• Aucun résultat trouvé

Des effets pervers ont parfois été mis en évidence, tels que la création de dépendance envers les institutions et le renforcement de la ségrégation. Il peut être utile de se demander si la mixité sociale est finalement une fin ou un moyen, et si elle ne fait pas l’objet d’une manipulation politique.

1)

Création de dépendance et renforcement de la

ségrégation

On constate par ailleurs que cette politique engendre souvent des effets inverses de ceux poursuivis. En effet, cette mixité imposée va à l’encontre de la solidarité naturelle entretenue dans une situation de nécessité, et crée des situations de dépendance aux dispositifs d’assistance. La relation à l’ethnicité est évidente même si elle se garde bien d’être

1

« Une décennie de réformes » Rapport public de la Cour des comptes sur la politique de la ville, juillet 2012.

2

AUTHIER Jean-Yves, BACQUE Marie-Hélène, GUERIN-PACE France (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, La Découverte, coll. « Recherches », 2007.

32

mentionnée en France, où les bailleurs affirment néanmoins devoir « aligner le taux d’étrangers hors Union Européenne dans le quartier au niveau de la moyenne nationale » (AVENEL, 2005) et refusent régulièrement des ménages précaires sous prétexte de satisfaire à cet idéal de mixité. C.LELEVRIER1 décrit une « logique de mixité par défaut » qui se concrétise par une gestion duale des quartiers en distinguant Français et immigrés, et renforce les ségrégations micro-territoriales. On constate plutôt une aggravation des disparités sociales et un recul de la solidarité sociale. En France, la mixité est basée sur des constats scientifiques qui sont souvent trompeurs car ils masquent la réalité de l’inégale répartition des richesses (BLANC et BIDOU-ZACHARIASEN, 2010). La mixité sociale part du principe que la cohabitation de différentes classes sociales favorise l’intégration des habitants. Or, aucune vérification empirique ne valide cette thèse. Il n’y a pas de liens de causalité entre la composition de la population et les situations sociales problématiques comme le chômage, le manque de formation, les problèmes d’intégration des immigrés,... Par conséquent, les situations individuelles de précarité et de discrimination ne s’améliorent pas grâce à une meilleure mixité sociale dans le quartier. Au contraire, la revalorisation du parc immobilier et l’arrivée de couches de population plus aisées provoquent souvent l’exclusion des personnes touchées par la précarité économique.

2)

Moyen ou finalité ?

La difficulté demeure de savoir si finalement la mixité sociale est un moyen au service d’autres objectifs, ou si elle est la véritable finalité recherchée par les spécialistes de l’urbain. Concernant la mixité sociale, il existe un risque de confusion entre la fin et les moyens. Pour Thomas KIRSZBAUM2, la mixité contrainte de populations hétérogènes vise implicitement à empêcher la formation d’une force collective dans les quartiers ciblés en faisant de la mixité une finalité en soi. Y. SINTOMER dénonce le recours à cette notion par certains qui confondent systématiquement la défense de la valeur en soi et de son utilisation comme moyen pour atteindre l’égalité et la justice sociale, alors que la distinction devrait être faite entre les deux. « Il semble à première vue injuste de laisser des appartements vacants

alors que des demandes sont non-satisfaites, de subventionner également le logement de personnes ayant des revenus confortables et d’autres ayant des revenus très faibles, de tenir à bout de bras des établissements culturels de prestige peu fréquentés par la population locale

1

Maître de conférences à l’Institut d’urbanisme de Paris. 2

Sociologue, enseignant-chercheur à l’Université d’Évry. Ses travaux portent principalement, depuis plusieurs années, sur la discrimination positive territoriale, étudiée dans le cadre d’une comparaison du développement communautaire américain et de la politique de la ville française.

33

(…) Mais ne faut-il pas être pragmatique et reconnaître que ces mesures favorisent la mixité sociale et, sur le long terme, la justice sociale ? » Patrick SAVIDAN1 recommande de poser le problème de la mixité non sur le terrain de la morale mais par rapport au principe d’égalité des chances, au regard d’une théorie politique de la justice. Yves SINTOMER2

pense qu’il est plus juste de promouvoir l’égalité et la justice sociale que la mixité sociale. Selon Eric MAURIN, il faudrait plutôt penser les politiques en termes de destin individuel et non de territoire, et faire de la mixité un moyen au service d’une autre fin, l’évitement des situations de « destins verrouillés », c’est-à-dire le fait que des individus se retrouvent enfermés dans des formes de vie strictement déterminées par un héritage social et des circonstances données (MAURIN, 2004). L’impératif de mixité, s’il était réalisé, aurait pour résultat une multitude de territoires dont chacun aurait les mêmes caractéristiques (BAUDIN, 1999). Est-ce vraiment souhaitable ?

3)

Une manipulation politique ?

La mixité, comme l’ont montré plusieurs articles, peut servir de prétexte pour justement continuer de maintenir certaines populations à l’écart, sous couvert d’une réelle volonté d’intégrer des pauvres et des étrangers à l’espace urbain (BLANC et BIDOU- ZACHARIASEN, 2010). Il s’agit d’un objectif inavouable aux habitants, qui serait cependant censé vouloir leur bien. Ne dissimule-t-il pas une sorte de paternalisme ? Il est difficile de déterminer quel est le réel objectif des politiques de mixité sociale : revaloriser des territoires grâce aux opérations de rénovation urbaine ou améliorer la situation des populations ? L’objectif sécuritaire ou territorial surpasse-t-il celui du bien être de la population ? Il semble que ces politiques cherchent avant tout à attirer et retenir les classes moyennes. De nombreux auteurs, tel GENESTIER, s’accordent à dire qu’il s’agit avant tout d’un discours politique légitimant l’intervention de l’Etat, et n’importe quel type d’intervention d’ailleurs souvent contradictoires. Daniel BEHAR3 dénonce un usage pernicieux de cette notion par les acteurs de la politique du logement qui cherchent à justifier leurs pratiques discriminatoires.

La politique de mixité continue de guider l’intervention de l’Etat dans les quartiers défavorisés, avec une légitimité largement contestable au vu des résultats généraux, mais aussi et surtout du point de vue des populations résidentes qui se voient

1

Philosophe français, co-fondateur de l’Observatoire des inégalités. 2

Yves Sintomer est professeur des Universités dans le département de science politique de l’Université de Paris 8.

3

34

imposer des changements physiques dans leur cadre de vie. La seule façon de justifier cette politique serait qu’elle puisse être conciliée à une transformation sociale de ces quartiers en vue d’un développement social qui bénéficierait de manière prioritaire aux habitants d’origine. Il semble que l’accent soit davantage mis sur les résultats quantitatifs et la valorisation des quartiers, que sur l’amélioration qualitative de la vie des populations. Il convient d’ajouter que les relations entre cohésion sociale et mixité sociale doivent être mises en parenthèse, car la question de savoir ce qui fait la cohésion sociale dans un quartier et quel mélange social offre les meilleures conditions de réalisation se fonde sur la représentation de la «mixité sociale idéale».1

1

35

IV. LA QUESTION DU DEVELOPPEMENT SOCIAL ET DES

POPULATIONS ORIGINELLES

Nous avons abordé précédemment les objectifs sociaux de la mixité : la cohésion sociale, l’intégration sociale pour agir contre l’exclusion, l’égalité, la justice sociale,…mais qu’en est-il de l’amélioration des conditions de vie, de l’augmentation du pouvoir et de l’autonomie des populations ? En réalité, les arguments en faveur de la mixité sociale ne sont pas sans ambiguïté. Il s’agit de favoriser la sociabilité et les contacts entre milieux sociaux. Or, dans la pratique, les inégalités rendent la relation asymétrique.1

L’objectif admis serait donc d’agir sur le lien social dans les quartiers populaires. Pour ce faire, la stratégie utilisée est celle de la mixité sociale, et le moyen d’y parvenir est la rénovation urbaine. Mais cette équation peut-elle toujours se vérifier ? Nous pouvons constater à présent le cheminement qui a été fait depuis l’idéal de mixité sociale jusqu’à son application controversée dans la politique de la ville en France. La mixité sociale, l’attraction volontariste de ménages extérieurs, est l’une des multiples approches de la question de l’intégration urbaine, celle qui a été retenue par la politique française. Mais une autre option aurait pu être choisie : la reconnaissance du caractère populaire et ethnique des quartiers, ou l’accès équitable aux ressources de la ville, que l’on peut associer à la lutte contre les discriminations. Le développement social des quartiers porté par le rapport Dubedout, était la première option dans les années 1980, qui s’organisait autour du consensus des habitants sur la manière d’organiser le vivre ensemble.

Les politiques en faveur de la mixité doivent donc être repensées en sortant de l’idéal abstrait de mixité sociale qui ne produit pas les bons résultats, et en recherchant des alternatives qui seraient davantage en faveur des populations originelles et pensées à partir de là. Nous reviendrons sur les modèles de développement urbain existants et sur leur rapport à la mixité sociale. Nous insisterons finalement sur la question qui nous intéresse plus précisément, c’est-à-dire la place des habitants dans ces programmes urbains et les bénéfices qu’ils peuvent en retirer.

1

36

A.

Différents modèles de développement urbain des