spada, 2004), et ont de la peine à interagir avec celles-ci de manière structurée et avec un but prédéfini. Par ailleurs, de nombreux élèves appliquent, de manière

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60 inappropriée, des opérateurs propres à une forme de représentation pour interpréter une autre forme de représentation (par exemple, utiliser les opérateurs spécifiques aux images pour interpréter des graphiques comme s’il s’agissait d’icônes).

Selon la nature de la tâche confiée aux apprenants, ceux-ci doivent parfois sélectionner la représentation la plus appropriée parmi plusieurs représentations, ou en construire une eux-mêmes.

Dans le premier cas de figure, ils doivent prendre en considération les caractéristiques des représentations et les tâches à effectuer. Les novices ont souvent plus de peine que les experts à choisir la représentation la plus adaptée, étant donné qu’ils n’ont souvent pas encore une connaissance approfondie de la nature des tâches à effectuer (Chi, Feltovich, & Glaser, 1981) ni une connaissance des représentations les plus à même de réaliser les tâches à réaliser (Kozma &

Russel, 1997, cités dans Ainsworth, 2006).

Dans les situations où les apprenants doivent produire eux-mêmes des représentations, comme dans la résolution de problèmes algébriques, ils doivent être capables de comprendre comment les construire puis de les interpréter correctement. Il semblerait que les deux opérations ne sont pas forcément corrélées linéairement (Cox & Brna, 1995) ; certains apprenants parviennent à construire correctement une représentation mais l’interprètent de manière erronée ou, à l’inverse, ils font des erreurs lors de la conception d’une représentation mais parviennent à faire, à partir de leur propre représentation, des inférences qui sont justes indépendamment de la représentation.

Selon DiSessa (2004), on sous-estime souvent les compétences que les apprenants ont dans la construction de leurs propres représentations. Ses recherches montrent, en effet, que les apprenants ont une compréhension profonde et riche des représentations, acquise au fil du temps sans enseignement spécifique, et peuvent être bons dans la conception des représentations. Ils devraient donc vite apprendre à comprendre les représentations scientifiques avec lesquelles ils doivent travailler en contexte scolaire. Pour ceux qui ont des difficultés, il est important, selon ce chercheur, de leur faire acquérir des « compétences méta-représentationnelles » qui sont des compétences mobilisées lors de la construction et de l'utilisation des représentations externes. Il s’agit notamment de la capacité de comprendre comment et pourquoi fonctionnent les représentations, d’en saisir les aspects représentationnels et de savoir choisir les bons paramètres dans les environnements interactifs, voire d’être capable de générer des représentations et d’évaluer des moyens alternatifs.

Une autre compétence est essentielle lors de l’utilisation de REMs qui partagent des informations en partie identiques : les apprenants doivent être capables de relier les représentations les unes aux autres. Cela signifie qu’ils doivent parvenir à identifier et à connecter les informations communes aux différentes représentations ; par exemple, en mathématique, ils doivent trouver les valeurs correspondantes entre un graphique et une représentation numérique. Dans cette discipline scolaire, il est souvent requis des apprenants de passer d’une représentation à l’autre et de savoir quelle conversion opérer. Pourtant, il y a une constante dans les études sur les représentations multiples : les apprenants novices trouvent difficiles de transiter d'une représentation à l'autre et de les lier entre elles (Ainsworth, 2006). Ils ont tendance à privilégier un seul mode de représentation, et se sentent, par exemple, au début de leur apprentissage en algèbre élémentaire, plus à l’aise pour résoudre un problème dans un registre de représentation donné plutôt que d’en utiliser plusieurs (Nathan, Stephens, Masarik, Alibali, & Koedinger, 2002).

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61 Les résultats de différentes recherches indiquent que les apprenants ont souvent des difficultés à reconnaître le même objet représenté dans des registres sémiotiques différents, comme dans le cas de l’écriture algébrique d’une fonction et de sa représentation graphique (Meij & Jong, 2003). Ils peuvent comprendre chaque forme de représentation prise séparément (par exemple, une représentation picturale et une représentation numérique dans le cadre d’un problème de multiplication), mais avoir des problèmes à les lier (Ainsworth, Bibby, & Wood, 2002). Passer à travers différents registres de représentations requiert des compétences avancées et produire de nouvelles représentations dans le cadre d’une tâche de conversion est, pour des élèves débutants, bien plus difficile que de recourir à une seule représentation.

Difficultés liées aux caractéristiques des représentations

Les facteurs qui contribuent à expliquer les difficultés qu’ont les apprenants à mettre en lien différentes représentations relèvent des caractéristiques des représentations elles-mêmes et de différences individuelles.

Ainsworth (2006) recense huit facteurs ayant trait aux caractéristiques des représentations qui influencent la manière dont les apprenants vont intégrer des informations provenant de différentes sources représentationnelles :

Le canal sensoriel utilisé : combiner des représentations visuelles et auditives devrait permettre de tirer avantage des caractéristiques de la mémoire de travail (double canal) et faciliter le passage entre les deux représentations ; néanmoins, la mémoire de travail visuo-spatiale risque aussi d’être lourdement chargée lors la mise en relation des deux représentations (Gyselinck, Ehrlich, Cornoldi, De Beni, & Dubois, 2001).

La modalité des représentations : la modalité est d’ordre textuel ou graphique/schématique ; lorsque les deux modalités sont présentes, le système de représentations est considéré comme hétérogène et est caractérisé par des représentations ayant des propriétés intrinsèques différentes les unes des autres, qui sont sans doute traitées différemment par le cerveau (Low & Sweller, 2014a; R. E. Mayer, 2014a) ; dans un tel cas, les apprenants pourraient avoir de la peine à faire le lien entre des représentations dont la modalité diffère.

Le niveau d’abstraction : il se réfère à la distinction fondamentale établie par Peirce (1906) entre le symbole, qui se caractérise par une structure arbitraire, et l’icône (descriptif).

Certains auteurs ont proposé des niveaux d’abstraction plus fins, par exemple en divisant la catégorie iconique en deux (concrète et abstraite) selon le type d’icône considéré (Purchase, 1998, cité par Ainsworth, 2006). Le nombre de niveaux d’abstraction diffère d’un auteur à l’autre, mais cette dimension est considérée par tous comme importante dans l’analyse des caractéristiques des représentations.

La spécificité des représentations : la spécificité détermine dans quelle mesure une représentation permet l’expression de l’abstraction (Stenning & Oberlander, 1995 cité par Ainsworth, 2006) ; celui-ci va déterminer la manière dont les apprenants vont interpréter une représentation et intervenir sur celle-ci ; intégrer des informations provenant de représentations qui diffèrent du point de vue de leur spécificité pourrait constituer une difficulté pour les apprenants.

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Les types de représentations : il peut s’agir de textes, d’images, d’histogrammes, d’équations, de tableaux, de cartes conceptuelles, d’icônes, etc. Il existe différentes taxonomies mais aucune classification n’est unanimement adoptée.

Le degré d’intégration des représentations : selon la théorie sur le partage de l’attention (Low & Sweller, 2014b), les apprenants auraient plus de facilité à intégrer mentalement des informations provenant de sources différentes (par ex. texte et graphique) qui sont physiquement intégrées dans une seule représentation plutôt que présentées séparément.

Dynamique versus statique : les représentations dynamiques se distinguent fondamentalement des représentations statiques du point de vue des formats et opérateurs ; en conséquence, la combinaison de représentations statiques et dynamiques peut être particulièrement complexe.

Dimension 2D/3D : dans les univers de réalité augmentée, mais aussi dans les jeux vidéo, les apprenants sont confrontés à des représentations situées dans des environnements 2D et 3D ; l’intégration et la mise en relation d’informations provenant de représentations de dimensions différentes (2D/3D) est une difficulté supplémentaire pour les apprenants (Moher, Johnson, Ohlsson, & Gillingham, 1999). Par ailleurs, l’ajout de la 3D à des représentations graphiques est souvent décriée car elle ajoute de la complexité visuelle sans forcément améliorer la compréhension des graphiques ; ceci est le cas lorsque la 3D n’apporte pas d’information supplémentaire au contenu et ne sert qu’à rendre celui-ci plus attrayant visuellement parlant (Zacks, Levy, Tversky, & Schiano, 1998).

Un autre facteur qui joue un rôle dans la complexité des REMs et dans la mise en relation des représentations est leur densité informationnelle (Demetriadis & Papadopoulos, 2004). Cette notion fait référence aux informations, relevant du monde représenté, qui figurent dans la représentation externe. Plus ces informations sont nombreuses, plus la représentation se caractérise par une forte densité représentationnelle. Les apprenants novices auraient plus de peine à intégrer un grand nombre d’informations issues d’une ou plusieurs représentations que des apprenants expérimentés, car ces derniers ont déjà développé les schémas mentaux leur permettant de gérer et d’intégrer celles-ci sous forme de clusters. La charge cognitive liée à l’utilisation de représentations à forte densité représentationnelle serait plus importante pour les novices qui ont tendance à traiter chaque item de manière isolée, et non pas de manière regroupée, dans leur mémoire de travail.

Dans le cas d’une activité mathématique comme la résolution de problèmes, l’apprenant doit changer de registre sémiotique de représentation, en passant d’un énoncé en français à une équation.

Pour Duval (2002), il ne s’agit pas d’une simple traduction ou d’une formulation différente mais d’une « conversion » (cf. chapitre 4.3.2). Selon les types de registres mobilisés, le changement de registre représente un saut cognitif considérable qui constitue un point de « blocage » pour beaucoup d’apprenants. La réussite dans la reconnaissance des correspondances dépend de la congruence ou non congruence, d’un point de vue sémiotique et non conceptuel, entre les unités respectives des représentations de départ et d’arrivée (Duval, 2002). La congruence dépend des possibilités d’explicitation qu’offre chaque registre quant à ses propriétés. Cette notion fait référence à la transparence des correspondances entre les données des différents registres, par exemple, entre les termes utilisés dans l’énoncé et leur traduction dans une figure géométrique. Il peut y avoir non

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63 congruence si la dénomination des objets dans l’énoncé est différente de celle de la figure en raison, par exemple, du passage d’unités figurales 1D (énoncé) à des unités figurales 2D (figure), ce qui va obliger l’apprenant à devoir requalifier les objets nommés.

S’il y a absence de congruence, la coordination de différents registres sémiotiques est rendue difficile (Duval, 1993) ; la conversion d’une représentation devient dès lors coûteuse en termes de traitement cognitif, ou peut sembler incompréhensible et insurmontable pour certains apprenants.

Recourir à une représentation concrète, en suivant le principe de supplantation (cf. chapitre 4.5.2), pour prendre en charge certaines des opérations mentales nécessaires pour effectuer la conversion entre deux registres sémiotiques dont les unités de représentations sont très éloignées l’une de l’autre (par exemple, entre du texte et une équation), pourrait être une piste pour réduire la congruence entre deux registres et faciliter le passage de l’une à l’autre. Par ailleurs, selon Drouhard et Panizza (2012), l’absence de non-congruence peut aussi entraîner des difficultés cognitives lors de la dernière étape d’une conversion au moment où la solution exprimée dans le registre algébrique est restituée en langage naturel. L’absence de difficulté lors de la première conversion (langage naturel en écriture algébrique) peut, en effet, inciter les apprenants à ne pas garder en mémoire les actions réalisées durant cette première étape, ce qui posera problème lors de la réalisation de la dernière étape.

Différences individuelles

Des différences propres aux individus expliquent aussi que l’utilisation des REMs peut être plus ou moins complexe selon les caractéristiques des apprenants (Ainsworth, 2006). Les connaissances antérieures du monde représenté et du système de représentations externes vont notamment être déterminantes dans la facilité, ou la difficulté, qu’auront les apprenants à comprendre celles-ci et à les mettre en relation. Si le degré de familiarité d’une ou des représentations ainsi que le niveau de connaissance antérieur du domaine sont élevés, les apprenants connaîtront le format et les opérateurs de la représentation et la relation entre les représentations et le domaine de connaissance.

Ils auront dans ce cas plus de ressources cognitives disponibles pour effectuer la conversion dans un autre registre, identifieront plus facilement les similitudes entre les représentations et seront plus à même de les interpréter correctement. En l’absence d’expertise dans les représentations fournies ou en cas de connaissance insuffisante du domaine, les apprenants seront entravés dans leur capacité de reconnaître les relations structurelles profondes entre les représentations (Chi et al., 1981) et de transférer leurs connaissances de manière appropriée à travers les représentations.

Des facteurs liés également à l’âge des enfants, en termes de développement, interviennent dans la capacité de traiter l’information (vitesse et empan) et le nombre de structures dimensionnelles que les apprenants arrivent à gérer (Case, 1985; Halford, 1993, cités dans Ainsworth, 2006). Enfin, des caractéristiques liées aux différences individuelles comme des facteurs cognitifs et de personnalité, pourraient également jouer un rôle dans l’apprentissage avec des REMS.