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Nous avons vu en première partie que la tradition française n’était pas celle du développement intégré, contrairement à d’autres pays européens. Néanmoins, certains acteurs parlent de « projet intégré de territoire » qui lie l’urbain à l’humain. Cela suppose une coordination entre divers types d’acteurs à la fois institutionnels et associatifs, qui agissent prioritairement sur l’un des deux volets. L’inscription dans un projet intégré de territoire semble primordiale pour la réussite de l’opération. Nous avons cherché à répertorier les acteurs de terrain. Nous avons tenté d’analyser la place et la coordination des acteurs, les relations entre techniciens et politiques, entre politiques et habitants, entre politiques et techniciens, entre techniciens, et la manière dont les acteurs sont associés à la politique de rénovation urbaine.

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L’inscription dans un projet de territoire

Le projet de territoire à Mistral ressort très bien dans le discours du chef de projet, qui montre une maquette du quartier pour appuyer son discours. Cependant, il ne rattache pas le projet de rénovation urbaine de Mistral à celui des autres quartiers de Grenoble, précisant par

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exemple la différence historique et conceptuelle entre Mistral et la Villeneuve. Il n’y a pas de réunion officielle concernant uniquement Mistral, mais des coordinations de secteurs qui sont une échelle de territoire plus grande, et qui se réunissent de manière bimestrielle à la Maison des Habitants. C’est notamment à cette occasion que l’AFEV et le Plateau se rencontrent à travers un objectif commun. Mais ce n’est pas la seule occasion : le journal Porte-Voix est issu d’un partenariat entre les deux structures, ainsi que Cultur’Act et le Codase (éducateurs de rue). Le Plateau se veut un espace de concertation et de collaboration entre les différents partenaires issus de l'éducation populaire, de l'éducation nationale et du milieu sportif agissant sur le secteur 3 de la ville de Grenoble. Cependant, le contexte particulier et le fonctionnement du quartier font que toutes les structures ne sont pas à égalité dans la négociation et la prise de décision, ni même dans la mesure de l’investissement dans les divers projets. Les KAPS sont un bon exemple de ce fait, car ils réunissent un nombre d’acteurs impressionnant à la fois du quartier et de la Ville, des universités et bailleurs sociaux, la Caisse des Dépôts et Consignations, et les comités de pilotage auxquels s’ajoutent des élus montrent bien à travers leur déroulement la hiérarchisation des acteurs, qui ne devrait pourtant pas exister dans un fonctionnement de projet. Le « grand projet de ville » de Rouen a été conçu à l’origine par l’ensemble des partenaires institutionnels1, comme un groupement d’intérêt public « mutualisateur », chargé notamment de la mise en œuvre des projets de renouvellement urbain et de leur accompagnement social. Il a connu de sérieux dysfonctionnements au démarrage du projet de rénovation urbaine, qui ont mis fin à la mutualisation des financements, réduisant l’implication du groupement d’intérêt public à un rôle de coordination des différents intervenants. A partir de 2008, dans un souci de cohérence, toutes les missions ont été réintégrées au sein des services de la commune de Rouen, mais le groupement d’intérêt public a néanmoins été confirmé dans son rôle d’accompagnement social et humain. Sa direction ayant rejoint les services municipaux en 2010, la question se pose désormais de maintenir une structure qui ne jouit plus que d’une autonomie relative mais risque de complexifier les circuits de décision : « Le GIP/GPV a sa mort annoncée, il va

disparaitre en 2013-2014 mais déjà il n’y a plus de gasoil dans la machine, plus d’équipe projet, le directeur part en retraite. »2 Le chef de projet met en avant son rôle dans la proposition d’un projet social de territoire qui implique un grand nombre d’acteurs de terrains jugés experts sur chaque thématique : « En 2008, j’ai proposé un projet social de territoire

pour les ZUS, c’est une démarche de co construction avec copilotage de 4 groupes de travail

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Etat, ville de Rouen, Région et département 2

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par un agent de la ville. Le but est de réinterroger les pratiques professionnelles et de prendre mieux en compte les populations. C’est le développement opérationnel du volet humain. On implique des acteurs de terrain, par exemple les Céméa participent à la définition de la politique enfance sur ces territoires, la DIRECCTE pour la politique emploi…le but est la réalisation d’actions partagées. » Les projets sociaux de territoire sont une expérimentation

qui a été mise en place au début des années 2000 dans une vingtaine de villes en France. Le cahier des charges national rappelle que « l’enjeu est de faire la preuve que la mise en œuvre

d’un projet social de territoire, porté par l’ensemble des institutions et s’appuyant sur les ressources des habitants, participe de façon significative à la revitalisation du tissu socioéconomique des quartiers, à la réduction des inégalités des territoires et à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus en difficulté ». On parle

également de chartes territoriales de cohésion sociale. Le chef de projet de Rouen précise que les quartiers sont vus comme des « territoires expérimentaux et apprenants » : « A Rouen on

considère que les quartiers du grand projet de ville sont des « territoire expérimentaux et apprenants », le but est d’initier les actions sur ces territoires et ensuite les développer sur le reste de la ville. Par exemple la pour la politique d’éducation, ce sont des territoires laboratoire. Ceci est un choix de la ville de Rouen. » L’expérimentation sociale s’est

développée avec la politique de la ville et doit permettre plus de souplesse dans la mise en place des actions. Les KAPS sont également une expérimentation sociale, cependant le caractère très institutionnalisé et le niveau décisionnel assez mal défini ont fait que l’AFEV avait finalement peu de prise sur les orientations et l’initiative par rapport au projet.

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Des partenariats essentiels basés sur des liens

informels

Les partenariats sont essentiels mais ce n’est pas toujours simple : il y a par exemple différents principes éducatifs selon les structures. « Ici c’est plus structuré, on peut travailler

avec le milieu associatif, c’est plus difficile qu’avec les institutions, on n’est pas toujours d’accord sur les manières de procéder avec des jeunes que nous avons exclus et que le centre va emmener en vacances en Espagne par exemple… »1

Le rapport avec la police et l’ensemble des institutions diffère également. Ou tout simplement des objectifs ou des façons de faire très différentes : « Les bailleurs ne parlent pas la même langue que nous. »2 Cela montre

l’importance des liens informels dans l’intégration urbain-social. Ce sont souvent ces liens qui

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Entretien avec la responsable de la bibliothèque Simone de Beauvoir au pôle culturel Grammont.

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déterminent la création de partenariats durables, au-delà des réunions officielles qui semblent réunir tous les acteurs autour d’une table. Ainsi, la jeune fille employée par le Plateau depuis l’an dernier a impulsé quelques projets en partenariat avec l’AFEV, parce qu’elle connaissait personnellement l’association. Elle a notamment participé à la réalisation d’un film sur les KAPS que nous avons menée au cours de l’année. Les liens entre les professionnels et ceux qu’ils entretiennent avec les habitants sont souvent plus déterminants que leur position officielle dans la coordination.