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L’efficacité des cloches comprise par les habitants de Pékin Les inscriptions sur les cloches à connotation rituelle

Nous pouvons maintenant revenir sur la question posée à la fin du premier chapitre et apporter une réponse plausible. Les commanditaires des cloches de Pékin choisissaient de fondre ou de graver des textes sacrés du bouddhisme et du taoïsme sur les cloches parce que ceux-ci étaient les textes que les manuels de la vie monastique bouddhique ou taoïste recommandaient de réciter tout en sonnant les cloches.

Quatorze cloches dans mon corpus sont couvertes d’un poème gāthā bouddhique que l’on récitait au moment de sonner la cloche (version « yuantong ») ou de celui chanté quand on entendait une cloche162 (fig. 2-1) ; parmi elles, dix ont été fondues sous les Ming (en 1430 au

plus tôt163) et quatre sous les Qing (trois sous l’ère Kangxi et une sous l’ère Qianlong).

L’inscription sur la cloche en fer fabriquée en 1466 dédiée Zhihuasi explique même l’efficacité

162 BJGZ, vol. I, p. 117-128, p. 142-147, p. 162-164, p. 187-189, p. 245-249 ; vol. II, p. 64-71, p. 151-163, p. 213-215, p. 230-

239, p. 266-268, p. 284-285, p. 285-286, p. 286-287, p. 288-289.

des sons des cloches en citant un passage issu de la Chixiu Baizhang qinggui, lui-même contenant la légende du souverain des Tang du Sud164. Le poème gāthā taoïste en vers de trois

caractères, très similaire à son équivalent bouddhique, ne se présente pas dans les inscriptions sur les cloches dans ma base de données, probablement parce qu’il apparut tardivement par rapport au Mingzhong ji et au Wenzhong ji bouddhiques.

Figure 2-1 : Gāthā chanté au moment de sonner une cloche, inscrit sur la cloche du Fahuasi, 1461. Source : GZTP, volume sur les inscriptions, p. 75.

Note : estampage levé par le Musée Dazhongsi, 2015.

Les manuels monastiques bouddhiques et taoïstes conseillent de réciter des titres de textes canoniques quand on fait résonner une cloche. Plusieurs cloches dans les temples de Pékin des Ming et des Qing portent non seulement des titres, mais également de textes entiers. Les textes sacrés fondus ou gravés sur les cloches sont toujours les textes les plus lus et récités

par les religieux et les fidèles. Le Sûtra du cœur est sans doute l’un des textes bouddhiques les plus diffusés en Chine ; le Texte merveilleux sur la pureté et la tranquillité perpétuelles prêché

par le Très-Haut Seigneur Lao a été particulièrement apprécié par les taoïstes Quanzhen car sa

récitation a été recommandée, entre autres, par Wang Zhe (nom personnel hao Chongyangzi , 1112-1170), fondateur de l’école Quanzhen165.

L’invocation des dieux était un des éléments importants du rituel pour sonner une cloche dans un monastère. On voit ainsi la présence des appellations des divinités, notamment le nom du bodhisattva Avalokiteśvara sur les cloches destinées à être installée dans des temples bouddhiques et le titre de l’Empereur de Jade sur les cloches taoïstes. Comme nous l’avons montré plus haut, aux yeux des fidèles, la sonnerie d’une telle cloche avait des pouvoirs exceptionnels tout à fait parallèle à la psalmodie des noms des divinités.

Quant aux formules rituelles, mise à part la Mantra pour briser les enfers, proposée par les règles monastiques bouddhiques des Ming et des Qing, on inscrivait d’autres formules ayant chacune soit la puissance de purifier des péchés, soit de faire sortir les âmes souffrantes des enfers, soit de les libérer de tous les états malheureux de la renaissance et de les aider à renaître dans la Terre pure. Divers textes des Yuan, des Ming et des Qing provenant du canon bouddhique attestent que, si l’on inscrit les dhāraṇī sur un objet rituel qui émet des sons, tel qu’une cloche, tous les êtres vivants qui les entendent seront libérés de leurs péchés et renaîtront dans les terres de buddha166.

Les poèmes gāthā, les textes canoniques (ou leurs titres) et les noms de divinités bouddhiques ou taoïstes étaient déjà systématiquement inscrits dans les manuels des pratiques de tous les jours, pourquoi était-il encore nécessaire, aux yeux des donateurs de Pékin, de les inscrire sur les cloches ?

Les interprétations issues des textes canoniques du bouddhisme et du taoïsme sur l’efficacité de la récitation des dhāraṇī ou des noms de divinités, telles que nous les avons citées, révèlent que les textes sacrés fondus ou gravés sur les cloches, ou sur d’autre objets sonores, sont censés non seulement être lus mais aussi être écoutés. Cette idée a été encore plus

165 Hans-Hermann Schmidt, notice sur le Taishang laojun shuo chang qingjing miaojing, in Kristofer Schipper, Franciscus

Verellen eds., The Taoist Canon, op. cit., p. 562.

166 Voir par exemple Xianmi yuantong chengfo xinyaoji , T. 1955, vol. 46, p. 1005b02-07, p. 1005c10-

11 ; Zhunti jingye , X. 1077, vol. 59, p. 242c15-16 ; Qijuzhi fomu shuosuo zhunti tuoluoni jing huishi , X. 446, vol. 23, p. 778a16-23, p. 778c24-a02.

explicitement présentée dans la Brève description du paysage de la capitale impériale (Dijing

jingwu lüe 並), l’un des guides touristiques les plus utilisés par les visiteurs de Pékin de la fin des Ming. Quand les éditeurs décrivent la grande cloche bouddhique de l’ère Yongle couverte de plus d’une dizaine de sûtras et de plus de 140 dhāraṇī, ils expliquent que chaque caractère fondu sur la cloche produisait un son quand la cloche était sonnée. En conséquence, chaque coup permettait de réciter à la fois tous les sûtras et les dhāraṇī fondus sur la cloche167.

En ce sens, sonner une cloche couverte de textes sacrés équivalait à la récitation simultanée de tous ces textes. Une cloche couverte de textes religieux semblait être proche des cloches du Monastère du Jetavana, qui sous la plume de Daoxuan pouvaient réciter les textes sacrés et prêcher la doctrine. La récitation d’un texte sacré bien développé, d’un grand nombre de noms de divinités ou d’une formule rituelle composée d’une série de syllabes souvent ininterprétables demande une grande concentration et un grand effort de mémoire168. Grâce aux sons des cloches

inscrites de textes sacrés, il suffisait que les fidèles, même les laïcs, les entendent pour que le pouvoir miraculeux des textes religieux fasse effet.

Les donateurs qui voulaient fondre ou graver des textes sacrés sur des cloches croyaient que les sonneries de ces cloches pouvaient tirer avantage de leur inscriptions religieuses. Effectivement, les textes sacrés du bouddhisme et du taoïsme fondus ou gravés sur les cloches de Pékin avaient souvent à la fois les fonctions religieuses comparables à celles des sonneries des cloches et des pouvoirs que les cloches ne possédaient pas. On croyait que les textes sacrés inscrits sur une cloche augmentaient son efficacité originelle. Réciproquement, les pouvoirs extraordinaires de ces textes étaient diffusés partout grâce aux sons de cette cloche et accordaient des faveurs à tous ceux qui les entendaient.

Dans cette perspective, les inscriptions religieuses sur les cloches n’étaient plus des textes silencieux, mais des textes sonores. Certains commanditaires de Pékin choisirent de fondre sur leurs cloches les textes religieux qu’ils jugeaient importants et efficaces. Ces cloches étaient fréquemment dédiées à un monastère ou à un temple prestigieux. Quand les moines bouddhiques ou les prêtres taoïstes donnaient un coup à une cloche couverte de textes sacrés, en récitant en même temps les textes recommandés par les manuels monastiques, ces cloches produisaient des sonneries efficaces, qui étaient capables d’éliminer les souffrances tant dans

167 DJL, p. 203.

les enfers que dans le monde d’ici-bas et de guider les fidèles pour qu’ils arrivent à l’état de perfection.

Les interprétations dans la littérature locale de Pékin

Toutes les cloches ne portaient pas de textes sacrés. Tous les temples de Pékin ne possédaient pas de cloche avec des inscriptions religieuses. Pour les habitants de Pékin des Ming et des Qing, du moins pour les auteurs de la littérature locale, une cloche sans inscription dans un petit temple était tout de même vue comme ayant l’efficacité originelle. Sous l’ère Kangxi, Zheng Shanshu (dates exactes inconnues), alors magistrat du district de Gu’an situé au sud de la capitale, reconstruisit la tour de la cloche du Temple du Dieu de la ville (Chenghuangmiao ) de sa circonscription et composa un mémoire pour la commémorer. Selon l’auteur,

les sons uniformes que produisent [la cloche et le tambour] touchent tous les êtres doués de sensibilité. [Ces sons] peuvent communiquer avec le monde des ténèbres, et enlever les mauvais obstacles du karma.

仿 1692

Le mémoire de Zheng Shanshu fut reproduit dans la Shuntian fuzhi170, la monographie la plus

importante de la préfecture du Shuntian à la fin des Qing.

Certains lieux privilégiés étaient particulièrement associé au son de la cloche, tels que la salle de méditation (chantang ) d’un temple. Une telle sensation a été décrite par Fang Yuguang (sur qui nous ne disposons que de très peu d’information) dans son poème intitulé Assis au soir dans la salle de méditation (Wanzuo chantang ) :

Quand on contemple les eaux, l’esprit se calme ; quand on entend les sons des cloches, l’éveil n’est plus loin.

。 1712

La Monographie du district du Wanping (Wanping xianzhi ), compilée sous l’ère Kangxi, recopie ce poème.

169 GSF, vol. 2, p. 714. 170 Ibid.

Les sons des cloches permettaient aux visiteurs du temple, notamment aux lettrés- fonctionnaires qui remplissaient leur charge dans la capitale, d’oublier temporairement les afflictions dans le monde d’ici-bas, surtout dans les milieux officiels. Wang Shouren

(noms personnels hao Yangmingzi , 1472-1529), éminent philosophe néo-confucéen, expriment même dans un poème que, quand il visitait un temple au Mont parfumé :

Les pavillons et les tertres se trouvent parmi les étoiles, les sons des cloches sortent de la montagne couverte de verdure émeraude. Sur-le-champ, tous mes soucis de la vie humaine s’éteignent. Suivant le ruisseau, [je] me promène au clair de lune et m’en retourne.

? 仿 2 信 1722

Wang Shouren n’était pas le seul poète-visiteur de Pékin ayant exprimé le même sentiment. Zha Hongdao (fl. 1692-1719), originaire de Huizhou (dans l’actuelle province de l’Anhui)173 écrit même que, quand il passa par le Monastère du secours universel

(Guangjisi ) dans la partie ouest de la ville intérieure, il :

fit sérieusement un retour sur soi-même en entendant les sons des cloches, et voulut sincèrement refuser des réputations surfaites.

久 1742

Pour les visiteurs des temples, les sons des cloches semblaient avoir nettoyé les obstacles à l’éveil.

Quand une cloche se trouvait dans un monastère ou un temple prestigieux, les lettrés locaux avaient tendance à valoriser les effets que ses sonneries pouvaient produire en tenant compte des fonctions religieuses du temple. Depuis la fin des Ming, le Tanzhesi jouit parmi les habitants et les visiteurs de Pékin d’une réputation locale en tant que lieu saint ancien et attrayant. Susan Naquin a montré que les divinités, les saints et les sites-paysages (jing ) jouèrent chacun un rôle important dans la création et la diffusion de la notoriété de cette fondation bouddhique historique175. Situé dans les collines à l’ouest de Pékin, le Monastère du

lac et du mûrier associe une partie de sa puissance sacrée à la montagne et à un dragon qui y réside. La Dijing jingwu lüe raconte que ce dragon, qui ressemblait à un serpent vert long de

172 Wanping Xianzhi, juan 6, p. 110b.

173 Sur la vie de Zha Hongdao, voir Wang Yajuan , Zha Hongdao Dulü xuanzhu yanjiu ⟫ 二,

mémoire de Master à l’Université de l’Anhui, 2013, chap. 1.

174 Hongci Guangji si xinzhi , 1704 ; réédition moderne in collection Zhongguo fosi zhi , vol. 44,

Taipei, Mingwen shuju, 1980, p. 224.

plus d’un mètre, vint aussitôt appelé et rampa docilement sur les épaules de son maître-moine176.

Cette histoire s’est transformée au fil des années et, au plus tard à la fin des Ming, le serpent vert est devenu deux serpents-protecteurs du temple, connus sous les noms d’Azur Majeur (Daqing ) et d’Azur Mineur (Xiaoqing ). Le moine Zhenke (noms personnels

hao Zibo , 1543-1604), un des moines éminents les plus connus de la fin des Ming, rédigea un mémoire, qui fut par la suite gravé sur une pierre érigée dans la salle principale du Tanzhesi. Ce texte témoigna du pouvoir de ces deux serpents Azur de faire pleuvoir et de protéger le

dharma177. Ce mémoire a été reproduit dans la Monographie du Monastère des nuages dans les

vallées au Mont Tanzhe (Tanzhe shan Xiuyunsi zhi ) compilée en 1739 et rééditée en 1883.

L’histoire de ces deux serpents Azur est ainsi considérée comme une preuve qui justifiait la puissance extraordinaire du Tanzhesi. Elle fut recopiée dans les textes locaux les plus importants de Pékin sous les Qing. On croyait que les deux serpents habitaient la grande salle et se cachaient dans un coffret rouge. Ils pouvaient vagabonder dans la campagne en temps ordinaire mais y retournaient une fois que la cloche du temple avait été sonnée.

Dans cette histoire, Daqing et Xiaoqing étaient invoqués par les sonneries de la cloche du temple. Rassembler les êtres divins et humains était, selon les textes bouddhiques canoniques, le premier pouvoir des cloches. Cette histoire a accordé à la cloche du Tanzhesi une puissance particulière qui était fortement liée aux pouvoirs sacrés du temple. Inversement, cette puissance particulière a été acceptée par les visiteurs du temple grâce à la diffusion orale et écrite de cette histoire. Ils venaient voir les statues et les niches des deux serpents et racontaient dans leurs écrits ce qu’ils avaient vu. Jiang Weiqiao (1873-1958), fameux lettré et croyant laïc du bouddhisme de la fin des Qing et du début de l’époque républicaine, mentionne cette histoire dans l’un de ses récits de voyages178.

Un autre exemple est la grande cloche bouddhique de l’ère Yongle, richement couverte de textes sacrés du bouddhisme, dont j’ai parlé dans le premier chapitre. Grâce à son déplacement à l’ère Wanli au Temple Wanshou, la grande cloche Yongle entra à la vue du

176 DJL, p. 314-315.

177 Shi Daguan , « Song Longzi gui Tanzhe si wen », in Tanzheshan Xiuyunsi zhi ,

1739 et 1883, vol. 1, p. 66a-b ; rééd. in collection Zhongguo fosi zhi, vol. 44, Taipei, Mingwen shuju, 1980, p. 141. La stèle portant ce texte n’existe plus aujourd’hui, ni son estampage.

178 Jiang Weiqiao , Xishan jiyou 使 , in He Jianming éd., Zhongguo difangzhi fodao jiao wenxian huizuan

public et suscita l’intérêt des lettrés locaux. Pour les auteurs de la littérature locale de Pékin des Ming, la grande cloche Yongle avait avant tout le pouvoir de chanter à chaque coup tous les textes sacrés qu’elle portait. Chi Xianfang (diplômé juren 伝 en 1622) originaire de Tong’an (dans l’actuelle province du Fujian ) pense que les cloches sans inscription ne servaient originellement qu’à réveiller le peuple, tandis que pour la cloche Yongle :

Les caractères [qu’elle porte] n’ont plus de forme mais deviennent des notes et des sons, majestueusement, chaque son [de la cloche] récite une partie du canon bouddhique.

仿 仿 1792

Plusieurs poètes de l’époque ont décrit cette puissance extraordinaire180. Pour certains poètes,

tels que Yuan Hongdao (1568-1610) originaire de Gong’an (dans l’actuelle province du Hubei), poète célèbre de la fin des Ming, l’empereur Yongle voulut fondre cette cloche portant tant de textes canoniques dans le but de sauver les âmes souffrantes dans le monde ténébreux181. La Dijing jingwu lüe, après avoir montré que la cloche Yongle était capable

de réciter simultanément tous les textes inscrits, explique que :

Selon les textes canoniques du bouddhisme, si seulement les cloches dans le monde des êtres humains ne cessaient pas de résonner, tous ceux qui se trouvent dans les enfers seraient momentanément libérés des instruments de torture.

1822

L’idée qu’une cloche pouvait libérer tous ceux qui tombaient dans les enfers était donc acceptée et partagée par les lettrés locaux de Pékin, croyants ou laïcs. Sous leur plume, la cloche Yongle était un objet qui produisait des sonneries capables de chanter les textes sacrés. Cette interprétation semble être relative aux fonctions religieuses du Wanshousi pendant les dernières décennies des Ming. Ce temple fut constitué pour remplacer l’ancienne Imprimerie des textes bouddhiques chinois (Hanjingchang ) et pour conserver les sûtras. Le Hanjingchang fut non seulement un organisme pour imprimer et diffuser les sûtras chinois, mais aussi un site où l’on fit célébrer des rituels bouddhiques, notamment la récitation de textes canoniques. Les temples impériaux (chijiansi ) dans la capitale, comme le Wanshousi, avaient également

179 Chi Xianfang , « Wanshou si zhong », DJL, p. 203-204.

180 Yuan Hongdao , « Wanshou si guan Wenhuang jiuzhong », Hu Heng 伊 , « Wanshou si zhong

», Shen Meng □, « Wanshou si Wenhuang yuzhong », Zhang Xie , « Wanshou si », DJL, p. 203-205.

181 Yuan Hongdao, « Wanshou si guan Wenhuang jiuzhong », Chi Xianfang, « Wanshou si zhong », DJL, p. 203-204. 182 DJL, p. 202-203.

la responsabilité de faire chanter régulièrement les sûtras ou les textes de « confession » afin de prier pour la pérennité du trône183. A part les rituels réguliers et exceptionnels de la récitation

des textes bouddhiques, le clergé du Wanshou si pouvait profiter des sons puissants de la cloche Yongle afin d’accumuler des mérites pour l’empereur et prier pour sa longévité.

Néanmoins, à partir de l’ère Tianqi, la grande cloche bouddhique de l’ère Yongle ne fut plus utilisée et resta silencieuse dans le Wanshou si jusqu’à l’ère de Qianlong où elle fut finalement déplacée au Jueshengsi 來 située au nord-ouest de la ville. Ce dernier a été commandité par l’empereur Yongzheng en 1733. Cette même année, l’empereur le choisit pour abriter la cloche Yongle. Il ne put pourtant pas assister au déménagement de la grande cloche : l’empereur Yongzheng décéda en 1735, soit une année après l’achèvement du temple.

L’empereur Qianlong réalisa le projet de son père : la cloche fut finalement installée dans le Jueshengsi en 1743. La même année, l’empereur Qianlong composa un poème pour chanter les louanges de cet objet gigantesque :

La grande cloche émet des sons qui se répandent dans les trois divisions de l’univers, [en les entendant,] les disciples de Bouddha posséderont les six pouvoirs extraordinaires de « pénétration ».

仿 1842

À la différence des lettrés de Pékin des Ming, l’empereur Qianlong pensait que les sonneries de la grande cloche étaient avant tout capables d’aider les disciples à obtenir les pouvoirs nécessaires pour devenir un arhat ou un buddha. Ce poème n’est pas la seule œuvre où l’empereur Qianlong réinterpréta la signification religieuse des sons de la cloche Yongle. Dans un poème impérial de 1746 dédié à un pavillon, sous le nom de Geyunzhong

(littéralement « Cloches éloignées dans les nuages »), qui se situait dans le Parc impérial de la tranquillité et de l’harmonie (Jingyiyuan ) aux Monts parfumées, l’empereur énumère d’abord les noms des temples, y compris le Jueshengsi, dont les cloches pouvaient produire des sons qui atteignaient ce pavillon, et décrit ensuite les sentiments qu’il avait quand il les y entendait. Bien que le Jueshengsi se trouvait le plus éloigné parmi tous les temples nommés, sa

183 Shen Bang , Wanshu zaji (cité plus loin en WZ), 1593, rééd. Pékin, Beijing guji chubanshe, 1980, p. 221-

222.

184 Qing Gaozong , Yuzhi shiji (chuji) , in Wenyuange siku quanshu (ci-après SKQS),

grande cloche résonnait à l’oreille de l’empereur même quand il se trouvait dans ce pavillon impérial. Les sons des cloches lui permettaient de rétablir un état calme et pur :

Après que mes oreilles aient été délivrées des bruits, je me réjouis [de retrouver] la joie pendant la méditation.

1852

Sous la plume de l’empereur Qianlong, l’efficacité des sons émis par la grande cloche Yongle a été totalement réinterprétée. L’empereur a esquissé une image sonore dans laquelle la cloche Yongle avait avant tout le pouvoir de pousser les disciples à progresser dans leur chemin vers l’éveil. Les raisons qui ont conduit à cette réinterprétation peuvent être multiples. Néanmoins, un élément me paraît toujours non-négligeable. Quand les travaux de construction